Les médias occidentaux en général ont pour pris pour habitude de dire que la Russie s’était mise au ban de la « communauté internationale » en envahissant l’Ukraine au mépris de toutes les règles internationales. Si on suit cette logique, la Russie devrait être rapidement mise à genoux, le « monde entier » réprouvant son attitude injustifiée et agissant en conséquence.

À l’évidence, ce n’est pas le cas de la Chine, de l’Inde, des pays africains, proche, moyen et extrême-orientaux (en dehors du Japon et de l’Australie) qui n’ont pas suivi les États-Unis dans la politique de sanctions adoptées contre la Russie. Au moment où s’ouvre la 59è Conférence sur la sécurité à Munich qui doit durer du 14 au 17 février et à laquelle la Russie n’est pas invitée en raison de l’agression contre l’Ukraine(1), il convient de se poser la question : qu’en est-il de l’Amérique latine ?

Sur le papier, une partie des pays qui la composent pourrait fournir une aide militaire conséquente à l’Ukraine. Le Chili et le Brésil possèdent des chars de bataille Léopard que Kiev recherche avec avidité. La Colombie, le Pérou, le Mexique, l’Argentine, le Brésil et l’Equateur ont acheté des hélicoptères et pour certains des missiles anti-aériens et antichars russes. Le Pérou a des avions Mig et Sukhoï.
Mais, les dirigeants latino-américains voient le conflit russo-ukrainien d’une manière différente de leurs homologues nord-américains et européens.
À la différence des alliés historiques de Moscou (Cuba, Nicaragua et Venezuela), la plupart des pays latino-américains ont condamné à l’ONU l’invasion de l’Ukraine par les Russes. Mais ils en sont restés là. Ils ne sont pas d’accord avec Bruxelles et Washington sur la manière de terminer cette guerre affirmant que le préalable doit être un cessez-le-feu immédiat et sans conditions plutôt que de fournir des armes.

La générale d’armée Laura Richardson qui est à la tête du United States Southern Command (USSOUTHCOM) qui couvre l’Amérique latine a proposé à tous ces pays qui font partie du « pré carré » de Washington de remplacer les armements – majoritairement d’origine soviétique – (en dehors des chars Léopard) qu’ils voudraient bien fournir à l’Ukraine par des matériels US plus modernes.
Cette proposition s’est heurtée à une fin de non-recevoir même s’il existe de profondes différences entre les pays de la région.

La vision commune des gouvernants latino-américains reste qu’il faut arrêter le conflit le plus rapidement possible et négocier.
Ainsi, le président colombien Gustavo Petro, a déclaré : « nous ne sommes d’aucun côté. Nous somme pour la paix ».
Son homologue brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a pour sa part dit : « le Brésil est un pays de paix. En ce moment, nous avons besoin de retrouver ceux qui veulent la paix, un mot qui jusqu’à maintenant a peu été utilisé ».
Un porte-parole du ministère de la défense argentin a avancé : « l’Argentine ne va pas participer à cette la guerre […] il n’est pas approprié de participer à une guerre en envoyant des armes pour un conflit en Europe ».
Le ministre des Affaires étrangères mexicain, Marcelo Ebrard, a déclaré par sa part : « je ne pense pas qu’envoyer des armes pour prolonger un conflit ait le soutien de l’Amérique latine ».

Le chancelier allemand Olaf Scholz qui a effectué en janvier un voyage en Amérique latine (Brésil, Argentine, Chili) espérant débloquer certaines situations est revenu les mains vides.

Par exemple, le président Lula a refusé de revendre des munitions de chars à l’Allemagne pour qu’elles soient utilisées en Ukraine. Alberto Fernández, le président argentin n’a pas voulu envoyer d’armes en Europe. Son homologue chilien, Gabriel Boric, a juste proposé des systèmes de détection de mines.
Parallèlement, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a vertement critiqué Scholz pour avoir accepté d’envoyer des chars Léopard en Ukraine « sous la pression des médias allemands ».

La longue tradition latino-américaine de non-ingérence dans les affaires des autres pays a été soulignée par Maria Angela Holguín, une ancienne ministre des Affaires étrangères colombienne. Elle a rappelé que le conflit ukrainien avait ravivé les mauvais souvenirs de la période de la Guerre froide entre les États-Unis et l’URSS. Pour elle, « la région revient à sa position de ‘non aligné’ ». Elle a aussi reconnu que les pays de la région « sentent aussi que la Chine et la Russie peuvent apporter une aide très utile dans le futur, par exemple en cas de de découplage avec les États-Unis, donc, ils ne veulent pas entrer en confrontation avec eux ».

Plus généralement, les pays de la région doivent faire face à l’augmentation des prix du pétrole et des engrais. Ils souhaitent en conséquence que cela se termine le plus rapidement possible.
Des sondages d’opinion laissent entendre que les dirigeants latino-américains sont en phase avec leurs populations. Selon une enquête de l’IPSOS, quelques 73% des sondés estiment que « leur pays ne peut pas apporter d’aide financière pour supporter l’Ukraine en raison de la crise économique actuelle ». Deux pays y seraient particulièrement opposés : l’Argentine et le Mexique dont les sondés déclarent que les problèmes de l’Ukraine ne les concernent en rien.
À voir si la Conférence sur la sécurité de Munich va y changer quelque-chose…

1. Les Occidentaux vont tenter une nouvelle fois de convaincre les pays du monde entier de les suivre dans leurs sanctions. Les Américains ne paraissent pas convaincus qu’ils y parviendront puisque le président Joe Biden ne fait pas le déplacement déléguant la vice-présidente Kamala Harris.

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Alain Rodier

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