Le président Joe Biden a annoncé lundi 26 juillet au premier ministre irakien, Moustafa al-Kazimi qu’il recevait à la Maison-Blanche : « il n'y aura plus de forces avec une mission de combat d’ici au 31 décembre 2021 » en Irak. Cependant, il n’a pas été question d’un retrait complet comme cela se passe actuellement en Afghanistan.

Depuis 2017, le Pentagone ne donne plus les effectifs en Irak (9.000 à l’époque – sans doute 2.500 actuellement -) ni en Syrie). Il a ajouté : « La relation va évoluer complètement vers un rôle de formation, conseil, assistance et partage de renseignements » des forces irakiennes engagées contre Daech (qui se reconstitue progressivement). Washington semble toutefois craindre que le scénario du retrait de 2011 qui avait permis l’émergence de Daech obligeant à un redéploiement en 2014 ne se renouvelle.

Cela avait été une catastrophe sur le plan de la politique intérieure américaine, ce qui peut expliquer en partie l’émergence de Donald Trump qui avait ensuite été élu président le 8 novembre 2016.

Pour le vice-chef d’état-major des armées US, le général John E. Hyten, il ne s’agit en aucun cas d’« ignorer les menaces au Moyen-Orient mais de nous positionner d’une façon différente, avec une empreinte au sol plus légère, de façon à ce que nous puissions nous concentrer sur les menaces russes et chinoises ».

Dans les faits, les effectifs américains stationnés en Irak devraient rester à peu près les mêmes mais ils ne devraient pas être engagés directement dans les combats (la question se pose toutefois pour l’appui aérien). Il s’agit d’un « coup politique » destiné à donner un coup de main au Premier ministre avant les élections législatives prévue le 10 octobre de cette année. Considéré comme un véritable « allié » des USA, il avait toutefois été contraint de demander le départ des forces étrangères suite au profond ressentiment populaire qu’avait provoqué l’assassinat le 3 janvier 2020 à l’aéroport de Bagdad du major général iranien Qassem Soleimani et de son ami et chef opérationnel des milices chiites Hachd al-Chaabi, Jamal Jaafar Mohamad Ali al-Ibrahim alias Abou Mehdi al-Mouhandis. Cet appel avait été renouvelé en 2021 suite à un raid mené par l’aviation américaine le 27 juin sur des installations de milices chiites irakiennes situées à la frontière syrienne en écho à de nombreux harcèlements à la roquette, au mortier ou avec des drones de bases irakiennes accueillant des militaires américains à Bagdad et sur l’aéroport d’Erbil.

Il n’empêche que cette déclaration a rencontré l’assentiment du leader politico-religieux Moqtada al-Sadr et de l’organisation Badr dirigée par Hadi al-Ameri (également un ancien fidèle de Soleimani). La brigade Imam Ali qui fait partie des Hachd al-Chaabi mais qui est proche de l’Ayatollah Ali-Al Sistani, la plus haute autorité religieuses chiite en Irak, s’est félicité de la « fin de la présence étrangère » dans le pays. Par contre, les membres des mouvements Kata’ib Hezbollah et du Comité de coordination de la résistance irakienne soutenus par Téhéran ont affirmé qu’il n’y aurait pas de paix tant qu’un soldat américain serait présent dans le pays.

En effet, les Iraniens restent encore en position de force en Irak même si la disparition de Soleimani et son remplacement par son pâle second Ismael Qaani leur ont fait perdre l’autorité naturelle qu’ils exerçaient de fait sur les milices chiites irakiennes. Pour comprendre cela, il faut savoir que le guide suprême de la Révolution islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, ne dirige pas l’Iran et sa politique étrangère en descendant dans les détails. Il délègue beaucoup de son autorité à des échelons intermédiaires. De son vivant, Soleimani qui avait toute sa confiance menait donc la politique qui lui semblait bonne pour l’Iran en Irak puis en Syrie (1).

Le brigadier général Qaani qui n’est pas un spécialiste de la région étant précédemment plutôt chargé des pays situés à l’est de l’Iran (Afghanistan, Pakistan) tente bien de récupérer le flambeau de son prédécesseur. Mais il présente plusieurs défauts dont le plus important est de ne pas être aussi proche de l’ayatollah Khamenei que l’était Soleimani. D’ailleurs, il n’a pas encore été promu au rang de major général qui était celui de son prédécesseur depuis 2011.

À l’évidence, il n’a pas le charisme de Soleimani dont les interlocuteurs reconnaissaient l’autorité naturelle car, pour eux, « il faisait l’Histoire ». Détail important : il ne parle pas l’arabe. Tout cela fait que les chefs des milices chiites irakiennes prennent désormais des initiatives qui ne vont pas dans le sens de ce que voudrait Qaani car ils ne reconnaissent pas en lui l’autorité supérieure. C’est pour cela qu’ils ont continué à leur initiative de harceler les installations américaines situées en Zone Verte à Bagdad et l’aéroport d’Erbil.

Moustafa al-Kazimi qui assume ses fonctions depuis le 7 mai 2020 a bien tenté de mettre au pas les milices mais ses déclarations sont restées purement rhétoriques. C’est pour cette raison que les Américains n’évacuent pas vraiment l’Irak. Ils veulent faire barrage à Téhéran en coupant le croissant chiite en deux. Le combat contre Daech, même s’il est réel car ce mouvement salafiste-jihadiste représente toujours un danger de premier ordre, n’est que le prétexte qui, d’ailleurs, n’est pas utilisé en Afghanistan.

1. L’invasion de l’Irak en 2003 par la coalition emmenée par Washington a ouvert les portes de ce pays à majorité chiite à Téhéran qui a agi dès 2006 à travers des milices locales qui ont pris de plus en plus d’importance sur le plan militaire et politique. La révolution de 2011 en Syrie a ensuite permis à l’Iran d’étendre son influence dans ce pays constituant ainsi l’embryon du « croissant chiite » qui se termine au Liban.

 

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Texte

Alain Rodier

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