La police italienne avait saisi en janvier 2011 dans le port de Salerne 14 tonnes d'amphétamines sous la forme de 84 millions de comprimés de captagon produits en Syrie. Selon Rome, il s’agissait alors de « la plus grande saisie d'amphétamines au niveau mondial ». La drogue était dissimulée dans trois cylindres de papier à usage industriel et des roues métalliques. La mafia napolitaine, le Camorra, était l’organisation destinatrice de cette cargaison. Le fournisseur n'était pas Daech comme cela a été dit à l'époque mais le pouvoir syrien.
En effet, un temps, les medias ont désigné Daech comme à l’origine de cette marchandise car la légende affirmait que les islamistes radicaux utilisaient le captagon pour doper leurs combattants. Cette drogue a d’ailleurs été surnommée la « drogue du jihadiste ». Rien n’est plus faux même si des groupes d’opposition syriens se sont effectivement livrés à ce trafic pour s’autofinancer. Dans les faits, les salafistes purs et durs considèrent que l’usage de toute drogue par un croyant est « harām » (interdit). Une nuance toutefois : protéger les cultivateurs et les convois dont les produits sont destinés aux « mécréants » et aux « apostats » est autorisé. C’est pour cette raison que les taliban et les mouvements islamistes au Sahel supervisent ces trafics de drogue sans y toucher eux-même(1).
En Syrie dans les régions contrôlées par le régime (à l’ouest de l’Euphrate et à l’exclusion de la province d’Idlib au nord-ouest du pays), la production de drogue et son trafic vers l’étranger serait l’apanage du pouvoir.
Il faut reconnaître que le gouvernement syrien a un cruel besoin d’argent pour financer la vie de tous les jours de ses concitoyens et le début de la reconstruction du pays. La Syrie est étranglée par les sanctions internationales(2) et même les pays comme la Chine ou la Russie qui acceptent de s’affranchir du diktat des Occidentaux entraînés par Washington doivent, en bout de course, être payés. Les rentrées financières issues du trafic de drogues sont donc les bienvenues(3). Ainsi, selon un rapport du Center for Operational Analysis and Research (COAR), les exportations syriennes de captagon auraient atteint en 2020 une valeur marchande d’environ 3,5 milliards de dollars.
L’affaire serait gérée par le clan Assad et en particulier par Maher el-Assad qui commande la redoutée 4ème division. Cette unité a en particulier pour mission de contrôler les frontières syriennes avec le Liban et la Jordanie. Elle profite de cette opportunité pour faciliter les passages de cargaisons vers les pays voisins.
Samer el Assad, un cousin de Hafez el-Assad (le défunt père du président actuel), jouerait également un rôle clef dans la production de drogue, en particulier dans le village d’Al Basa localisé au sud de Latakié. Une entreprise d’empaquetage qu’il y dirige servirait de couverture. Mais il existerait une quinzaine d’unités de production qui fabriqueraient du captagon et également d’autres drogues synthétiques. Ces infrastructures sont principalement localisées le long du littoral et de la frontière libanaise notamment dans la région de Qalamoun à l’ouest de Damas. Or cette région est un bastion du Hezbollah libanais qui n’a jamais caché obtenir une partie de ses financements du trafic de drogues.
D’autres membres de l’entourage de Bachar el-Assad, comme ses cousins germains Fawaz et Munther, sont également soupçonnées participer à ces activités.
Au sud du pays, une zone importante de transit est celle de Nassib, aujourd’hui un des passages les plus fréquentés de la frontière syro-jordanienne. Le 27 janvier dernier, vingt-sept trafiquants ont d’ailleurs été tués dans cette région par des militaires jordaniens alors qu’ils tentaient d’introduire des stupéfiants dans le royaume. Une partie des trafiquants a pu se replier en Syrie.
Les premiers pays acheteurs sont l’Arabie saoudite (ou la pilule de capatgon est vendue 20 dollars pièce) et la Jordanie. Mais d’autres destinations (dont l’Europe) sont également sur les listes d’Interpol. Il n’en reste pas moins que le gouvernement syrien est obligé de négocier avec des responsables criminels (les mafias italiennes, turques, etc.) et devient lui-même un État-mafieux comme le fut, il y a encore peu de temps, la Guinée-Bissau.
1. Il doit bien y avoir quelques cas individuels de consommation mais c’est au risque du moudjahiddine qui, s’il est pris, peut être jugé et exécuté.
2. Les Américains se sont toujours imaginés que bannir un pays de l’économie mondiale pousserait ses populations à se révolter contre ces dirigeants. Le résultat n’a jamais été au rendez-vous à Cuba, en Irak, en Syrie, en Libye. Il a toujours été nécessaire d’intervenir pour renverser les dictateurs désignés et cela n’a pas fonctionné à tous les coups.
3. Il est évident que ceux qui s’y livrent ponctionnent pour eux une partie des profits.
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