Toutes les affaires d’espionnage ne se terminent pas aussi discrètement que celle révoquée dans l’article concernant un diplomate russe ayant quitté rapidement le Japon car impliqué dans le recrutement d’un ex-homme d’affaires japonais (1).

C’est selon la publicité qui veut être donnée à l’international pour démontrer que l’adversaire est un « voyou ». Dans le cas de la Russie dont les services secrets sont accusés depuis des années partout en Occident d’être derrière toutes les catastrophes qui surviennent, cela permet de renvoyer la balle à l’envoyeur en particulier vers les pays qui lui sont les plus hostiles.

Ainsi, le 17 avril, le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB) a placé en détention Alexandre Sossoniouk, consul au Consulat général d’Ukraine à Saint-Pétersbourg « pour avoir reçu des informations classifiées issues des bases de données des forces de l’ordre et du FSB ». Selon le service de contre-espionnage russe, ce diplomate a été pris la main dans le sac lors d’une rencontre avec un citoyen russe. Selon la formule consacrée : « cette activité est incompatible avec le statut de diplomate et présente un caractère clairement hostile à l’égard de la Fédération de Russie ».

Comme il est d’usage, le ministère russe des Affaires étrangères a convoqué le chargé d’affaires ukrainien en Russie (les relations étant exécrables entre la Russie et l’Ukraine, les deux pays n’ont pas désigné d’ambassadeurs pour les représenter mais que des chargés d’affaires qui gèrent les affaires courantes) Vassili Pokotilo, afin de protester contre les « activités illégales » d’Alexandre Sossoniouk « incompatibles avec le statut de fonctionnaire consulaire […] préjudiciables aux intérêts de sécurité de la de la Fédération de Russie ». Le diplomate ukrainien a été prié de quitter la Russie dans les trois jours qui ont suivi. Kiev a, en mesure de rétorsion, expulsé le 19 avril un diplomate russe tout en dénonçant une « provocation » des services de sécurité russes qui viserait à « déstabiliser » l’Ukraine.

Le porte-parole de la diplomatie ukrainienne, Oleg Nikolenko, a exprimé auprès de l’AFP sa « vive protestation contre la détention illégale » d’Alexandre Sossoniouk et a dit « exclure complètement » la véracité des accusations portées contre lui ». Fait rare, un diplomate de haut rang en poste à l’ambassade d’Ukraine en Russie a été déclaré persona non grata à la fin avril ce qui fait une expulsion pour Kiev et deux pour Moscou. A ce petit jeu, les représentations diplomatiques respectives risquent de se vider complètement.

Le cas s’est reproduit le 6 juillet, Mart Lätte, le consul d’Estonie à Saint-Pétersbourg ayant été arrêté par le FSB alors qu’il recevait d’un citoyen russe des documents sensibles. Là encore, le même discours : « cette activité est incompatible avec le statut d’agent diplomatique et revêt manifestement un caractère hostile envers la Fédération de Russie ».

La porte-parole du ministère estonien des Affaires étrangères, Aari Lemmik, a dénoncé auprès de l’AFP des accusations « totalement infondées » et qualifié l’arrestation du diplomate de « provocation » […] Il s’agit d’une nouvelle illustration du fait que la Russie ne veut pas de relations constructives avec ses voisins et l’Union européenne ».

Décryptage

Seuls les pays intéressés savent quelle est la réalité des faits et les discours convenus sont uniquement là pour la galerie. Mais, plusieurs choses sont à remarquer :
. les postes de « consuls » (qui sont des fonctionnaires de troisième rang dans la hiérarchie diplomatique) servent parfois de couverture à des Officiers de renseignement. Leur travail purement administratif (délivrance de visas, gestions des compatriotes présents dans le pays…) leur laisse largement le temps de se livrer à d’autres activités.

. le chef d’un Consulat général est le « Consul général » qui est un diplomate de premier rang placé juste après l’ambassadeur qu’il représente pour la région où il est assigné. Ces structures excentrées par rapport à la capitale sont souvent intéressantes pour les services de renseignement car théoriquement moins surveillées que les ambassades… mais tout est relatif, particulièrement en Russie !
. Si l’arrestation d’un diplomate est interdite par les lois internationales, le fait de le retenir le temps d’une enquête est possible – mais « limite » -. Cela entraîne systématiquement une « protestation » accompagnée d’un « démenti énergique » face aux accusations portées.
. Dans les deux cas décrits, les consuls se sont fait prendre alors qu’un citoyen russe leur remettait des documents « classifiés ». Cela sent la provocation à plein nez car il est plus que douteux que des Russes acceptent de travailler pour les services de « petits » pays dont les moyens, particulièrement financiers, sont limités – sauf par idéologie, mais cela reste du domaine de l’exceptionnel -. Le FSB aurait voulu créer ces incidents envoyant dans les pattes des consuls qui se prenaient pour des James Bond des appâts bien tentants, qu’il ne s’y serait pas pris autrement.
Enfin, le résultat est là. Moscou a voulu démontrer qu’en matière d’espionnage il n’y a pas de « bons » et des « méchants » car tout le monde se salit les mains. Pour mémoire, Moscou détient un certain nombre de citoyens possédant la nationalité américaine (et inversement) et il est actuellement question de tractations discrètes pour procéder à des échanges dignes du film, « le pont aux espions ».

Lire aussi : « Japon : un diplomate russe exfiltré vers Moscou ».

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Texte

Alain Rodier

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