Le 14 août, le président équatorien Guillermo Lasso à déclaré l'état d'urgence pour une durée de trente jours dans la ville côtière de Guayaquil (trois millions d’habitants) après que cinq personnes aient été tuées (et 17 autres blessées) lors d’une explosion survenue à trois heures du matin dans le quartier populaire de Cristo del Consuelo.

Deux individus à moto avaient été remarqués sur les lieux déposant un sac près d’une boîte de nuit. Selon le général Hugo Zárate qui commande les forces de sécurité sur place, il contenait vraisemblablement « un puissant engin explosif ». Les experts scientifiques ont ensuite déterminé qu’il s’agissait un engin explosif improvisé. Le refus de payer le « vaccin » (surnom local donné au racket comme le pizzo en Italie) par les propriétaires de l’établissement de nuit pourrait être à l’origine ce qui s’apparente à un attentat. Une autre version suggère un règlement de comptes à l’intérieur du gang des « Tiguerones » qui contrôle la ville.

La violente explosion a aussi éventré huit maisons et détruit deux voitures et une moto. Une récompense 10.000 dollars est offerte pour toute information concernant les auteurs de cette attaque mais la population, tétanisée par la peur des représailles, ne parle pas.

L’Équateur est voisin de la Colombie et du Pérou, les deux plus grands producteurs mondiaux de cocaïne. Il serait devenu le principal centre de réexpédition de poudre blanche vers l’Europe et les États-Unis.

Les cartels mexicains qui sont omniprésents en Amérique latine et qui veulent gérer l’ensemble de l’activité « commerciale » depuis la production jusqu’à la distribution ont trouvé en Équateur un Hub idéal où, de plus, ils peuvent blanchir leurs revenus illicites.
Toutefois, ils sont obligés de sous-traiter leurs « affaires équatoriennes » auprès de gangs locaux. Ces derniers, alléchés par les profits à faire, se livrent de véritables guerres pour conquérir ou défendre leurs territoires. Comme cela est usuel en Amérique latine, les affrontements se sont étendus à l’intérieur des établissements pénitentiaires faisant plus de 350 morts parmi les détenus depuis février 2021 dont 118 à la prison de Guayaquil le 21 septembre 2021.

Selon le colonel (er) Mario Raul Pazmiño Silva, ancien chef des renseignements militaires et expert en criminalité interviewé par l’AFP, l’Équateur qui n’était qu’un lieu de transit pour la drogue est désormais devenu un « sanctuaire pour le crime organisé ».
Les autorités sont dépassées et, comme ailleurs en Amérique latine, en partie gangrénées par la corruption.

Selon un récent rapport de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC), en 2020 l’Équateur, qui ne compte que 17,7 millions d’habitants, était le troisième pays au monde où ont été réalisées les plus importantes saisies de cocaïne juste après la Colombie et les États-Unis, soit 6,5% des 1.424 tonnes saisies dans le monde cette année là.

Le ministre de l’Intérieur, Patricio Carrillo, a déclaré qu’entre 2021 et aujourd’hui, plus de 300 tonnes de cocaïne ont été confisquées sachant que les quantités saisies ne représentent au mieux que 30% de ce qui circule réellement dans les ports et aéroports. Ce chiffre semble même optimiste et il faut savoir que le crime organisé inclue dans ses prix de ventes un pourcentage significatif de « pertes ». Il reste donc toujours largement bénéficiaire.

Parallèlement, le taux d’homicide est passé de 6 à 14 pour 100.000 habitants entre 2018 et aujourd’hui. Rien que dans le district de Guayaquil, il y a eu 363 meurtres en 2020 et 688 en 2021. 2022 devrait dépasser tous les records.

Jusqu’à la fin des années 2010, l’organisation criminelle dominante du pays était le gang de « los Choneros ». À la mort de son chef Jorge Luis Zambrano (alias Rasquiña) assassiné le 28 décembre 2020, cette organisation a éclaté en sous-groupes qui souhaitaient voler de leurs propres ailes. De plus, la période vit la création de nouveaux gangs appâtés par les profits grandissant du trafic de drogue.
La bande des « Tiguerones » qui avait quitté « los Chonenos » en 2010 se renforça s’opposant à un adversaire plus ancien, « los Lobos ». Ce conflit qui eut essentiellement lieu derrière les murs des prisons fit quelques 270 victimes.
Le leader actuel des « Tiguerones » est : Álex Salazar Villamar.

Il a été libéré de prison en 2021 pour « bonne conduite » après avoir accompli 60% de sa peine de 32 mois de prison pour recel de pièces d’automobiles volées. Selon les autorités policières, il est possible qu’il soit à l’origine de l’attentat, ce qui lui permet de reprendre totalement les rênes de son gang.

Globalement, il y aurait une vingtaines d’organisations criminelles en Équateur regroupant des dizaines de milliers de membres. Los Tiguerones arrivent en troisième position derrière « los Choneros » (dont ils sont issus) et « los Lobos ». Leur point fort, ils seraient des sous-traitants du Cartel de Jalisco Nouvelle Génération (CJNG). Avec son aide, ils ont élargi leur influence depuis leur ville d’origine Esmeraldas aux localités de Guayaquil et de Quito. La prison d’Esmeraldas serait désormais entièrement sous leur contrôle.

Tous ces gangs offrent leur coopération au « cartel des Balkans » (composé majoritairement de Serbes, de Croates et de Monténégrins) qui serait la principale organisation criminelle qui distribue la cocaïne latino-américaine en Europe occidentale. Ce cartel est pour l’instant le « point de passage obligé » pour fournir le marché européen. Mais il a subi de lourds revers ces derniers mois provoqués par d’importantes opérations policières internationales et pourrait être concurrencé par les mafias plus traditionnelles (Italie, Albanie) qui sont très présentes sur les têtes de ponts latino-américaines que sont l’Espagne, le Portugal, les Pays bas et l’Irlande.

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Texte

Alain Rodier

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