Les aviateurs sont désormais logés au cœur de la poudrière afghane, avec leurs Mirage, qui n’ont jamais tiré autant de bombes et d’obus. Au sol, OMLT, commandos et troupes de montagne tentent d’endiguer la progression des opposants au gouvernement d’Hamid Karzaï. On s’attend à des renforts conséquents dès le début de l’année, mais aussi à des pertes plus nombreuses. Une présence militaire qui pourrait bien durer dix ans, au bas mot.

« Plus cela ira, plus les combats seront durs et les pertes importantes. » L’analyse d’un militaire français est lapidaire et macabre, mais, malheureusement, relativement réaliste. Si aujourd’hui la réalité du conflit afghan transparaît peu en France, les militaires de l’OTAN rencontrés sur place constatent quasiment tous la même dégradation : un nouveau palier a été franchi par les insurgés afghans, qu’il s’agisse des talibans, des combattants du Hezb-e-Islami, des troupes des seigneurs de la guerre locaux ou de trafiquants de drogue dérangés en pleine cueillette. Et il n’y a pas de raison plausible pour que les soldats français y échappent.

Les forces françaises ont été relativement préservées, jusqu’à maintenant : depuis octobre 20011, la France a perdu une quinzaine de ses soldats (principalement des forces spéciales) ; c’est trois fois moins que les pertes britanniques en neuf mois d’activité dans la province du Helmand, pour la seule année 2006. Un officier français abonde et prophétise : «Il faut désormais s’attendre à ce que le niveau des pertes augmente.» Notamment parce que les Operational Mentor and Liaison Teams (OMLT) sont intégrées au sein des unités de l’Armée nationale afghane (ANA), en première ligne. Mises en place dès août 2006, les OMLT françaises (GCP) ont déjà payé leur tribut, à la fin de l’été 2007. De même, le campement des aviateurs français, à Kandahar, est à portée de mortier. Mais aussi parce que la rébellion n’est plus cantonnée dans quelques réduits : elle se déploie, n’hésite pas à tenir tête à des colonnes de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS ou ISAF) (voir RAIDS n° 259) ; dès l’automne, elle a bien montré son intention de harceler la FIAS et l’ANA dans les villes mêmes.

Ce niveau de pertes, redouté, n’est pas à même, en tout état de cause, de retourner une opinion publique française, qui n’est pas plus émue par les morts au combat, en général, que par le conflit afghan, en particulier.

Preuve de cette crainte d’une dégradation rapide, pour ne pas dire soudaine, la France conserve précautionneusement sa base arrière de Douchanbe (Tadjikistan), très clairement «pour le cas où…». L’endroit ne manque pas d’avantages : c’est la seule base logistique qui n’est pas située en Afghanistan même, et donc l’environnement géopolitique n’est pas hostile. L’infrastructure déployée permet, en quelques heures si besoin, de recueillir des avions de combat menacés à Kandahar.

Renforts en vue

Sans doute conscient des jours difficiles à venir, l’EMA a adopté une communication des plus minimalistes sur l’activité opérationnelle du théâtre2. Et il va renforcer l’effectif de Douchanbe, ainsi que le pôle médical de la zone afghane3. Trois Rafale vont aussi rejoindre Kandahar dans les premiers jours de 2008, pour remplacer autant de Mirage F1CR. Il s’agit d’un retour dans le ciel afghan, un retour sans doute motivé, voire précipité, par les récents échecs du Rafale et l’arrivée prochaine, en Afghanistan, du Typhoon, sous couleurs britanniques. Ce positionnement à  Kandahar du Rafale devrait permettre l’emport de deux pylônes tribombes (GBU­­‑12) contre deux bibombes, lorsqu’il décollait de Douchanbe. Pour autant, et en l’absence de nacelle idoine, les Rafale auront encore besoin d’un désignateur externe, Mirage 2000D en l’air ou TACP (contrôleur aérien avancé) au sol. De même, les deux Transall du groupe de transport opérationnel (GTO) vont permuter avec les deux C-130 de Libreville, qui offrent une capacité d’emport supplémentaire conséquente. Avec, il est vrai, une perte de capacité de poser sur terrains sommaires.

