Le 19 novembre, l’armée américaine a déployé en Roumanie par voie aérienne deux lance-roquettes multiples M142 High Mobility Artillery Rocket System HIMARS habituellement stationnés en Allemagne. Les deux batteries ont tiré quelques projectiles vers la mer Noire avant de retourner à leur base en Allemagne.
L’exercice n’a duré que quelques heures. Selon Forbes qui est à l’origine de l’information, un tel exercice était « un message pour Moscou ». En fait, il semble aussi destiné à l’administration montante de Joe Biden. En effet, cet exercice n’a pu avoir lieu sans l’autorisation directe de Donald Trump, car il s’est déroulé aux marches de l’ »ennemi conventionnel », la Russie que Trump veut « transmettre » au nouveau locataire de la Maison-Blanche afin que celui-ci ne change pas la politique de sanctions menée contre le Kremlin.

Cet exercice s’inscrit dans une série de provocations qui sont actuellement menées par les forces américaines à proximité des frontières russes comme cela a été encore le cas le 24 novembre lorsque le destroyer USS John McCain a fait une incursion d’environ un nautique dans les eaux du golfe Pierre-le-Grand en mer du Japon revendiquées par la Russie puis auparavant par l’URSS. Le destroyer « Amiral Vinogradov » qui le surveillait a utilisé « un canal de communication international » afin de « l’avertir que de telles actions étaient inacceptables » et qu’il « pourrait être chassé des eaux territoriales russes par une ‘manoeuvre de percussion’ ».
Après cet avertissement, le navire russe a changé de cap pour mettre sa menace à exécution. L’USS John McCain a alors rompu le contact (source : OPEX 360 de Laurent Lagneau). Le destroyer russe n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il avait failli tamponner le croiseur USS Chancellorsille le 7 juin 2019 en mer du Japon lors d’un incident similaire.

Si la manœuvre maritime n’est effectivement pas une première, l’exercice de déploiement rapide de deux batteries HIMARS le 19 novembre a été considéré comme « une surprise » par Moscou, car la base navale de la flotte de la mer Noire de Sébastopol s’est alors trouvée à portée du vecteur MGM-140 ATACMS (pour Army Tactical Missile System, un missile sol-sol balistique tactique pouvant atteindre une distance de 300 kilomètres) qui peut être mis en œuvre par le HIMARS. Ce dernier est un lance-roquette multiple monté sur un camion Army Medium Tactical Vehicle (MTV) dérivé d’un véhicule Steyr. Il peut emporter soit un panier de six roquettes M30A1 (ce qui n’est pas ici le sujet d’inquiétude) soit le missile MGM-140. Ce système a été aérotransporté en Roumanie par avion C-130. Il a été acheté par la Pologne qui ne voit dans ce système qu’une arme « défensive » alors qu’il n’a été employé que ponctuellement contre les forces irakiennes en 2003, car il était jugé comme trop destructeur.

Tous ces incidents voulus (il y a longtemps que les Russes rendent la pareille aux pays de l’OTAN en général et aux États-Unis en particulier (1)) sont destinés à placer le nouveau président américain en position délicate vis-à-vis de son homologue Vladimir Poutine. Ce dernier n’a plus aucune confiance en Washington et il sait que Biden va être le jouet du complexe militaro-industriel qui a intérêt à ce que les tensions montent encore pour engranger de juteux contrats justifiés par la « menace » représentée par l’ours russe. Il est vrai que la déclaration du nouveau président présentant son équipe le 24 novembre a de quoi faire réfléchir sur la suite de la politique qu’il compte mener : « C’est une équipe qui reflète le fait que l’Amérique est de retour, prête à guider le monde ».

1. La Russie reproche aux États-Unis d’avoir rompu ses promesses (non écrites) de ne pas intégrer des pays de l’ex-pacte de Varsovie dans l’OTAN. Depuis, Moscou se sent poussé dans ses retranchements par les administrations américaines successives qui ont besoin d’un « ennemi conventionnel » majeur pour justifier leurs dépenses militaires astronomiques.

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Alain Rodier

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