Après avoir présenté, dans les numéros précédents, les équipements légers du fantassin de l’US Army, nous abordons maintenant celui des différentes forces spéciales américaines.

Le programme SPEAR, nous l’avons vu (cf. RAIDS n° 247), avait pour objectif de fournir aux unités de pointe de l’USSOCOM tout le matériel individuel nécessaire à chaque opérateur. La composante portage fut scindée en deux sous-systèmes : une chasuble de combat modulable et un ensemble de sacs à dos. La composante chasuble, et ses accessoires, fut dénommée ELCS pour Enhanced Load Carrying System (système de portage d’équipement amélioré). La première amélioration que ce système allait apporter passait par la quantité non négligeable de poches fournies dans ce kit ; en effet, la polyvalence et la nécessaire flexibilité des opérateurs du SOCOM impliquaient naturellement qu’ils puissent être à même d’assumer n’importe quel rôle au sein de leur détachement (Special Forces), peloton (Navy SEAL) ou team (Special Tactics de l’Air Force), et partant, qu’ils soient dotés de moyens d’emport permettant d’assumer chacun de ces rôles. La seconde idée se faisant jour avec cet excédent de matériel était qu’en fonction des missions (reconnaissance, action immédiate…), les opérateurs pouvaient à l’avance préparer différents ensembles ou setups spécifiques distincts, plutôt que de réassembler leurs chasubles à chaque opération. 

Le kit ELCS était donc composé de 22 poches organisées et stockées dans un sac de déploiement, auxquelles s’ajoutaient six poches optionnelles dites « Navy option » pour l’armement utilisé par les Navy SEAL (porte-chargeurs M60, MP5 et M14) et un kit « grenadier » pour l’emport de munitions de 40 mm. La seconde avancée de ce système reposait sur la modularité intrinsèque de la chasuble, conçue spécifiquement pour le besoin. Le dessin reprenait foncièrement celui de l’ETLBV, complété par une ceinture rembourrée ajustable et un panneau dorsal. Les panneaux avant pouvaient être remplacés par de simples sangles plates reliées directement à la ceinture de façon à alléger au maximum le poids de la veste et de faciliter l’aération du porteur. S’inscrivant dans l’évolution alors en cours au sein des forces armées US, la chasuble était pourvue de passants PALS, de façon à rendre l’ensemble compatible avec les composants MOLLE.

Le second sous-système, les sacs de portage, s’articulait autour d’un sac à dos de grande contenance, un sac de patrouille et une besace type butt-pack. Cet ensemble répondait aux mêmes besoins que ceux exprimés par les militaires conventionnels de pouvoir bénéficier, en plus d’un moyen de portage classique, d’un sac léger utilisable tout au long de la mission, voire, dans le cas des forces spéciales, d’un simple butt-pack amélioré. Le sac de grande contenance devait pouvoir intégrer un insert dédié à l’emport d’une radio de gros volume de la famille AN/PRC ou Satcom, être équipé de passants PALS afin d’accueillir des poches externes supplémentaires, et être constitué d’une armature interne ajustable. Le sac de patrouille, d’un volume plus réduit, devait globalement répondre aux mêmes critères et être en mesure de se monter sur le sac à dos principal. Le butt-pack, enfin, devait offrir un volume suffisamment significatif pour rester opérationnel, et devait être utilisable seul ou en conjonction avec la chasuble ELCS.

Les marchés furent attribués à Safariland pour la portion ELCS et Gregory (Bianchi) pour les sacs de portage, ces derniers prenant le nom d’UM21. Les différents éléments furent produits en camouflage Woodland et Désert trois couleurs. Globalement, l’accueil réservé aux deux sous-systèmes fut très mitigé. L’idée fut autant saluée que la réalisation fut l’objet de vives critiques. Les raisons sont multiples et tiennent, d’un côté, à une qualité de production assez faible pour l’ELCS, malgré un design novateur et fonctionnel, et, de l’autre, à une réalisation beaucoup trop lourde pour les sacs à dos, avec une fabrication de qualité mais intégrant trop d’éléments superflus augmentant son poids à vide et rendant, au final, l’UM21 peu efficace. Il fut observé que les parties prenantes au développement du projet étaient peut-être trop nombreuses et trop hétéroclites. Seuls les SEAL firent en sorte de toujours envoyer les mêmes personnels aux différentes réunions de travail ; de fait, ils influèrent fortement sur le rendu final du projet. Ironiquement, ils furent les premiers à se tourner vers des solutions différentes peu après la distribution de ces équipements.

Les kits maritimes

 

Dans la foulée de l’introduction à grande échelle du système MOLLE, le NAVSCPECWARCOM envisagea la création d’un kit orienté strictement vers le combat maritime (abordage de bateaux, prise de plates-formes pétrolières, etc.). Ce kit se concrétisa sous la forme du MBSS (Maritime Ballistic Survival System), construit autour d’une chasuble porte-plaques balistiques (cf. RAIDS n° 247) et d’un ensemble de poches. Bien que d’abord diffusées dans de faibles proportions parmi les SEAL, les innovations ergonomiques devaient essaimer rapidement à travers toute la communauté SOF. Devant la débâcle du projet SPEAR (du moins dans sa portion transport d’équipement), les SEAL développèrent un nouveau projet, extrapolé du MBSS et intégrant les avancées de l’ELCS. Le résultat devait prendre le nom de MLCS (Maritime Load Carrying System), construit par Eagle Industries. 