Au mois de mars, les Caracal de Cazaux (voir RAIDS n° 258) relèveront les Cougar du 1er RHC, pour leur deuxième mandat sur place. La question de leur positionnement reste encore posée : à Kaboul, pour la MEDEVAC et le soutien du BATFRA, ou à Kandahar, pour la Resco, actuellement assurée par la Task Force Corsair4 ?

Avant l’été, et à Kandahar, sont également attendus trois Super-Etendard de la marine. A ce stade, avec neuf jets, la France sera directement deuxième contributeur du théâtre. Enfin, les trois premiers Tigre du 5e RHC sont attendus dans la zone au deuxième semestre 2008, peut-être dès l’automne. Un tel apport n’est pas négligeable au vu du déficit chronique en moyens d’aéromobilité de combat. Les Anglo-Saxons ont poussé le ratio assez haut, avec en moyenne un hélicoptère d’appui et d’attaque pour une compagnie d’infanterie.

Parallèlement, deux autres OMLT (dont une à dominante artillerie, et l’autre en soutien) ont vu le jour, avant la fin 2007, pour un volume de 220 militaires en quatre unités. Une cinquième sera opérationnelle en Oruzgan, avant la mi-2008. Des capacités supplémentaires seront aussi vraisemblablement offertes en matière de TACP. Dès le mois de janvier, le CPA 20 remplacera l’équipe du CPA 30 dans la place, et des modules supplémentaires devraient vraisemblablement compléter ce portage, dans le courant de l’année5. L’intégration du moyen interactif de ciblage, Scarabée, devrait aussi favoriser la précision de ce dernier et contribuer encore à améliorer l’action dans ce domaine, toute erreur de tir pouvant avoir des effets incalculables sur l’opinion publique locale, comme en Occident. Enfin, et ce sera sans doute le dernier signal d’une dégradation, l’EMA conserverait au moins la valeur d’un bataillon dans l’escarcelle de la première urgence. En quelques heures, les Mirage 2000D du 4.33 (l’escadron « Vexin »), basés à Djibouti, peuvent intervenir en urgence.

Le BATFRA sur le pont

D’ici là, le dix-septième mandat de Pamir6 devra faire avec les moyens du bord. Le patron du BATFRA n’a d’ailleurs pas attendu les renforts pour densifier son activité et faire feu de tout bois. Fin novembre, il a lancé une opération de contrôle des flux, au nord de Kaboul, pour mettre en déroute les trafiquants qui relient deux zones de « forte activité taleb », au nord-est et au sud-ouest de Kaboul. Le bilan n’est pas forcément excessif, mais pour le capitaine N. de C., commandant l’escadron d’éclairage et d’investigation (EEI) du 4e régiment de chasseurs qui contrôlait une série de cols en Shamali, c’est sans doute parce que « notre présence a produit ses effets dissuasifs». Les contrôles, effectués sur une centaine de véhicules et autant d’humains, n’ont en fait pas permis de trouver la moindre arme ou le moindre renseignement.

Le colonel français croit cependant à sa méthode, nourrie de contacts avec toutes les couches de la population afghane. Il prend d’ailleurs la température, note les demandes du malek dans le village de Qala-e-Naw-e‑Zemha (1 200 âmes, soit 120 familles environ). Mais avec 657 Français et une compagnie allemande (renforcée par une section bulgare), en fait 350 en première ligne, pour contrôler une zone de 50 kilomètres sur 38 (soit jusqu’à deux heures et demie de route pour la traverser), le BATFRA ne peut pas faire de miracles. D’autant que l’opposition mue, ces derniers mois : «La menace est essentiellement terroriste, or le BATFRA n’est pas taillé pour effectuer des actions de contre-terrorisme7.» Le possible, en tout état de cause, c’est donc bel et bien de «gêner les infiltrations, et ce, par le biais d’opérations qui s’inscrivent dans la durée». Autre axe du BATFRA, presque étonnant au vu des carences en effectif : consacrer une compagnie d’infanterie à l’instruction de l’ANA. Ce travail a commencé dès le 8 décembre, sur le 3e Kandak de la 2e brigade du 201e corps de l’ANA. Cette accélération vise à renforcer la présence de l’ANA dans la région de Kaboul, où elle est actuellement quasi nulle.

