Cela fait longtemps que le Mossad a montré qu’il était capable de conduire des opérations clandestines en territoire hostile et plus particulièrement en Iran. En dehors des missions de recueil de renseignement et de vol de documents classifiés où il a excellé, il a mené de nombreuses opérations homo (assassinats ciblés) et arma (destruction de matériels). Dans ce pays, les cibles humaines étaient principalement des personnels travaillant sur les programmes nucléaire et balistique. Cela avait même fini par indisposer Washington qui avait demandé que ces assassinats extrajudiciaires cessent.

Mais, selon le New York Times, le Mossad aurait rempli un contrat pour le compte des Américains cet été en éliminant Abdullah Ahmed Abdullah alias Abou Mohamed Al-Masri. Ces derniers l’avaient localisé et découvert sa fausse identité, mais ils ne pouvaient intervenir directement. Abdullah était l’un des 22 responsables d’Al-Qaida « canal historique » dont la tête figurait sur la première affiche du FBI des personnes recherchées contre récompense parue le 10 octobre 2001 juste après les attentats du 11 septembre. À ce jour, sa photo n’a d’ailleurs pas été retirée et la récompense offerte pour tout renseignement permettant sa capture reste de dix millions de dollars.

Égyptien né en 1963, ancien footballeur professionnel, il aurait rejoint l’Afghanistan en 1988 pour y mener le jihad contre les envahisseurs soviétiques. À la fin de la guerre en 1989, il n’aurait pas été autorisé à revenir en Égypte. En 1992, il aurait accompagné Saif al-Adel (un chef opérationnel d’Al-Qaida qu’il avait connu en Afghanistan) au Soudan. Ben Laden y séjournait et mettait alors sur pied sa nébuleuse sous la protection de l’ « internationale islamique » organisée par Assan al-Tourabi qui dirigeait alors le pays. Abdullah aurait formé des jihadistes en Somalie avant de revenir en 1996 en même temps que Ben Laden en zone pakistano-afghane. En tant que membre du « Majlis Al-Choura » d’Al-Qaida (l’organe de commandement), il est accusé d’avoir planifié les attentats à la bombe du 7 août 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi au Kenya et de Dar es Salam en Tanzanie. Ils avaient causé la mort de 224 personnes et fait plus de 5.000 blessés. Présent sur zone, il serait retourné rapidement en Afghanistan pour s’y remettre à l’abri.

Abdullah, comme beaucoup d’autres membres d’Al-Qaida, s’est réfugié en Iran après l’invasion de l’Afghanistan par les Américains à la fin 2001. Il a été arrêté puis sa libération a été négociée contre celle d’un diplomate iranien pris en otage au Yémen. Il a recouvré la liberté en 2015. À la différence de nombreux membres d’Al-Qaida dans son cas, il est resté en Iran. Nul ne sait si c’était contre son gré.

L’opération Homo

L’opération Homo aurait eu lieu dans une rue de Téhéran le 7 août vers 21 h. Certains observateurs notent la date « anniversaire » des attentats dans la Corne de l’Afrique en 1998, mais ce n’est peut-être qu’un hasard…

Abdullah circulait dans une Renault L90 sedan blanche avec sa fille Miriam âgée de 27 ans, veuve d’Hamza Ben Laden, un des fils d’Oussama Ben Laden(1). Deux motards se sont portés à la hauteur du conducteur et le passager arrière a utilisé un pistolet semi-automatique muni d’un modérateur de son. Il a fait feu à cinq reprises, quatre projectiles atteignant la voiture et un cinquième allant se perdre dans un autre véhicule. Les deux passagers de la Renault ont été tués. Des officiels US parlant sous le sceau de la confidentialité affirment que Miriam était une « dangereuse activiste impliquée dans la planification d’opérations terroristes » à venir. Cette version est possible, mais l’importance des femmes dans la nébuleuse islamique semble toujours avoir été des plus limitées. Alors, est-ce une « perte collatérale » ou un acte d’intimidation montrant que personne n’est épargné ?

Les Israéliens sont désignés, car ils ont parfois utilisé cette méthode en Iran, mais ils préféraient généralement mettre en œuvre une mine ventouse plutôt qu’une arme à feu. Cela permettait aux exécuteurs de s’échapper plus facilement, car tuer un conducteur à bout portant peut provoquer un accident dans lequel les assaillants sont également impliqués.

