Selon la quatrième étude de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) concernant les taux d’homicides publiée à la fin 2023 (concernant l’année 2022), le crime organisé serait responsable d’au moins la moitié des meurtres en Amérique latine et dans les Caraïbes (hors conflits armés). Le taux global dans ces régions serait le plus élevé au monde, même avant le continent africain et le moyen Orient.

L’étude a également révélé que huit des dix pays présentant les taux d’homicides les plus élevés au monde se trouvaient en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Selon les statistiques, Les taux moyens d’homicides, selon les statistiques de 2021, étaient de 9,3 pour 100.000 pour l’Amérique du Sud, de 16,9 pour 100.000 pour l’Amérique centrale et de 12,7 pour 100.000 pour les Caraïbes.

L’organisme international a constaté qu’une grande partie de la violence est causée par des affrontements entre groupes criminels ayant un accès facile aux armes à feu.

Il note également que la répression sévère des autorités donne des résultats mitigés lorsqu’il s’agit de freiner les effusions de sang.

La concurrence criminelle alimente la violence

L’étude a mis en évidence une corrélation entre la présence de plusieurs groupes criminels et des poussées rapides d’homicides.

Les réseaux complexes d’organisations de trafic de drogue, de gangs de rue et de milices qui opèrent à travers le continent créent une situation instable dans laquelle la violence peut rapidement dégénérer lorsque des groupes rivaux se font concurrence.

Cela est particulièrement évident dans les zones où l’écosystème criminel est fragmenté.

C’est ce qui est connu sous le vocable de « guerre des gangs ».

En Haïti et à Trinité-et-Tobago, les nombreux gangs présents dans les pays se battent pour le contrôle des économies illégales, provoquant des taux d’homicides constamment élevés.

Un autre facteur pertinent cité par le rapport est l’expansion du trafic international de drogue et les changements dans la géographie criminelle qu’elle génère.

On ne rappellera jamais assez que les trafics de drogue perdureront tant qu’il y aura des consommateurs et que la libéralisation des drogues dites « douces » ne fera qu’augmenter la consommation des drogues dures sans impacter les bénéfices des trafiquants. Le phénomène est connu : il y a alors plus de consommateurs de drogues autorisées et beaucoup d’entre eux décident de sauter le pas vers les drogues dures (l’attrait de l’« interdit ») qui offrent beaucoup plus de sensations psychotiques mais énormément de risques mortels.

Ainsi, les niveaux record de production de cocaïne au Pérou, en Bolivie et en Colombie ont alimenté la violence entre groupes criminels locaux et internationaux en Équateur qui sert de « carrefour » pour l’exportation de la drogue. Dans ce pays, les homicides ont augmenté de 94,7 % entre 2021 et 2022.

Le Costa Rica connait également une hausse des homicides, atteignant un taux de 12,8 pour 100.000 en 2022. La plupart des violences sont liées aux combats entre gangs en particulier pour le contrôle de Puerto Moín dans la province de Limón, une plaque tournante clé du transport de cocaïne vers l’Europe.

D’un autre côté, le regroupement des activités criminelles entre les mains d’un nombre réduit ou d’une seule organisation criminelle a été généralement accompagné par une réduction de la violence.

Des exemples ont déjà été observés dans certains États du Mexique qui sont tenus par un seul cartel. Cela dérape quand une organisation tente d’empiéter sur « territoire » du voisin. La notion même de « territoire » est centrale pour le crime organisé. En plus de gérer ses affaires délictueuses, il participe directement à la vie socio-économique locale remplaçant souvent les incuries de l’État qui lui, sans l’avouer ouvertement, est ravi d’échanger un certain calme local contre la perte de certaines de ses prérogatives.

Des flux d’armes illégaux alimentent les violences

Le rapport identifie la prolifération des armes à feu comme un facteur clé contribuant aux niveaux élevés de violence meurtrière en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Les pays de la région ont signalé en 2021 la plus forte proportion d’homicides impliquant l’utilisation d’armes à feu, allant de 65 % en Amérique centrale, 67 % dans les Caraïbes et 70 % en Amérique du Sud contre « uniquement » 62 % en Amérique du Nord, 12. % en Europe et 15 % en Asie. Il faut bien constater que dans ces deux dernières parties du monde, les législations sur les armes sont bien plus sévères qu’aux États-Unis, mais les nombreux conflits militaires locaux mettent sur le marché parallèle de plus en plus d’armes de guerre.

Pour l’Amérique latine, les armes sont souvent importées légalement ou illégalement des États-Unis et d’Europe et la faiblesse des contrôles sur les marchés d’approvisionnement et de transport facilitent leur acquisition par les organisations criminelles.

Les lois laxistes sur le contrôle des armes à feu aux États-Unis ont facilité la circulation des armes en Haïti, où la violence des gangs est devenue incontrôlable (1). Le taux d’homicides dans le pays a grimpé à 18 pour 100.000 en 2022, soit une augmentation de plus de 35 % par rapport 2021.

Plusieurs pays des Caraïbes, tels que Saint-Vincent-et-les Grenadines, les îles Turques et Caïques, Sainte-Lucie et les Bahamas, ont connu des niveaux records d’homicides en 2022, principalement en raison de la concurrence sur les itinéraires du trafic de drogue et de la disponibilité d’armes illégalement importées des États-Unis.

Les états d’urgence ne garantissent pas le succès

Les états d’urgence dans plusieurs pays d’Amérique latine ont été associés à des résultats différents, entraînant à la fois une réduction et une augmentation de la violence meurtrière. L’état d’urgence prolongé au Salvador dirigé par  Nayib Bukele Ortez (2) est parvenu à réduire le taux d’homicides, qui est passé de 17,2 pour 100.000 en 2021 à 7,8 pour 100.000 en 2022.

Mais au Honduras voisin, les mesures sécuritaires similaires prises par le président Xiomara Castro n’ont pas réussi à réduire la violence et le racket dans le pays.

De même, en Jamaïque, les états d’urgence répétés ont été associés à des accusations de brutalités policières, mais sans réduction durable de la violence, le taux d’homicides s’élevant à 53,3 pour 100.000 en 2022 contre 47,3 en 2020.

En Équateur également, les mesures incluses dans l’état d’urgence de 2022, comme le transfèrement des chefs de gangs d’une prison à une autre ont alimenté dans plusieurs pénitenciers des massacres résultant d’affrontements entre gangs rivaux.

 

1. Voir : « Guerre des gangs à Haïti » du 27 novembre 2023.

2. Voir « SALVADOR : baisse drastique du taux de criminalité » du 15 mars 2023.

Publié le

Texte

Alain Rodier