Cet ensemble comprenait plusieurs chasubles (porte-plaque, chest rig Rhodesian1, harnais en H) ainsi qu’une quantité impressionnante de poches – on en compte pas moins de 50 dans la configuration actuelle ! Une teinte spécifique fut développée pour cette occasion, prenant l’appellation de MJK (Matt Johnson’s Khaki, du nom de son créateur), s’approchant d’une teinte sable avec un reflet vert, favorisant la polyvalence de son effet dissimulant. Le projet MLCS se voulait évolutif et, de fait, la composition de ses éléments évolua dans le temps, au fur et à mesure que les besoins nouveaux chassaient ou complétaient des besoins plus anciens. Les différents éléments furent également conçus pour être interopérables entre eux : la partie arrière d’un porte-plaque pouvant, par exemple, se monter sur un chest rig rhodesian pour augmenter la surface de portage et offrir une protection balistique arrière. 

A l’instar du kit MBSS, les SEAL optèrent également pour un montage à demeure du sac de patrouille, solidarisé par des passants PALS au dos de leurs chasubles, éliminant ainsi le problème connu de longue date de gêne occasionnée par l’instabilité des bretelles de sac à dos par-dessus un équipement déjà volumineux. Ces changements, que d’aucuns considéreraient comme anecdotiques, devaient pourtant influencer très largement le développement des futurs kits d’équipement. L’ensemble MLCS fut également agrémenté d’un gilet balistique avec système d’arrachement rapide, dénommé RACS (Releasable Armor Carrying System), qui devait devenir par la suite le RBAV, fourni à l’ensemble de l’USSOCOM (cf. RAIDS n° 247). Chaque kit individuel représentait un coût d’environ 4 000 dollars (prix des inserts balistiques non compris). La réalisation fut ultérieurement supervisée par le Resource Center, organisme favorisant le travail des handicapés et déjà propriétaire d’Allied Industries, fabricant du kit MBSS.

Début 2003, la société Blackhawk Industries (BHI) profita de l’essor de ce nouveau concept de kit modulaire et modulable pour lancer sa propre ligne, dite « Strike ». L’histoire veut que des SEAL aient contacté la société pour reproduire le kit MLCS à coût réduit, permettant au passage un meilleur approvisionnement que ce qu’Eagle Industries seul pouvait offrir. Toujours est-il que BHI en profita pour regagner ses lettres de noblesse, en améliorant notoirement son niveau de qualité et en offrant en diffusion publique toute la gamme équivalente du MLCS.

Le kit Paraclete

 

Parallèlement à ces fournitures, dans le cadre de contrats militaires, plusieurs sociétés ont élaboré différents ensembles d’équipements à vocation spécialisée. L’une des plus actives fut certainement la société Paraclete, basée à quelques kilomètres de Fort Bragg, en Caroline du Nord. De nombreuses innovations furent apportées par ses concepteurs, grâce aux retours d’expérience permanents des unités stationnées à proximité, notamment la Delta Force. Paraclete apporta, entre autres produits, les premiers gilets pare-balles largables, modèle RAV, et le prédécesseur du passant PALS, le SOF Snap. La société fut également à l’origine d’une teinte pour ses matériels, le smoke green, vert pale tirant vers le gris, qui serait par la suite récupérée par l’USSOCOM pour ses propriétés dissimulantes et passe-partout, et enfin extrapolée sous l’appellation ranger green pour le kit Ranger Load Carrying System (RLCS) du 75th Ranger Regiment. La mise en place de kits pour les unités SOF fut l’occasion pour la société d’introduire le kit LCS, reprenant les éléments les plus performants de divers kits (RACK, SPEAR, MOLLE), et le complétant par un ensemble de 82 poches ! Y furent également ajoutés une RAV et un sac à dos de grande contenance doté d’un système de largage rapide. Tous ces éléments furent largement diffusés à diverses unités, particulièrement, on l’a vu, à la Delta Force qui les utilise encore aujourd’hui, ainsi qu’aux Special Tactics Squadrons de l’US Air Force.

Bien qu’avant-gardiste sur nombre de matériels, la société n’a jamais largement percé dans les marchés publics ni dans les ventes individuelles, compte tenu d’une tarification élevée et d’une production de qualité aléatoire. La société a été rachetée en 2006 par le groupe MSA, déjà détenteur de Gallet, apportant un suivi plus marqué en termes de contrôle qualité.

Néanmoins, malgré cette pénétration limitée du marché militaire américain, Paraclete devait également contribuer à faire évoluer la conception des futurs kits, notamment ceux de l’US Marine Corps, le FSBE 2, et ultimement le SOFLCS destiné aux Special Forces Groups. 

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