Les assassins directs ne sont probablement pas des Israéliens(2), mais des Iraniens membres de mouvements d’opposition au régime recrutés, formés et équipés par le Mossad. En effet, engager un citoyen israélien comme acteur direct d’une opération homo en Iran est très risqué. À savoir qu’en cas de capture, l’État hébreu serait alors mis dans une position très inconfortable : soit de laisser pendre un de ses officiers opérationnels comme ce fut le cas pour Eliyahu Ben-Shaul Cohen en Syrie en 1965, soit d’avoir à négocier comme cela est arrivé pour libérer deux officiers opérationnels arrêtés en Jordanie en septembre 1997 alors qu’ils avaient tenté d’assassiner Khaled Mechaal, alors responsable du Hamas dans ce pays. Dans les deux cas, la « publicité » qui serait faite par la propagande iranienne serait catastrophique.

De nombreuses contradictions

Selon Téhéran, cette action a bien eu lieu, mais les victimes étaient Habib Daoud (ou Dawoodi), un professeur d’Histoire libanais membre du Hezbollah, et sa fille Maryam. Toutefois, aucun « professeur Habib Daoud » ne serait répertorié au Liban.

Les Américains n’ont pas retiré la fiche du terroriste sur leur avis de recherche, mais c’est peut-être un leurre. D’ailleurs, Donald Trump n’a pas utilisé cette « victoire sur le terrorisme » lors de sa campagne électorale. Deux solutions, soit il n’avait pas été informé(3), soit tout cela est faux.

Al-Qaida n’a pas annoncé la mort d’un de ses responsables de la première heure. Mais, malgré l’importance qui est donnée à ce personnage par la propagande américaine, il est vraisemblable que cet ancien joueur de foot n’occupait plus qu’une position logistique et financière marginale au sein de la nébuleuse et, surtout, il n’a pas rejoint, peut-être à sa demande, un théâtre de guerre après son élargissement de 2015. Il ne présentait sans doute plus beaucoup d’intérêt pour Ayman Al-Zawahiri.

Enfin, pourquoi le NYT, vraisemblablement informé par les Israéliens, ne sort cette affaire qu’aujourd’hui ? Tout cela laisse à penser à une tentative d’influence dirigée vers la nouvelle administration Biden qui se profile à la Maison-Blanche. Pour Israël, il faut absolument la convaincre que l’Iran reste l’ennemi numéro un du monde civilisé en général et américain en particulier. En plus de toutes ses autres turpitudes qui lui sont reprochées, ce pays entretiendrait des relations avec Al-Qaida… S’il est vrai que Téhéran a accueilli fin 2001 de nombreux membres de cette organisation salafiste-jihadiste dont une partie de la famille Ben Laden, il est vraisemblable que ces « réfugiés » lui ont servi de monnaie d’échange contre la nébuleuse qui a dû mettre un sérieux bémol à son anti-chiisme primaire.

Cela dit, les services iraniens ont ainsi eu le loisir de manipuler une partie d’Al-Qaida à des fins détournées. Il est difficile d’imaginer qu’ils n’aient pas utilisé cet atout qui leur était offert sur un plateau d’autant qu’après les attentats de 2001, Téhéran avait proposé à Washington de coopérer dans la traque de leurs auteurs. Cette offre avait alors été rejetée avec dédain.

Enfin, il convient de se méfier des fausses informations ou de celles qui sont manipulées. Ainsi, l’administration du président Bush Junior avait bien affirmé en 2002/2003 que le régime de Saddam Hussein entretenait des liens opérationnels avec Al-Qaida, ce qui s’est avéré être faux (comme la présence d’armes chimiques et d’un programme nucléaire). La dernière rumeur qui court, c’est qu’Ayman al-Zawahiri est décédé il y a quelques semaines de mort naturelle. Avant d’en tirer des conclusions, il est indispensable d’obtenir une confirmation. Cela dit, le mieux placé pour lui succéder n’était pas Abdullah Ahmed Abdullah, mais Saif al-Adel(4), un ancien officier des forces spéciales égyptiennes qui a un passé opérationnel bien rempli. Son nom avait d’ailleurs été cité après la mort de Ben Laden, mais c’est Zawahiri, plus connu des militants de base, qui avait été désigné par le majlis al-choura.

 

1 – tué par une frappe aérienne américaine en Afghanistan fin 2019. Le mariage avait eu lieu en 2006 alors qu’elle avait douze ans.
2 – Membres de l’unité « Kidon » (« baïonnette »), le « Service Action » du Mossad qui dépend de la Direction des opérations basée à Césarée.
3 – Le Pentagone a bien admis avoir caché au président Trump que ses consignes d’alléger le dispositif militaire US en Syrie n’avaient volontairement pas été suivies d’effets. Alors la CIA a parfaitement pu dissimuler cette opération qu’elle aurait menée avec le Mossad…
4 – Sa véritable identité serait Mohammed Salah al-Din Zaidan même si la fiche de recherche du FBI mentionne toujours Mohammed Ibrahim Makkawi et Ibrahim Al-Madani.

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Texte

Alain Rodier

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