Vendredi 6 août, les talibans se sont emparés sans combats de la capitale de la province de Nimroz, la ville de Zaranj peuplée de 63.000 âmes. C’était la première ville importante à tomber dans leurs mains depuis le début de leur offensive de printemps. Une partie de sa population a fui en Iran et au Pakistan voisins.

La province de Nimroz est considérée comme stratégique car, située au sud-ouest de l’Afghanistan, elle jouxte l’Iran et le Pakistan. À ce titre, elle est un carrefour économique important autant pour les marchandises légales qu’illégales (drogue, armes). Les taliban ont paradé dans des Humvees offerts aux forces afghanes par l’OTAN et ouvert les prisons tout en investissant les bâtiments officiels dont le siège local des services de renseignement.

Le lendemain, le 7 août, ils se sont se sont saisis de la ville de Chéberghân, la capitale de la province de Djôzdjân (nord). Selon des déclarations officielles, « les forces [afghanes] et les responsables ont fui vers l’aéroport » où ils seraient barricadés.

Même les milices (relativement) pro-gouvernementales sont prises à partie par les taliban. Ainsi une dizaine de miliciens du célèbre général Abdul Rashid Dostum ont été tués à Chéberghân. Neuf des dix districts de la province de Djôzdjân qui était son fief historique seraient désormais sous leur contrôle.

En fin d’après-midi, Washington a dépêché depuis la base d’Al-Udeid au Qatar des B-52H et des Lockheed AC-130H Spectre qui ont effectué des bombardements et des tirs air-sol sur des regroupements de combattants et de matériels. Bien que le bilan soit difficile à évaluer, les pertes talibanes auraient été sensibles (les chiffres annoncés par Kaboul donnent plus de 500 tués mais faut-il croire Kaboul?). D’autres frappes auraient eu lieu dans les provinces d’Helmand, de Kandahar et de Hérat.

Le 8 août, la ville de Kunduz a été conquise par les taliban ainsi que Sar-é Pol, dans le nord-ouest du pays. Cette fois, les forces gouvernementales ont opposé une certaine résistance. Kunduz, ville située dans le nord du pays, avait été capturée en 2016 pour une brève période mais les taliban ne souhaitant pas se faire coincer dans cette ville par les forces gouvernementales afghanes encore directement appuyées par l’OTAN et les Américains étaient repartis rapidement.

Avant ces dernières progressions, les taliban ont déjà pris le contrôle des postes frontière dans les provinces de Kandahar et de Herat donnant au mouvement la possibilité de commercer avec le Pakistan et l’Iran voisins et donc de se financer et de mettre progressivement une nouvelle administration en place.
Aujourd’hui, les plus grandes craintes pèsent sur Lashkar Gah, la capitale de la province d’Helmand.

À Kaboul, les taliban sont passés à l’offensive, vraisemblablement pour ne pas se faire doubler par Daech qui est très actif dans la capitale à travers sa wilayat Khorasan. Ils ont assassiné le 6 août Dawa Khan Menapal, le responsable gouvernemental du centre des medias et de l’information. Leur objectif principal est d’affaiblir le président Ashraf Ghani.
Les ambassades américaine et britannique ont suivi ce qu’avaient fait leurs homologues occidentales en juillet : elles ont invité leurs ressortissants à quitter l’Afghanistan par les vols commerciaux dans les plus brefs délais.

L’envoyée spéciale de l’ONU pour l’Afghanistan depuis 2020, la diplomate canadienne Deborah Lyons, a averti que la guerre était entrée dans une « phase plus mortelle et destructive » avec plus de 1.000 morts civils tués en juillet ce qui est parfaitement exact. Pour elle, cette manière de procéder ne va pas dans le sens d’une réconciliation nationale. Il est dommage qu’elle fasse semblant de croire que les taliban souhaitent se « réconcilier » avec le régime actuel même si elle doit suivre la propagande de Washington qui ne veut ni ne peut avouer que l’échec est complet. Elle rajoute : « le conseil de sécurité doit délivrer une déclaration sans ambiguïté demandant que les attaques contre les villes doivent cesser maintenant ». Il ne fait aucun doute que les taliban seront sensibles à ces arguments qui, en plus, viennent d’une femme (il n’a peut-être pas été très judicieux de nommer une femme à ce poste (1) connaissant les traditions afghanes. Certes, un homme n’aurait vraisemblablement pas fait mieux mais cette désignation a vraisemblablement été ressentie comme un « affront » par les responsables taleb). Et sur le fond, Mme Lyons sait pertinemment que plus personne ne veut intervenir directement en Afghanistan. Certes, les Pakistanais, les Iraniens, les Chinois et les Russes vont essayer de jouer leurs cartes afin de garder un minimum d’influence sur le gouvernement à venir à Kaboul, mais cela sera fait discrètement sans grandes gesticulations à l’Occidentale.

Les rodomontades sont désormais terminées, du moins en ce qui concerne l’Afghanistan. Si les Américains et leurs alliés ont atteint l’objectif premier que l’on a peu à peu perdu de vue, la neutralisation d’Oussama Ben Laden, ils ont accumulé les échecs : les taliban sont de retour avec dans leurs bagages Al-Qaida « nouvelle génération » (en évolution par rapport à Al-Qaida « historique ». Le docteur Ayman al-Zawahiri fait la jonction mais devrait passer la main dans les temps à venir). Cette déroute qui ne dit pas son nom fait indubitablement à celle du Vietnam en 1975…
Pour se donner bonne conscience, de nombreux observateurs posent la question : « les taliban ont-il changé ? » en sous-entendant qu’ils sont devenus plus proches des standards démocratique occidentaux, en particulier en ce qui concerne les droits de la femme. C’est oublier que les « étudiants en religions » (les taliban) se réfèrent qu’aux seuls textes sacrés de l’islam pour mener leur conduite (la vie de Mahomet, le Coran, les hadiths). Il suffit de les lire pour se faire une idée de ce qui va arriver.

1. Elle avait été ambassadrice du Canada en Afghanistan en 2016. C’était la seule femme occupant un poste de chef de mission diplomatique en Afghanistan. Cette expérience fait qu’elle doit parfaitement connaître la problématique afghane et des taliban. Il serait intéressant de savoir quelle est son évaluation personnelle de la situation en dehors du politiquement correct auquel elle est obligée de se tenir..

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Texte

Alain Rodier

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