Mohsen Fakhrizadeh-Mahabadi, un scientifique de haut niveau dans le domaine du nucléaire dit l’ »Oppenheimer iranien » a été assassiné le 27 novembre à l’entrée de la localité d’Absard dans le district de Damavand situé à l’est de Téhéran.
Professeur de physique à l’Université Imam Hussein, il avait le rang de brigadier général au sein des pasdarans. Les services israéliens qui avaient déjà tué quatre scientifiques (Majid Shahriari – 29/11/2010 – Masoud AliMohammadi -12/01/2010 – Dariush Rezaeinejad – 23/07/2011 – Mostafa Ahmadi Roshan – 11/01/2012 -) sont soupçonnés être derrière cette opération homo même s’ils ont fait appel à des sous-traitants.
Les versions de l’attentat sont contradictoires. Il semble que plusieurs tireurs ont fait feu sur la voiture du savant et sur deux véhicules d’escorte dont l’un a tenté de s’interposer. Mais un pick-up situé à une quinzaine de mètres devant la cible a explosé. Les différentes versions font étét soit de douze assaillants à bord de voitures et de motos, soit d’une mitrailleuse télécommandée dans le véhicule qui a explosé… Il semble qu’il n’y ait pas eu de tué (ni de prisonniers) parmi les agresseurs. Cela ne change pas le résultat : Fakhrizadeh-Mahabadi a été évacué vers un hôpital proche mais est il décédé des suites de ses blessures. Il a été inhumé dimanche 29 novembre.

Depuis les opérations homo de 2010/2011, les plus hautes autorités iraniennes et les personnes jugées sensibles (dont les scientifiques travaillant dans les domaines du nucléaire et des missiles) sont protégées en permanence par un service spécial. Il semble qu’il y a eu une « faille » dans son service de protection même s’il s’agissait d’une opération très professionnelle. Il fallait surtout avoir les renseignements bien en amont de manière à tendre cette embuscade au bon endroit et au bon moment.
De vives critiques s’élèvent en Iran sur l’incapacité des services de renseignement de détecter des réseaux d’espionnage dans le pays même alors qu’ils sont accaparés à traquer des journalistes et des intellectuels jugés présenter un danger pour le régime. C’est un véritable camouflet pour eux de constater que rien n’empêche le Mossad de conduire des opérations d’envergure au cœur du pays. On se rappelle le vol d’une demi-tonne de d’archives sensibles comprenant 55 000 fiches et 55 000 documents sous forme de 183 CD en janvier 2018 dans la banlieue sud de Téhéran. Le 7 août 2020, Abdullah Ahmed Abdullah alias Abou Mohamed Al-Masri, un haut responsable d’Al-Qaida « canal historique » vivant en Iran depuis 2001 avait été assassiné par balles avec sa fille Miriam (la veuve de Hamza Ben Laden) par deux motards dans une rue de Téhéran (voir mon article du 16/11 sur raids.fr). La victime avait dirigé le programme AMAD (Espoir) abandonné en 2003 qui était soupçonné dissimuler un programme nucléaire militaire.

Il était bien connu des Israéliens puisque Benjamin Netanyahu avait déclaré en 2018 : « souvenez-vous de ce nom, Fakhrizadeh »…

Un document interne du gouvernement iranien remis en 2007 au Sunday Times désignait Fakhrizadeh-Mahabadi comme le directeur du « Domaine pour l’expansion du déploiement des technologies avancées », un des noms de code de l’organisme iranien qui supervise le développement nucléaire militaire.
Dans ces deux affaires, les assassins directs ne sont probablement pas des Israéliens mais des Iraniens membres de mouvements d’opposition au régime recrutés, formés et équipés par le service action du Mossad (l’unité « Kidon » – baïonnette -). En effet, engager un citoyen israélien comme acteur direct d’une opération homo en Iran est très risqué et la « publicité » qui serait faite par la propagande iranienne serait catastrophique.

