Une nouvelle affaire d’espionnage impliquant la Russie a débuté en Grande Bretagne avec l’arrestation en février 2023 de trois ressortissants bulgares : Orlin Roussev, Bizer Dzhambazov et Katrin Ivanova dans le cadre d'une enquête en vertu de la Loi sur les secrets officiels. La police antiterroriste était alors intervenue dans des maisons à Harrow et Great Yarmouth.

Les suspects ont été trouvés en possession de passeports et des cartes d’identité de pays tels que le Royaume-Uni, la Bulgarie, la France, l’Italie, l’Espagne, la Croatie, la Slovénie, la Grèce et la République tchèque…

Le trio a été placé en détention après avoir été inculpé puis laissé en liberté (vraisemblablement surveillée) avant de comparaître à Old Bailey à Londres le 31 juillet. Ils ont alors été de nouveau placés en détention.

Roussev, Dzhambazov et Ivanova vivaient au Royaume-Uni depuis plusieurs années, occupant divers emplois et résidant dans des propriétés périphériques.

Après avoir déménagé au Royaume-Uni, apparemment en 2009, Roussev a passé trois ans en tant que directeur technique dans une société de services financiers et déclare avoir été propriétaire d’une société impliquée dans l’IA et les systèmes de communication avancés NewGenTech Ltd aujourd’hui dissoute pendant 10 ans. Les personnes travaillant dans des entreprises situées dans la même rue que le Haydee ont déclaré qu’elles n’avaient vu aucun signe de visiteurs depuis au moins un an. Il se décrit comme un ancien conseiller du ministère bulgare de l’Énergie et vit depuis peu dans une maison d’hôtes en bord de mer à Great Yarmouth.

Selon LinkedIn Ivanova travaillait comme assistante de laboratoire pour une entreprise privée de soins de santé. Elle vivrait au Royaume-Uni depuis au moins 2013. Dans une vidéo Facebook pour la plateforme sociale bulgare, Ivanova donne des conseils sur la manière d’obtenir les qualifications de base au Royaume-Uni. Les sujets incluent la citoyenneté, l’emploi et une introduction aux « valeurs britanniques ».

Dzhambazov est décrit comme un chauffeur d’hôpitaux. Il présente plusieurs vidéos de boîtes de nuit et de fêtes. Une diffusion de 2018 semble le montrer en train d’enseigner l’anglais à un groupe d’étudiants bulgares adultes.

Dzhambazov et Ivanova qui sont mariés vivaient à Londres depuis dix ans.

Selon des documents officiels bulgares en ligne Roussev, Dzhambazov et Ivanova ont également travaillé pour des commissions électorales à Londres qui facilitent le vote aux élections bulgares des citoyens vivant à l’étranger.

Ils ont été rejoints en prison par Ivan Stoyanov de Greenford à l’ouest de Londres et Vanya Gaberova, de Churchway, au nord-ouest de Londres. Cette dernière tient un institut de beauté.

Nick Price, chef de la division spéciale de lutte contre la criminalité et le terrorisme du CPS, (Crown Prosecution Service)a déclaré : « Orlin Roussev, 45 ans, Bizer Dzhambazov, 41 ans, Katrin Ivanova, 31 ans, Ivan Stoyanov, 31 ans, et Vanya Gaberova, 29 ans, sont accusés de complot, de collecter des informations destinées à être directement ou indirectement utiles à un ennemi dans un but préjudiciable à la sécurité et aux intérêts de l’État entre le 30 août 2020 et le 8 février 2023 ». Il semble que leur « zone de travail » se situait hors de Grande-Bretagne qui était essentiellement leur « zone de vie ». Pour les professionnels, cela semble logique car, pour des raisons de sécurité, les « clandestins » doivent séparer le lieu où ils résident de celui où ils se livrent d’espionnage.

Selon la justice britannique, des liens auraient été découverts entre Orlin Roussev et l’Autrichien Jan Marsalek, acteur central du scandale financier qui a mené la société allemande Wirecard à la faillite en juin 2020. Cette affaire a constitué «le plus grand scandale financier» ayant jamais touché le pays avait alors reconnu le ministre des Finances, Olaf Scholz, devenu chancelier d’Allemagne.

Mi-escroc mi-espion, Marsalek aurait été exfiltré d’Autriche vers Moscou lors d’une opération complexe en juin 2020. Il serait sous la protection du FSB.

Son départ pour la Russie précède donc les dates données pour les faits reprochés aux inculpés qui ont débuté en « août 2020 ».

Tous les cinq ont comparu devant le tribunal d’instance de Westminster le 26 septembre pour une première audience. Ils ont tous été maintenus en détention.

Selon l’accusation, le chef du réseau serait Orlin Roussev.

Les cinq inculpés doivent comparaître de nouveau le 13 octobre.

Des échanges d’informations ont certainement eu lieu entre les services de renseignement britanniques et bulgares (et autres) pour vérifier l’identité réelle des prévenus, de tenter d’examiner le parcours qui les a amené en Grande-Bretagne et enfin de faire la liste de leurs contacts dans toute l’Europe (en plus de Jan Marsalek).

Si le flair des enquêteurs britanniques est bon, il pourrait s’agir d’une cellule d’espionnage clandestine pilotée par le SVR (Service des renseignements extérieurs de la fédération de Russie russes compétents pour l’Europe). Ce successeur de l’ancienne Première Direction du KGB a comme directeur général depuis 2016 Sergueï Narishkine.

Le SVR a remporté de grands succès entre 1994 et 2001 manipulant d’importantes sources américaines au sein des agences de renseignement américaines (Aldrich Hazen Ames, Harold James Nicholson, Earl Edwin Pitts, Robert Philip Hanssen ).  Par contre, il a connu un important revers en 2010 quand le colonel Alexander Poteyev, transfuge du SVR, a permis l’arrestation de dix « illégaux » par le FBI (et un onzième appréhendé alors qu’il tentait de transiter par Chypre). Un douzième homme, Alexeï Karetnikov, a été expulsé ultérieurement.

Les poursuites pour espionnage devant les tribunaux britanniques sont très rares, les cas d’espionnage par des étrangers se terminant généralement par des expulsions.

Mais dans ce cas, si l’identité des prévenus est exacte (la Bulgarie, membre de l’OTAN depuis 2004), il est difficile d’imaginer de les renvoyer vers Sofia.

Un certain nombre de d’autres complots attribués aux services secrets russes ont été très médiatisés ces dernières années en Grande-Bretagne notamment le meurtre « au polonium » en 2006 du dissident russe Alexandre Litvinenko et la tentative d’assassinat en 2018 du transfuge russe Sergueï Skripal.

Dans le cadre de ces affaires, la justice britannique a inculpé in absentia trois citoyens Russes, qui, selon elle, sont des officiers du renseignement militaire du GRU. Deux ont été inculpés en 2018 et le troisième en 2021.

À n’en pas douter, la Guerre froide avec ses vieux démons est de retour. Cette affaire n’est que la partie émergée – et présentable – des affrontements que se livrent les services à l’heure actuelle.

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Texte

ALAIN RODIER