Globalement, la situation se détériore dans le sud de la Syrie en raison de la multiplication des combats qui opposent des tribus sunnites à des milices druzes. Mais, même ses dernières ne sont pas unifiées écartelés entre les responsables qui se sont rangés derrière le nouveau pouvoir du président Ahmed al-Charaa, ceux qui veulent garder leur autonomie et enfin les Druzes qui sont proches d’Israël.

L’État hébreu profite de cette situation pour intervenir militairement par les airs de manière à contenir l’influence du nouveau gouvernement auquel il ne reconnaît pas le droit de représenter l’ensemble de la Syrie. En clair Israël privilégie à terme la partition de la Syrie un peu comme cela s’est passé en Libye suite à la chute du dictateur Mohammed Kadhafi.

Pour sa part, la Turquie qui se considère un peu comme le « parrain » du nouveau pouvoir syrien mais dont l’objectif premier consiste à affaiblir les Kurdes syriens – qu’elle considère comme des « cousins du PKK – soit disant en favorisant leur intégration dans la nouvelle Syrie, ce qui devrait intervenir d’ici la fin de l’année(1). Mais force est de constater que l’aviation turque qui est en alerte permanente dans le ciel syrien se garde bien d’intervenir contre son homologue israélienne qui a mené plus de 500 opérations dans le pays depuis la chute de Bachar el-Assad en décembre 2024.

Pourquoi les Druzes sont divisés

La communauté religieuse druze est un groupe minoritaire né au Xème siècle descendant de l’ismaélisme, une branche de l’islam chiite. Plus de la moitié du million de Druzes dans le monde vivent en Syrie, principalement dans la province de Suwayda (Soueida) au sud du pays, et dans certaines banlieues sud de Damas.

La plupart des autres Druzes vivent au Liban et en Israël, notamment sur le plateau du Golan, conquis par Israël à la Syrie lors de la guerre de 1967 et annexé en 1981.

En Israël et sur le plateau du Golan, on compte environ 150.000 Druzes. La plupart de ces derniers ont la nationalité israélienne et servent dans l’armée sauf les quelque 23.000 personnes qui vivent sur le Golan annexé qui se considèrent toujours comme syriens.

Du temps de Bachar el-Assad, des clans kurdes 6 surtout ceux implanté dans la capitale – s’étaient tournés vers le pouvoir, d’autres étaient entrés peu à peu en rébellion tout en ne s’alliant pas aux jihadistes-islamistes.

Situation sur le terrain

La situation s’est considérablement détériorée dans la région de Soueïda (Suwayda) et dans les banlieues sud de Damas depuis la fin avril de jours faisant plus d’une centaine de morts.

Les violences ont été dénoncées par le chef spirituel des Druzes syriens, Hikmat al-Hijri, comme une « campagne génocidaire. » Il a appelé à une intervention immédiate des « forces internationales pour maintenir la paix et empêcher la poursuite de ces crimes. » al-Hijri est formellement opposé au nouveau pouvoir en place à Damas et allié d’Israël.

Muwaffaq Tarif, le chef spirituel de la communauté druze en Israël, a exhorté l’État hébreu à intervenir et à mettre fin à ce qu’il a décrit comme un « massacre en préparation » à Jaramana, une banlieue sud-est de Damas qui abrite des Druzes mais aussi des chrétiens et des alaouites : « Israël ne peut rester passif face à ce qui se passe actuellement en Syrie.»

À Suwayda, des activistes fidèles au Cheikh Hikmat al-Hijri, assiègent le quartier général des combattants de Laith al-Balous, lui-même fidèle au nouveau pouvoir de Damas. Mais le drapeau druze flotte toujours sur le bâtiment comme pour montrer que la communauté fidèle à Hikmat al-Hijri n’est pas la seule représentative de la « cause druze ».

Al-Balous vient d’échapper à une tentative d’assassinat et pour mémoire, son père Wahid avait été assassiné en 2022 par les services d’el-Assad mais la rumeur prétend que cela s’était passé avec la complicité d’al-Hijri et à la connaissance d’Israël…

Sa faction (Ahl al Karamah) la plus importante milice druze de Syrie, a réitéré sa loyauté envers l’État syrien, tout en soulignant que le désarmement devait se faire par étapes afin d’instaurer la confiance. Un dirigeant local a déclaré : « nos armes ne visent personne ; elles servent à l’autodéfense.»

L’escalade de la violence survenue fin avril a débuté après la diffusion le 28 d’un enregistrement audio attribué à un responsable druze insultant le prophète Mahomet, ce qui a suscité l’indignation des musulmans.