En fait, les Israéliens qui avaient arrêté les opérations Homo dirigées contre des scientifiques iraniens sous la pression des Américains qui avaient fini par considérer que le Mossad avait la main lourde particulièrement contre des personnes qui n’avaient jamais tué quiconque, semblent profiter de la vacance du pouvoir en place actuellement à la Maison-Blanche pour pousser leurs cartes avec en espoir une réaction disproportionnée de Téhéran qui obligerait les États-Unis à intervenir.
Cette option est effectivement sur la table car Donald Trump semble hésiter à faire un « dernier grand coup » pour marquer l’Histoire (il a déjà réussi à faire en à peine trois ans et demi ce que n’avait fait aucune administration américaine en plus de trente ans : renouer des relations entre Israël et trois pays arabo-musulmans; transférer l’ambassade à Jérusalem, reconnaître l’annexion du Golan et la légalité des colonies implantées en Cisjordanie, etc.)… Du côté israélien, ils ne peuvent y aller seuls ni sur le plan politique, ni sur le plan opérationnel car le nombre de cibles à traiter est très important car les Iraniens sont passés maîtres dans l’art du leurre.
Beaucoup de cibles répertoriées par les services de renseignement sont fausses. Mais les responsables iraniens savent pertinemment que plus le temps passe et se rapproche de l’investiture en janvier de Joe Biden, plus la menace d’une campagne de bombardements US s’éloigne. Ensuite, ce sera le problème du nouveau président américain qui avait exprimé le souhait de revenir dans l’accord du JCPOA portant sur le nucléaire iranien. Netanyahu doit être ravi de lui avoir savonné la planche car Téhéran est désormais en droit de demander de nouvelles bases de négociations car le couple israélo-américain a assassiné en moins d’un an le chef de la force Al-Qods des pasdarans, le major général Qassem Soleimani, l’ »hôte » égyptien Ahmed Abdullah (certes un responsable d’Al-Qaida dont l’importance réelle au sein de la nébuleuse reste sujette à caution) et enfin son responsable du programme nucléaire…
En dehors des cris habituels de « mort à Israël » proférés au parlement, Téhéran pour l’instant se contente de remettre à l’ordre du jour un projet de loi qui permettrait d’augmenter le niveau d’enrichissement de l’uranium à 20% et plus (actuellement, l’Iran enrichit son uranium à 4%, alors que le taux prévu par l’accord nucléaire est de 3,67%). En outre, cette loi propose d’utiliser les centrifugeuses IR-2M sur le site de Natanz et d’installer des IR-6 sur celui de Fordo alors que l’accord nucléaire n’autorise que l’emploi de centrifugeuses IR-1. Le réacteur d’Arak serait relancé et la construction d’un second serait envisagée. Enfin, les autorités renonceraient au protocole additionnel donnant à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) un accès plus large aux informations fournies par Téhéran dans le domaine nucléaire. Les mesures plus musclées attendront sans doute le départ de Donald Trump car les Iraniens craignent à l’évidence ses réactions imprévisibles.

Ces assassinats ciblés pourraient être assimilés à du « terrorisme d’État » comme c’est le cas pour Téhéran. Il existe toutefois une différence, les Iraniens ont toujours visé – en dehors des opérations menées au Liban dans les années 1980 -, des opposants (leurs propres concitoyens) ou des civils de préférence juifs mais les pertes collatérales ont été immenses dans les attentats commis dans la Corne de l’Afrique ou en Argentine. Les Israéliens sauf à l’origine (lire à ce sujet l’excellent ouvrage de Rohen Bergman : « Lève-toi et tue le premier. L’histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël » paru chez Grasset en février 2020) ont toujours visé des militaires, des miliciens, des activistes, des trafiquants qui avaient une responsabilité opérationnelle, logistique ou technique dans la guerre menée contre l’État hébreu. Certes, cela peut choquer mais comme l’on dit dans les armées: les Israéliens et le directeur du Mossad, Yossi Cohen(1), « n’ont pas d’états d’âme mais des états de service ».
Pour terminer, l’Élysée pourtant prêt à s’indigner vertueusement et rapidement pour des causes aussi diverses que variées reste étrangement silencieux sur cette affaire (le 29/11 soir) à la différence de Londres(2) et de Berlin(3). Que Washington ne s’offusque pas n’étonnera personne…

 

1. Né en Israël en 1961, il sert dans les parachutistes durant son service militaire. Recruté par le Mossad en 1983 alors qu’il n’a que 22 ans, il sert comme Officier traitant (OT). En 2004, le directeur du Mossad Meïr Dagan le nomme chef des opérations iraniennes. À partir de 2006, il est OT dans la division « Tsomet » chargée de recruter et manipuler des sources humaines Il aurait obtenu de beaux succès en recrutant des membres du Hezbollah et des pasdarans. Entre 2013 et 2016, il était conseiller en sécurité du premier ministre Benyamin Netanyahou. Il devient directeur du Mossad en 2016.
2. « Nous sommes préoccupés par la situation en Iran et dans la région », a déclaré sur Sky News le ministre des Affaires étrangères Dominic Raab, appelant à une « désescalade des tensions ». « Nous attendons d’avoir une vue complète des faits […] nous nous en tenons à la règle du droit international humanitaire qui est très clairement contre le fait de cibler des civils », a-t-il déclaré.
3. « Nous sommes profondément préoccupés par des informations provenant de Téhéran sur Mohsen Fakhrizadeh assassiné lors d’une attaque. Nous n’avons pas nos propres informations sur l’incident mais il est évident que l’assassinat de Mohsen Fakhrizadeh va de nouveau empirer la situation dans la région à l’heure où nous tous n’avons pas besoin d’une telle escalade » a déclaré la diplomatie allemande.

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Texte

Alain Rodier

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