Lors de son discours télévisé de fin de mandat du 17 janvier 1961, le président Dwight D. Eisenhower a mis en garde son pays contre la possible montée en puissance d’un « complexe militaro-industriel », expression qui depuis est entrée dans l’Histoire. Il déclare précisément : « Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble ». La vision d’Eisenhower, ancien chef militaire responsable de l’opération Overlord (le débarquement en Normandie) était très claire sur le comportement du lobby de l’armement qu’il considérait déjà comme un Etat dans l’Etat, expression reprise de nos jours par « deep state », l’Etat profond.
Donald Trump a, de son côté, affirmé lors de sa conférence de presse du 7 septembre : « Je ne dis pas que les militaires m’aiment, mais les soldats m’aiment. Les cadres du Pentagone, apparemment non, parce qu’ils ne veulent rien d’autre que la guerre pour que ces belles entreprises produisant des bombes, des avions et le reste soient heureuses « . Il a d’autre part souligné que sous sa présidence, les USA « sortaient de guerres interminables ». Il devrait d’ailleurs annoncer de nouveaux retraits de troupes d’Irak et d’Afghanistan dans le jours à venir.
Le locataire de la Maison-Blanche a critiqué à maintes reprises les guerres impliquant des militaires américains. À l’automne 2019, il a qualifié l’envoi de troupes au Moyen-Orient de pire décision des autorités américaines de toute l’histoire du pays. Selon lui, des affrontements entre divers groupes se poursuivent au Moyen-Orient depuis des « centaines d’années » et les États-Unis ne devraient pas intervenir.
En dehors du côté évidement électoraliste et simpliste des déclarations de Donald Trump qui brigue un second mandat et qui ne semble pas comprendre grand chose au monde militaire, il convient tout de même de constater que deux présidents des États-Unis ont officiellement reconnu l’influence du lobby « militaro-industriel » auquel il serait juste d’ajouter celui des services de renseignement qui regroupent 17 agences. S’il n’y a plus de conflits en vue, les crédits de ces deux puissances occultes (sans faire dans le complotisme) seraient diminués d’autant. Il y a longtemps que ceux que l’on appelle les néoconservateurs (présents dans les camps conservateur et démocrate, Hillary Clinton en étant l’exemple le plus accompli) soutiennent ces propos en échange de certains « services », particulièrement au moment d’élections.
Durant la Guerre froide, seuls les Américains détenaient des renseignements fiables sur l’ennemi conventionnel, le Pacte de Varsovie. Il a fallu attendre l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge pour se rendre compte de visu que la puissance de cette dernière était volontairement surévaluée par Washington. Attention, cela ne veut pas dire que le Pacte de Varsovie n’était pas redoutable, à la fois sur le plan stratégique (armes nucléaires et chimiques admises d’emploi en cas d’invasion de l’Europe) et par des guerres par contournement dont la France a particulièrement souffert durant la décolonisation puis, ensuite, sur d’autres théâtres d’opérations. Mais les renseignements fournis aimablement par Washington sur la Russie ne faisaient pas état des faiblesses des matériels, de la faible valeur combative des camarades-combattants qui ne comprenaient pas une intervention extérieure, etc. Un exemple concret, selon les plans admis, les divisions de fusiliers motorisés devaient se retrouver en trois jours sur les côtes atlantiques. Seul problème, les transports blindés russes de l’époque (BTR-60 puis 70 et 80, PT-76) étaient si inconfortables -même s’ils étaient rustiques- que les fantassins embarqués en sortaient complètement lessivés au bout de quelques heures…
Après l’effondrement du Pacte de Varsovie, il a fallu que le lobby militaro-industriel US (et du renseignement) se construise des ennemis crédibles pour justifier les dépenses faramineuses octroyées aux différents acteurs. La Russie du président Poutine a été le premier ennemi pointé du doigt, l’Iran l’étant depuis la révolution de 1979 en raison de sa politique anti-américaine et anti-Israël. Tout a été bon pour désigner la Russie à la vindicte des alliés alors qu’en dehors du cas de l’invasion de la Crimée (que le Kremlin ne pouvait laisser s’échapper en raison de la base navale de Sébastopol considérée comme vitale pour sa sécurité du pays), Moscou avait fait son deuil de ses anciennes « marches » tout en souhaitant préserver un « espace stratégique » face à l’OTAN. La Russie ne comprenait plus la raison d’exister de cette alliance militaire puisqu’elle avait renoncé de conquérir l’Europe (puis le reste du monde) pour la convertir aux « bienfaits des petits matins qui chantent » du communisme international.
Là où les Américains ne se trompent sans doute pas, c’est à propos de la Chine qui, certes ne veut pas convertir la planète à ses aspirations politiques héritées du maoïsme, mais qui veut gagner la guerre économique qui doit l’amener au premier rang des puissances mondiales. Pour cela la nouvelle route de la soie semble extrêmement inquiétante et devrait rencontrer l’assentiment de nombreux pays en mal de financements et de technologies que l’Occident n’est plus à même de fournir. Les velléités militaires de Pékin portent surtout sur la Mer de Chine et Taiwan (sans compter l’oeil bienveillant portée sur la Corée du Nord).
Ces aveux venant de deux plus hautes autorités américaines confortent les analyses faites depuis longtemps sur le sujet mais battues en brèche par ceux que l’on surnomme les « atlantistes ». Parmi les « bons élèves », on peut noter Londres qui a même toujours une longueur d’avance sur Washington pour s’en prendre à Moscou. Plus étonnant, Berlin qui a été sanctionné au printemps pour son manque d’enthousiasme à suivre le mouvement (la sanction est tombée, 12.000 militaires US soit un peu plus d’un tiers des forces américaines doivent quitter l’Allemagne pour retourner aux USA ou être installées en Italie, en Belgique, en Pologne ou en Lituanie – jugés comme de « bons élèves » par l’Oncle Sam -) redouble d’énergie dans l’ »anti-kremlinisme ». Le cas Navalny est parlant, l’Allemagne demandant à la Russie de s’ »expliquer » dans les jours qui viennent sous peine de sanctions économiques, notamment, l’annulation du projet gazier Nord Stream 2 qui, comme par hasard, mécontente au plus au point Washington. On n’avait pas constaté une même ardeur de Berlin à l’encontre de l’Arabie saoudite avec le meurtre (réussi) de Jamal Khashoggi à Istanbul le 2 octobre 2018…
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