Ce dernier, Marwan Kiwan, a nié toute implication et le ministère de l’Intérieur a publié un communiqué le disculpant : « l’individu accusé d’avoir tenu ces propos offensants n’était pas lié de manière concluante à la voix figurant dans l’enregistrement. » Ce communiqué remercie également les citoyens pour leur « défense religieuse sincère de l’honneur du Prophète », tout en exhortant chacun à respecter l’ordre public et à éviter toute action, individuelle ou collective, susceptible de perturber la sécurité publique ou de porter atteinte aux personnes et aux biens.»

Mais des combats ont éclaté dans les quartiers de Sahnaya et Jaramana au sud de Damas.
16 membres du Service de sécurité générale (druze) y avaient été tués lors d’une attaque contre un quartier général.

Les milices druzes fidèles à Hikmat al-Hijri ont envoyé un convoi de Suwayda vers Damas empruntant l’autoroute M5 mais des forces tribales sunnites ont tendu une embuscade au convoi qui a été bloqué puis a dû se retirer après avoir subi des pertes conséquentes.

Les forces gouvernementales sont intervenues et ont établi un point de contrôle et une zone tampon dans le nord de Suwayda entre les forces tribales sunnites et les milices druzes fidèles à al-Hijri.

Parallèlement, Israël a envoyé du ravitaillement aux groupes anti-gouvernementaux de Suwayda par hélicoptère.

Dans la banlieue de Damas, les forces gouvernementales ont pris le contrôle total des quartiers peuplé majoritairement de Druzes. Des civils sont descendus dans la rue pour célébrer la victoire du gouvernement avec des drapeaux druzes.

Le rôle d’Israël

L’armée israélienne s’immisce de plus en plus en Syrie. Prétextant la défense des Druzes, elle se livre à des bombardements qui touchent jusqu’au sud de Damas.

Les environs du palais présidentiel rebaptisé « palais du peuple » ont été touchés le 2 mai, action qui constitue un avertissement lancé au président Ahmed al-Charaa.

Le Premier ministre israélien Netanyahou et le ministre israélien de la défense, Israël Katz, ont publié une déclaration conjointe peu après cette attaque : « c’est un message clair adressé au régime syrien. Nous ne tolérerons pas le déploiement de forces [gouvernementales] au sud de Damas ni aucune menace contre la communauté druze. »

Déjà le 3 avril, le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar, avait exhorté la communauté internationale à « mener à bien son rôle dans la protection des minorités en Syrie – en particulier les Druzes – du régime et de ses bandes de terreur. » Il avait précédemment qualifié le gouvernement de transition syrien de « groupe terroriste d’Idlib qui a pris Damas par la force. » L’ONU a demandé à Israël de cesser ses attaques aériennes en Syrie…

La position de Damas

De son côté, les nouvelles autorités syriennes restent relativement profil bas. Tout juste si le ministre syrien des affaires étrangères, Asaad al-Shaibani, a appelé sur X le 3 mai à « l’unité nationale » en tant que « fondement solide de tout processus de stabilité ou de renouveau […] Tout appel à une intervention extérieure, sous quelque prétexte ou slogan que ce soit, ne fait qu’entraîner une détérioration et une division supplémentaires. »

La violence sectaire pose l’un des défis les plus graves à ce jour au gouvernement d’al-Charaa,
Les combats du début mai font suite à un massacre en mars près de la côte méditerranéenne de plus de 1.700 civils de la communauté alaouite par les forces de sécurité et les groupes alliés, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme basé au Royaume-Uni.

Le grand mufti syrien Oussama al Rifai désigné en 2025 a déclaré dans un appel à la population que chaque sang syrien est sacré et que les Syriens doivent s’unir contre toute tentative d’incitation à la haine. Des chefs religieux régionaux comme les cheikhs Hammoud al-Hinnawi et Yusuf Jarbooa, ont insisté sur l’importance du dialogue avec le gouvernement et du maintien de l’unité de la Syrie et ont conclu un accord avec les gouverneurs de Suweyda et de la banlieue de Damas pour mettre fin aux violences.

La situation ne semble tenir que grâce à la politique actuellement toute en nuances menée par al-Charaa épaulé par sa garde rapprochée. Dans les faits, il a beaucoup d’ennemis à l’intérieur, même parmi ses anciens soutiens islamiques qui le trouvent beaucoup trop « modéré ». Sa disparition entraînerait vraisemblablement une explosion générale du pays et conduirait à terme à sa partition : la alaouites le long de la côte méditerranéenne, les clans pro-Turquie au nord-ouest, les Kurdes au nord-est, les Druzes au sud et le centre (dont la capitale) dans un chaos indescriptible…

1. Voir : « Le problème kurde dans la nouvelle Syrie » du 14 février 2025.