Le 11 mai, l’ambassadeur des États-Unis en Afrique du Sud, Reuben Brigety, a affirmé que le « Lady R », un cargo de containers Ro-Ro propriété de la compagnie maritime russe MG-FLOT, avait été chargé de munitions et d'armes au Cap en décembre dernier.

De son côté, les autorités sud-africaines ont répondu n’avoir aucune trace de vente d’armes mais le président Cyril Ramaphosa a toutefois ordonné aux douanes (« South African Revenue Service » SARS) de mener une enquête qui fait suite aux accusations portées.

Le porte-parole du département de la Défense américain, John Kirby, a estimé qu’il s’agissait d’un « problème sérieux » et que les États-Unis avaient constamment exhorté les pays à ne pas soutenir la guerre de la Russie en Ukraine.

Toutefois, après avoir rencontré le ministère des Affaires étrangères, M. Brigety a déclaré qu’il était « reconnaissant d’avoir l’opportunité de … corriger toute fausse impression laissée par mes remarques publiques. » Par ailleurs, il « a réaffirmé le partenariat solide entre nos deux pays et l’important programme que nos présidents nous ont confié. » En réalité, il n’a pas remis en cause ses accusations s’excusant juste der la « manière » peu diplomatique qu’il avait employé.

Mme Khumbudzo Ntshavheni, ministre sud-africaine auprès de la présidence, a de son côté dénoncé une « diplomatie du mégaphone », affirmant que l’Afrique du Sud ne pouvait pas être « intimidée par les États-Unis […] ce sont les États-Unis qui ont des sanctions contre la Russie … ils ne doivent pas nous entraîner dans leurs problèmes avec la Russie ».

Le lendemain (le 12 mai), le président Vladimir Poutine s’est entretenu téléphoniquement avec son homologue sud-africain et les deux gouvernants ont convenu d’approfondir « des liens mutuellement bénéfiques. »

Les faits

Il est exact que le « Lady R » a fait escale dans la base navale de Simon’s Town près du Cap les 7 et 8 décembre derniers, suscitant alors des questions de la part des politiciens locaux. Un chargement du navire serait intervenu dans la nuit du 7 au 8 décembre. Il reste à déterminer la nature de cette cargaison.

À noter que le « Lady R » avait quitté son port d’attache de Novorossiysk en Mer noire le 3 octobre 2022, il avait passé le détroit de Gibraltar le 19 octobre puis fait le tour du continent africain faisant escale à Lomé (Togo) puis à Douala (Cameroun) au début novembre. Il avait coupé son transpondeur arrivant an niveau du Cap Horn.

Suite à son escale en Afrique du Sud, il avait poursuivi son périple faisant halte à Beira au Mozambique puis à Port Soudan. Il était revenu via le canal de Suez à Novorossiysk le 23 février 2023.

Si les accusations sont fondées, l’Afrique du Sud aurait violé sa propre loi sur le contrôle des armes qui affirme « ne pas commercer d’armes conventionnelles avec des États engagés dans la répression, l’agression ou le terrorisme ».

L’Afrique du Sud est l’un des pays à s’être abstenu lors d’un certain nombre de votes de l’ONU sur le conflit et a refusé de condamner publiquement la Russie, insistant sur le fait qu’elle n’est pas alignée sur la question et dit qu’elle soutient plutôt un règlement politique du conflit.

Certains membres du Congrès national africain (ANC) au pouvoir semblent avoir une affection persistante pour la Russie en raison du soutien de l’URSS de l’époque à leur lutte contre le régime contre l’apartheid. Mais dans l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, beaucoup se demandent si cette « histoire d’amour » sert vraiment les intérêts du pays. Les experts affirment que relations commerciales avec l’Occident sont beaucoup plus importantes qu’avec la Russie.

Certains s’inquiètent d’un éventuel impact économique négatif si les liens avec les États-Unis se tendaient davantage. La monnaie du pays, le rand, qui est en difficulté depuis des semaines à la suite de mois de coupures de courant, s’est encore affaiblie suite aux accusations de l’ambassadeur américain.

Curieusement juste après cette affaire, le lieutenant-général Lawrence Mbatha, commandant des forces terrestres sud-africaines, s’est rendu à Moscou le 15 mai pour rencontrer son homologue russe, le colonel général Oleg Salyukov. Les entretiens auraient porté sur des « questions relatives à la coopération et à l’interaction militaires visant à la mise en œuvre de projets visant à améliorer la préparation au combat des forces armées des deux pays ».

La délégation sud-africaine a visité les camps d’entraînement des forces terrestres russes et des entreprises de l’industrie de la défense.

 

Plus généralement, les pays africains ont dénoncé moins unanimement que l’Occident l’invasion russe de l’Ukraine. L’an dernier, le Sénégal et l’Afrique du Sud se sont notamment abstenus lors du vote à l’ONU d’une résolution condamnant Moscou. L’Érythrée a voté contre mais le Kenya et le Rwanda se rangeaient du côté occidental.

Enfin, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, a déclaré le 16 mai :

« Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky ont accepté de recevoir la mission et les chefs d’État africains (Afrique du Sud, Sénégal, Zambie, Congo, Ouganda et Égypte) à Moscou et à Kiev […] J’ai convenu avec le président Poutine et le président Zelensky de lancer les préparatifs avec les chefs d’État africains ». Il n’a pas précisé le calendrier de la mission. Il a terminé en affirmant que « la réussite ou l’échec de cette initiative dépendra des discussions qui auront lieu ».

Enfin, il reste le problème de la venue du président Poutine au sommet des BRICS (organisation regroupant depuis 2011 le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud)(1) prévu en août à Pretoria. Or ce dernier est visé par un mandat de la Cour pénale internationale qui devrait logiquement conduire à son arrestation… Il est possible qu’il ne vienne pas mais aucune option n’est à exclure.

L’expérience semble montrer que de plus en plus de pays se montrent rétifs aux injonctions des États-Unis vis-à-vis de la Russie. Ainsi, Washington avait demandé à l’Égypte et à l’Arabie saoudite de fermer leur espace aérien aux vols militaires russes. Les deux pays n’ont pas donné suite. La Turquie a été priée de fournir un système S-400 qu’elle a acquis à la Russie pour « étude » ; elle a refusé, etc.

 

1.     Selon des données fournies par l’institut de recherche britannique Acorn Macro Consulting, les BRICS ont désormais un poids économique plus important que le G7 qui réunit les sept pays les plus industrialisés de la planète : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni.

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Texte

Alain Rodier