Le Département du trésor américain a annoncé le 28 juillet qu’il inscrivait sur sa liste noire deux personnes, l’une pour appartenance à Al-Qaida « canal historique », l’autre pour ses liens avec le Hayat Tahrir al-Cham (Organisation de Libération du Levant) Tahrir al Cham (HTC). Ce mouvement est né de l’alliance de six groupes salafistes-jihadistes le 28 janvier 2017. Le Parmi eux le Front Fatah al-Cham (ancien Front Al-Nosra) dont l’émir Abou Mohammed al-Joulani alias Ahmed Hussein al-Chara a rompu avec Al-Qaida le 28 juillet 2016. 

Le premier est Hasan al-Shaban, un Syrien né en 1987 qui est présenté comme un « intermédiaire financier d’Al-Qaida en Turquie ». Il aiderait « matériellement » la nébuleuse de par le monde. Il faciliterait les dons via un organisme financier baptisé « Al Shaban » qui seraient ensuite reversés aux moudjahiddines en Syrie.

Il aurait a été localisé à Gaziantep mais aurait aussi séjourné à Manbij en Syrie. Le deuxième suspect est le Tadjik Farrukh Furkatovitch Fayzimatov alias Faruk al-Shami né en mars 1996 qui utilise les réseaux sociaux pour se livrer à de la propagande, recruter de nouveaux membres et solliciter des dons pour le HTC. Il aurait aussi participé au financement de l’achat de matériels pour le HTC, en particulier des motos. Il résiderait dans la province d’Idlib.

Fait troublant, le Russe d’origine tchétchène Abdoullakh Anzorov qui a assassiné le 16 octobre 2020 le professeur Samuel Paty à Eragny dans le Val d’Oise, aurait échangé des tweets en russe avec Faruk al-Shami (et un autre jihadiste non identifié mais vivant aussi dans la région d’Idlib tenue majoritairement par le HTC).
Le HTC qui tente par tous les moyens de se bâtir une respectabilité – notamment en assurant lutter uniquement pour abattre le régime de Bachar el-Assad et surtout ne pas représenter une menace pour les pays occidentaux -, a démenti être derrière cette action terroriste ayant eu lieu sur le sol français. Par ailleurs, le meurtrier a revendiqué son acte au nom de Daech. Comme Anzorov il a été neutralisé par la police, il est difficile de savoir quelle ont été la nature de ces échanges mais il est légitime de penser qu’ils n’ont pas discuté de la météo…

Selon Washington, la Turquie continue à être un point de passage pour les finances d’Al-Qaida mais aussi pour Daech. En novembre 2019, le Département du trésor avait déjà désigné deux frères, Ismail et Ahmet Bayaltun, pour leur rôle d’intermédiaires dans les transferts de fonds pour l’EI en Turquie.

Plus tôt en janvier 2019, le réseau dit « Rawi » qui avait été utilisé à l’origine par Saddam Hussein pour échapper aux sanctions US, était devenu un moyen utilisé par Daech en Irak mais aussi dans ses wilayats étrangères.

En 2017, Salim Mustafa Muhammad al-Mansur qui avait été le responsable financier de Daech pour Mossoul lors de l’occupation de la ville puis qui s’était réfugié en Turquie où il avait été dénoncé par les USA.

Les relations de la Turquie avec les mouvements islamo-politiques sont anciennes (et datent d’une dizaine d’années avant l’arrivée de Recep Tayyip Erdoğan au pouvoir). Les groupes islamiques ne dérangent pas le pouvoir d’Ankara tant qu’ils ne représentent pas un danger pour lui. C’est ainsi que la Turquie s’est retrouvée comme une terre d’accueil et de transit pour des révolutionnaires-jihadistes de toutes tendances (sauf chiites) depuis le début des années 1990. La première cause à défendre a d’abord été tchétchène, même si une partie des activistes rejoignaient Al-Qaida « canal historique ».

Ensuite, des générations de jihadistes se sont succédé sur place avant de rejoindre d’autres fronts : le Xinjiang, l’Afghanistan, la Syrie, l’Égypte. L’expansion ces dernières années de la Turquie vers le continent africain peut laisser craindre que des jihadistes ne se soient glissés dans les bagages. Il n’en reste pas moins que l’armée turque est présente aux côtés des forces gouvernementales somaliennes qui luttent contre les shebabs dépendant d’Al-Qaida et la wilayat somalie de Daech. C’est la manière turque de mener une politique du « en même temps ».

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Texte

Alain Rodier

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