Après la prise de la ville de Soledar par les forces russes à la mi-janvier, Ibrahim Kalin, le porte-parole du président Recep Tayyip Erdoğan a déclaré aux journalistes étrangers : « selon nos estimations, l’Ukraine ne parviendra pas à épuiser les forces armées russes avec l’aide qu’elle reçoit actuellement. Les unités militaires ukrainiennes ne sont pas assez équipées ni suffisamment entraînées pour repousser les forces russes au-delà des frontières d’avant-guerre [2014]. Elles peuvent combattre.

Elles ont le droit le plus absolu de défendre leur territoire mais nous ne pensons pas que cela leur permettra d’obtenir ce qu’elles ambitionnent. Nous devons utiliser la diplomatie pour aller vers le dialogue ou des négociations qui, nous l’espérons, apporteront des résultats acceptables pour les deux parties.
Le point central réside dans un plan géopolitique plus vaste dans lequel la Russie cherche un nouvel ordre mondial avec l’Occident, et surtout avec les États-Unis. Toutefois, si la guerre traîne en longueur entre la Russie et le bloc occidental afin de tenter d’obtenir des résultats géopolitiques plus importants, le coût ira en augmentant, plus de gens périront et plus de villes seront détruites ».
En résumé, la Turquie, bien que membre de l’OTAN, va dans le sens opposé à ce qui est affirmé par Kiev et les capitales occidentale (à l’exception de la Hongrie) en assurant que la Russie ne peut pas être défaite militairement en Ukraine. Ankara qualifie cette guerre de « confrontation géopolitique entre la Russie et la communauté occidentale en général et tout particulièrement avec les États-Unis ».

Mais les livraisons d’armes à l’Ukraine continuent.

Toutefois, jouant également sur un autre tableau, la Turquie est aussi un fournisseur discret d’armes à l’Ukraine. Le plus étonnant, c’est que Moscou ne semble pas lui en tenir grief. Il est possible que le Kremlin tient à préserver cet intermédiaire irremplaçable qui pourrait jouer un rôle déterminant dans l’avenir.
Donc, depuis mars, parallèlement à son rôle de médiateur, Ankara a autorisé la livraison de quelques 35 drones Bayraktar TB2, de 24 Mini-Bayraktar de reconnaissance, d’un nombre non défini de lance-roquettes guidées de 230 mm multiples TRLG-230 d’une portée de 70 kilomètres quasi équivalent au HIMARS américain.

Les acquisitions ont aussi porté sur du matériels de guerre électronique, de 200 transports de troupes blindés BMC Kirpi MRAP (au moins 50 ont déjà été livrés), de mortiers et de munitions de différents calibres.

Une grande partie de ces armements a été tout simplement donnée ou vendue à des prix préférentiels.

À noter que les lance-roquettes multiples TRLG-230 peuvent être utilisés couplés avec les drones TB-2 (rayon d’action de 75 kilomètres et capacité de tir de quatre missiles guidés air-sol) qui peuvent détecter des objectifs et guider les roquettes en phase terminale.

Une originalité, cinq drones Bayraktar TB-2 ont été fournis à Kiev après avoir été achetés grâce à une collecte ouverte en Lituanie en Pologne et en Ukraine (32 millions de dollars ont été recueillis pour être utilisés pour l’achat d’armements « défensifs » – difficile de classer le TB-2 dans la catégorie des armes « défensives » – , d’aides humanitaires et de projets de reconstruction).

La vitrine militaro-industrielle turque

La Turquie qui a développé depuis les années 1990 un complexe militaro-industriel dispose sur étagères de nombre de matériels qui peuvent intéresser Kiev et bien d’autres.
Des lance-roquettes T-122 Sakarya de 122 mm, et des TRG-300 Kasirga de 300 mm, des systèmes de défense anti-aériens HISAR-A de portée de 15 kilomètres, le HISAR-O de 25 kilomètres et le canon anti-aérien Korkut de 35 mm (self-propelled anti-aircraft gun – SPAAG).

L’Ukraine avait également commandé en décembre 2020 deux corvettes de classe Ada dont la F211 Hetman Ivan Mapeza a été officiellement lancée le 2 octobre 2022.DONT
Mais la présence russe en Mer Noire empêche pour l’instant toute livraison.

Par contre, Ankara prévoit d’adapter des missiles anti-aérien légers Sungur IIR sur son drone Bayraltar TB2 afin de lutter plus efficacement contre les munitions errantes russes Lancet-1 et 3 ainsi que contre les KYB iraniennes.

Non seulement Ankara joue aux intermédiaires entre Kiev, Moscou et Washington, mais profite de la vitrine offerte par le champ de bataille ukrainien pour promouvoir son industrie de défense. Nombre de matériels ont déjà été testés au combat en Syrie, en Libye et dans le conflit qui oppose l’Azerbaïdjan à l’Arménie. Cela permet aussi de les améliorer profitant des « retour d’expérience » pour ensuite proposer à la vente des armements efficaces et relativement peu coûteux par rapport à leurs homologues occidentaux.

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Texte

Alain Rodier

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