Les premières heures de la victoire sont joyeuses pour les taliban. Il va vraisemblablement avoir une suite beaucoup plus sombre avec les règlements de comptes qui accompagnent ce type d’évènement même si une « amnistie générale » a été proclamée.

Mais il n’en reste pas moins que les taliban vont devoir gérer 38 millions d’âmes en leur apportant de quoi vivre, se soigner (comme le reste du monde, ils sont aussi les victimes de la Covid-19), s’éduquer et travailler pour produire.

Ils ont plusieurs avantages :
. l’expérience d’avoir déjà dirigé le pays entre 1996 et 2001 mais les gestionnaires de l’époque ne sont sans doute majoritairement plus aptes à rembaucher. Mais ils ont aussi géré les populations des province qu’ils maintenaient sous leur coupe depuis des années (environ un quart de l’ensemble du pays).
. même si les Occidentaux les placent sous embargo et prennent des sanctions contre leurs responsables (qui de toutes façons n’en souffriront pas car ils n’ont aucun avoir à l’étranger où ils se déplacent peu ou pas du tout), d’autres pays sont prêts à composer : le Pakistan qui est quasi la « maison-mère » des taliban historiques, la Chine intéressée par un des maillons des « nouvelles routes de la soie » (par exemple, voir la voie ferrée Chine – Tadjikistan – Afghanistan – Iran ci-dessous)(1), la Russie qui veut maintenir les salafistes-jihadistes hors de ses frontières tout en évitant une contamination au Turkménistan, en Ouzbékistan, au Tadjikistan frontaliers et e,fin l’Iran qui, étant déjà mis au ban de la société occidentale peut se trouver des intérêts communs avec le nouveau pouvoir qui se met en place à Kaboul. À noter que les ambassades russe et chinoise continuent à fonctionner normalement.

. Enfin, la nouvelle Constitution de l’Émirat Islamique d’Afghanistan basée sur la loi islamique (la Charia) va apporter à de nombreux Afghans la tranquillité et la sécurité que les chefs de guerre ne pouvaient assurer.

Cela dit, tout n’est pas évident. Les Afghans naturellement et historiquement rebelles à toute autorité, vont rapidement mesurer la lourdeur du système s’il ne leur apporte pas la satisfaction de leurs besoins. Le fils du commandant Massoud, Ahmad, se serait réfugié dans la vallée historique du Panshir et appelle à la résistance. Que va t’il pouvoir réellement faire est une autre question.

Daech qui est globalement opposé à tous les musulmans qui ne lui ont pas prêté allégeance bénéficie sur place de la wilayat Khorasan qui est active depuis 2015. Dès le 15 août, ils ont accusé les taliban d’être des alliés objectifs des Américains ayant accepté de négocier directement avec eux. En conséquence Daech rejette totalement l’autorité morale du mollah Haibatullah Akhundzada, le successeur du mollah Akhtar Mohammad Mansour tué en 2016 qui avait lui-même succédé au mollah Omar, le fondateur du mouvement.

Il va aussi falloir gérer Al-Qaida, allié historique des taliban qui a été à leurs côtés lors de la reconquête. Les accords de Doha interdisent théoriquement aux taliban d’accueillir ou de soutenir des groupes terroristes mais les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Cela peut redevenir un problème à terme car Al-Qaida a une vision mondialiste du jihad et menace régulièrement les pays occidentaux et en particulier les États-Unis. Cela dit, en dehors de l’effet d’enthousiasme que va créer cette victoire (les taliban ont chassé les forces de l’OTAN d’une terre d’islam) au sein, de tous ses activistes de par le monde, il est peu probable qu’il y ait des opérations terroristes planifiées dans l’avenir immédiat, ce qui n’exclue en rien des actions individuelles spontanées. Par contre, cela va immanquablement donner un élan à tous les groupes qui se revendiquent ou sont alliés à Al-Qaida au Sahel.

Pour terminer, l’Occident vient de connaître une de ses plus grosses défaites depuis la fin de la seconde Guerre mondiale (le Vietnam n’était pas une guerre occidentale mais américaine après avoir été française). L’idéologie salafiste-jihadiste a vaincu les « valeurs universelles » dans l’esprit des combattants afghans que les autorités bien inspirées qualifient d’« obscurantistes ». Il serait temps que les intellectuels se posent quelques questions sur le pourquoi…

1. mais également d’une certaine tranquillité au Xinjiang. À aucun moment les taliban n’ont parlé de la « cause ouïghour ».

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Texte

Alain Rodier

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