Hassan Irlu(1), l’« ambassadeur » d’Iran à Sanaa auprès du « gouvernement » houthi aurait été exfiltré du Yémen le 18 décembre. La version officielle serait qu’ayant attrapé la COVID, il doit se faire soigner à Téhéran. Riyad voit dans ce départ une mésentente entre les Houthis et Téhéran.

Irlu aurait été infiltré à Sanaa, la capitale du Yémen (conquise par les rebelles houthis en 2014) en octobre 2019. Il a alors officiellement présenté ses lettres de créances au gouvernement houthi qui siège à Sanaa. Selon le site Ababil Net, il serait arrivé clandestinement dans un avion de l’ONU ramenant des blessés et des anciens prisonniers. Irlu et douze de ses collaborateurs munis de faux papiers se seraient mêlés aux passagers.

Il aurait le rang de brigadier général au sein de la force Al-Qods des pasdarans et aurait été un proche du major général Qassem Soleimani (tué par un drone américain à Bagdad le 3 janvier 2020). Il a d’ailleurs participé à une manifestation donnée à sa mémoire à Sanaa le 2 janvier 2021 (photo ci-dessous).

Ses deux frères auraient été tués au combat lors de la guerre Iran-Irak.

Au Yémen, il aurait coopéré avec le brigadier général Abdul Reza Shahla’i (également membre de la force Al-Qods) qui a une prime de 15 millions de dollars qui pèse sur sa tête (photo en fin de texte). Les Américains ont reconnu qu’ils avaient tenté vainement de neutraliser Shahla’i au Yémen, sans doute en même temps que Qassem Soleimani en Irak. Il a ensuite été donné pour mort par les Saoudiens mais Téhéran n’a jamais confirmé ce fait(2).

En décembre 2020, le Département du trésor a officiellement sanctionné Irlu pour terrorisme en le décrivant comme un officier pasdaran ayant notamment participé à la formation d’activistes du Hezbollah libanais au camp militaire de Bahonar situé au nord de Téhéran puis en assurant l’approvisionnement en armes des Houthis. Il a aussi été condamné par contumace par un tribunal des forces armées légales yéménites pour espionnage, sabotage et participation à des actions hostiles contre des citoyens et des membres de l’armée yéménite.

Une fois sur place à Sanaa, il aurait étroitement aidé les Houthis en particulier dans la programmation des opérations militaires mais son influence aurait peu à peu été mal perçue par les intéressés. Il serait devenu un « problème politique ». Ce n’est pas la première fois qu’un conseiller de la force Al-Qods indispose les autorités qu’il est censé aider(3)…

Il semble que son départ ait été plus compliqué à organiser. Selon Saeed Khatibzadeh, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien, Téhéran aurait contacté quelques « pays de la région » pour aider à son transfert vers l’Iran pour y être soigné. De leur côté, les Houthis auraient demandé aux Saoudiens qui assurent le blocus aérien de Sanaa de laisser passer un vol iranien vers Téhéran. La « communication » serait passée via Bagdad). Ils auraient assuré qu’Irlu ne serait pas remplacé.

Riyad (qui s’est réjoui de cette nouvelle pensant qu’elle est le signe de dissensions entre les Houthis et l’Iran) a exigé qu’il prenne un avion omanais ou irakien et que des prisonniers de haut rang saoudiens soient libérés. Il semble qu’une autre solution ait été trouvée par la force Al-Qods puisque son retour en Iran a été annoncé le 18 décembre. Il aurait été immédiatement transporté vers un hôpital de Téhéran.

Les rebelles houthis tentent depuis plusieurs mois de s’emparer de la totalité de la province Marib(4) riche en pétrole. Cette bataille est jugée cruciale par les deux camps car le sort de la guerre en dépendrait. Après l’échec des négociations conduites par l’ONU pour arriver à un cessez-le-feu, l’Arabie saoudite a repris encore plus intensément ses frappes aériennes mais cette fois tentant d’atteindre des conseillers iraniens et libanais (du Hezbollah libanais).

En ce qui concerne le départ de l’« ambassadeur » iranien à Sanaa, en dehors des options d’une contamination réelle par la COVID et une mésentente de ce dernier avec les Houthis (qui ont toujours été très jaloux de leur indépendance), une troisième hypothèse n’a pas été évoquée : la volonté de Téhéran de faire un geste de bonne volonté (certes minime) dans le cadre des négociations JCPOA (accord de Vienne sur le nucléaire iranien, Joint Comprehensive Plan of Action) qui se déroulent actuellement en Suisse.

1. ou Hassan Irloo. Il n’est pas certain que cette identité soit la bonne. Il y a trois autres ambassades encore ouvertes à Sanaa : celles d’Éthiopie, du Maroc et de Djibouti.
2. Les Iraniens ont pour habitude d’honorer leurs « martyrs ». Le fait que la mort de Shahla’i n’ait jamais été évoquée laisse à penser qu’il est toujours vivant.
3. Voir « Syrie : Bachar el Assad en quête de légitimité ? » du 16 novembre 2021.
4. Voir « Yémen : combats acharnés dans le gouvernorat de Marib » du 12 octobre 2021.

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Texte

Alain Rodier

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