Eddie Idrees (un pseudonyme) est un Afghan qui a servi d’interprète (tarjiman) aux Forces spéciales américaines (2004-2009) puis aux SAS Britanniques (2009-2012) en Afghanistan.

Il a livré un témoignage poignant sur sa guerre puis sa vie en Grande Bretagne où il est arrivé en 2012. Cette partie est particulièrement instructive pour comprendre notre société. En effet, il affirme avoir découvert que l’« ennemi l’avait précédé ».

Son père, officier de carrière, avait du fuir l’Afghanistan pour le Pakistan à l’arrivée des taliban au pouvoir (1994). C’est là qu’Idrees avait appris l’anglais avant de pouvoir rentrer au pays après l’intervention de la coalition internationale emmenée par les Américains fin 2001 suite aux attentats du 11 septembre.

Il a été recruté en 2004 par les Américains comme interprète avant de travailler avec les SAS britanniques de 2009 à 2012. Selon ses dires, il aurait effectué plus de 500 missions de combat. Dénoncé dans son pays d’origine comme « infidèle […] traître […] et souteneur (la pire insulte dans la société afghane) », il s’est également mis des forces de police afghanes à dos ne voulant pas participer à la corruption généralisée qui y règnerait.

Pour sa propre sécurité et pour celle de sa famille, il a été contraint d’émigrer en Grande Bretagne en suivant le parcours classique de tout demandeur d’asile, c’est-à-dire en compagnie d’autres Afghans qui souhaitaient faire de même.

Lors de son parcours de refuges en centres de regroupement, à sa grande stupéfaction, il s’est aperçu que ses compagnons d’infortune ne connaissaient rien de la Grande Bretagne et de sa culture en dehors de ce qu’ils avaient pu apprendre au sein de leurs petites communautés d’origine vivant repliées sur elles-mêmes. Ils croyaient plus dans les mythes et les rumeurs colportées que dans les faits. Ils étaient même fiers de leur ignorance qu’ils arboraient comme une décoration honorifique, ne croyant qu’en la propagande qui leur avait été délivrée par les taliban.

Servant d’interprète à des Afghans et à des Pakistanais, il a été le témoin de scènes hallucinantes qui incluaient des violences domestiques, des viols, des abus sur enfants, des trafics de drogue et de contrebande.

Mais il a surtout été stupéfait par la présence permanente et généralisée de l’idéologie des taliban (NdA : le retour à l’islam des origines et l’application stricte de la charia). Il pensait l’avoir laissé derrière lui mais il s’est aperçu qu’elle était profondément ancrée dans ces communautés immigrées. Ces dernières sont encadrées par des imams autoproclamés dont l’un a déclaré à des enquêteurs britanniques en sa présence (comme interprète) : « bien sûr que nous vous haïssons. Vous bombardez nos pays ». Pour lui, avec des telles convictions, il était impossible de débattre.

La majorité des réfugiés qu’il a côtoyé vénéraient les taliban et haïssait l’Occident en général et la Grande Bretagne en particulier. Par contre, il n’est pas parvenu à leur faire dire pourquoi ils avaient migré vers un pays qu’ils détestaient tant. Par contre ils affirmaient continuer à vénérer les taliban car c’était mieux de leur temps et que les femmes pouvaient mieux « garder leur honneur » alors qu’elles ne sont que des esclaves dont le seul but est de servir les hommes. Les études leur sont interdites et elles doivent être accompagné par un homme male (NdA: membre de leur famille) partout où elle vont.

Certains lui ont même demandé qu’il reparte en Afghanistan pour rejoindre les taliban pour libérer le pays des infidèles.

Il fait part de sa déception, lui qui a passé sa vie à lutter pour faire entrer son pays dans le monde moderne, pour l’extraire de la tradition aveugle et de l’ignorance religieuse et enfin connaître la paix. Tout cela pour finalement découvrir que cette guerre à laquelle il a participé en Afghanistan contre « l’ignorance, l’injustice et le diable (sic) » s’était infiltré en Grande Bretagne. Il croyait découvrir un pays rationnel – celui qu’il aime – et n’avait constaté qu’une profonde et sombre ignorance au sein des migrants musulmans afghans et de la communauté asiatique ( NdA : il veut sans doute parler des Pakistanais et des Bangladeshis).

Il a alors décidé de faire de son mieux pour contrer cela et a dit aux migrants arrivés récemment qu’ils n’avaient pas traversé des milliers de kilomètres pour se faire dicter leur conduite par « un idiot avec une barbe (sic) ». Mais, pour lui, un trop grand nombre restent enfermés dans un ghetto mental qui est désespérant et dangereux.
Enfin, il estime que les leaders actuels des taliban sont pour la plupart incultes. Ils ne croient pas dans la science ou la recherche mais dans la loi barbare et le patriarcat.
Et le pire pour lui réside dans le fait que beaucoup de Britanniques encouragent cette terrible mystification sous couvert de multiculturalisme.
Il a repensé retourner en Afghanistan mais ses amis des SAS lui ont déconseillé car il était devenu une cible à abattre.

Ce témoignage renvoie aux cas des employés afghans de l’armée française en Afghanistan de 2002 à 2014 : interprètes, cuisiniers, vigiles, etc. 800 ont demandé à rejoindre la France car étant menacés dans leur vie en raison de leur statut de « collaborateurs » des « infidèles ». 260 aurait aujourd’hui été accueillis mais, comme leur collègue britannique, ils doivent être bien surpris par ce qu’ils découvrent dans la douce France.

Référence : Special Forces Interpreter de Eddie Idrees chez Pen & Sword. 2021.
PS : pour les lecteurs intéressés, on écrit « un taleb » et « des taliban » sans « s » à la fin.

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Texte

Alain Rodier

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