Dans tous les cas, l’heure n’est pas au relâchement puisque certaines analyses prophétisent déjà un risque de prise en étau de la capitale par deux mâchoires talibanes. Une situation peu enviable et qui ferait nettement « désordre » alors qu’on attend le président de la République dans la zone, en février ou en mars.

Le détachement Cougar

 

Le détachement Cougar basé sur l’aéroport de Kaboul (KAIA) comprend 40 militaires du 1er régiment d’hélicoptères de combat (RHC) formant trois équipages : six pilotes, trois mécaniciens navigants et dix mitrailleurs Ces derniers font partie du peloton de reconnaissance et de balisage (PRB), ces petites unités tactiques créées en 2003 pour pouvoir à la fois gérer les mouvements d’hélicoptères « dans la verte » et constituer le bras armé de la mission IMEX (Immediat Extraction).

Le détachement mobilise aussi onze mécaniciens qui maintiennent le potentiel très haut (plus de 95 %…), trois personnels médicaux, deux officiers de renseignement, deux transmetteurs et un officier de liaison avec l’état-major de la FIAS.

La mission MEDEVAC compte pour 15 à 20 % de l’activité, selon le capitaine Z., commandant les Cougar. La soute du Cougar permet d’accueillir trois blessés couchés (six en urgence) et quatre autres assis. Comme c’est le cas déjà pour nos services de secours civils, les MEDEVAC « médicalisent à bord de l’hélicoptère, alors que les Américains ramassent au combat, sans médicaliser immédiatement ». Le reste du temps est très diversifié, qu’il s’agisse de purs vols logistiques (apport de ravitaillement), de transports de troupes ou de vols de reconnaissance.

Les Cougar peuvent aussi, l’espace d’un besoin, devenir un pur outil psychologique : lors de l’attentat-suicide qui a coûté la vie à un chasseur alpin français, en septembre, un Cougar a été « taské » pour l’évacuation médicale, puis en cours de vol, en show of force. « La foule était plutôt dense, raconte le capitaine Z., et nos camarades au sol étaient un peu débordés. Notre présence l’a fait un peu refluer et se calmer, mais sans évacuer la place. Nous sommes restés en vol près d’une heure, ce jour-là, en attendant que le VAB sanitaire vienne évacuer notre camarade. » Le dernier week-end de novembre, la Cougar Task Force a effectué deux missions d’évacuation : au profit d’Italiens (deux blessés, un tué dans des combats) et de deux militaires de l’ANA blessés lors d’une attaque-suicide.

On le sait, et c’est une des forces de nos pilotes d’hélicoptères, le vol de nuit, y compris par nuit 5 (la plus forte), représente 33 % du temps de vol du mandat. Les « Frenchies » sont d’ailleurs les seuls, avec les Américains, à voler en Afghanistan par nuit 4 et 5. Et les seuls à se poser, sans recueil au sol, par nuit 5.

En à peine deux mois de présence, 160 heures de vol avaient été enregistrées, en 90 missions, dont 13 MEDEVAC. A titre de comparaison, en neuf mois de présence (décembre 2006-août 2007) à KAIA (l’aéroport international de Kaboul), les Caracal avaient effectué 27 EVASAN, 221 missions de transport et 130 de reconnaissance, pour un total de 640 heures de vol, dont 146 de nuit.

Le théâtre afghan a amené quelques modifications aux Cougar. Deux MAG 58 sont apparues aux portes du cargo (l’armement latéral était jusqu’alors réservé au seul DAOS). Le plancher peut recevoir un tapis antibalistique, renforçant le blindage initial. L’équipage dispose de packs extérieurs, sur les vitres, et le MECNAV, d’une plaque dorsale. La signature infrarouge des turbines Makila est réduite par l’implantation sur les échappements des TRDDJ déjà employés par le Caracal. Mais la meilleure protection contre toutes les formes de menaces, c’est encore la versatilité du Félin français, qui évolue à 10 m/sol, voire en dessous, pour 110 kts (200 km/h). Et là, même un bon tireur devra s’accrocher. 

KAIA héberge cinq autres machines militaires : trois AB-212 (Huey biturbine) italiens et deux UH-60 turcs.

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Jean-Marc TANGUY