Comment de petits plans d’études amont (PEA) peuvent permettre de résoudre bien des problèmes opérationnels très actuels, qu’il s’agisse de surveillance de points sensibles, d’action en zone urbaine, ou de protection contre les IED. Choses vues à l’ETBS de Bourges, un centre de la DGA dont les expérimentations pourraient aussi intéresser la sécurité intérieure.

A 200 mètres de distance, et malgré une belle épaisseur de béton, la détonation est audible. Le VBL, sacrifié pour l’occasion, tressaute, perforé par un dard lumineux. Au ralenti, des caméras livrent la séquence, de l’extérieur et de l’intérieur : des images qui suffisent à comprendre les dégâts humains et matériels que produisent les IED (Improvised Explosive Devices). La Délégation générale pour l’armement (DGA) n’a été saisie de ce dossier par l’EMA qu’après le 19 octobre 2005, quand un équipage de VBL appartenant à l’EEI de la 2e BB fut attaqué par un IED. Et, ce qui inquiète particulièrement, des éclats ont réussi à transpercer la coque. Le chef de bord, installé à droite, sera « sauvé » d’un éclat mortel par son PA MAC50.

Pourtant, plusieurs attaques ou tentatives d’attaques avaient déjà été subies, alors, par les forces (spéciales et conventionnelles) françaises déployées en Afghanistan1. Dès l’été 2005, plusieurs véhicules du BATFRA, notamment les VBL de l’EEI, avaient découvert des IED sur leurs trajets de patrouille, la plupart notamment grâce à des renseignements livrés par la population.

De Bourges à Kaboul

Plusieurs compétences sont dès lors sollicitées dans les armées : les expérimentateurs de la STAT, les experts NEDEX, mais aussi les spécialistes en guerre électronique déployés sur place (54e RT notamment) dont les synthèses et les « collectes » sont rapatriées par la Direction du renseignement militaire (DRM). En métropole, plusieurs centres ont été mobilisés en urgence, notamment l’ETAS d’Angers, le CELAR de Rennes (brouilleurs de puissance) et l’ETBS de Bourges. Les solutions ne sont pas uniques, les types de charges et les modes de déclenchement (hertzien, à contact, à mèche, à horloge…) étant trop diversifiés pour trouver un mode de leurrage et de protection universel.

Dans l’urgence, puisque c’est de cela qu’on parle, des brouilleurs ont été développés pour une intégration sur les véhicules les plus divers (VBL, VAB), le champ couvert étant évidemment différent selon les porteurs. La première génération de brouilleurs a été spécifiée, développée, testée (Canjuers, Mourmelon) en moins de trois mois ; elle est, depuis, régulièrement mise à jour. Les premiers brouilleurs ont été déployés en février-mars 2006. La DGA a d’ailleurs mis en place, dès 2007, une « opération d’ensemble » baptisée CARAPE (capacité de réaction et d’anticipation pour la protection contre les EEI). Un point d’ensemble, DGA, opérationnels et industriels, est d’ailleurs prévu mi-2008, après un premier séminaire, le 12 septembre, à l’ETAS d’Angers. Des équipements plus aboutis doivent voir le jour en 20092.

Le surblindage des véhicules français, particulièrement celui des VBL, s’est aussi imposé très vite, parce que les systèmes de brouillage ne sont pas fiables à 100 % pour les IED actionnés par radio. Et tous les IED ne ressortent pas de cette famille. Panhard, concepteur du VBL, a été mis à contribution dès l’attaque d’octobre 2005, car l’acier haute dureté de la caisse s’avère très cassant pour les IED, particulièrement lorsque la charge comprend des projectiles, vis ou boulons par exemple. Là encore, techniciens et ingénieurs de la DGA ont dû, en quelques semaines, définir les parties les plus importantes à protéger pour la sécurité des occupants. Un IED spécial comportant plus de 400 billes d’acier a même été concocté, par l’ETBS, pour en tester la pertinence. 

En avril 2006, la DGA a notifié à l’industriel 50 kits de surblindage3, pour un montant de 2,7 millions d’euros. Les surblindages, livrés entre juillet et septembre 2006, ont été mis en place par les équipages eux-mêmes, capacité qui faisait expressément partie du cahier des charges de la DGA. L’intégration sur les VBL se fait en moins de huit heures. Le kit pèse, au total, 260 kg, ce qui n’obère ni la mobilité, ni la capacité en charge utile des VBL. Il se compose de plaques apposées sur les portes et de survitrages. Les passages de roues reçoivent aussi des protections en composites.

Au final, le travail de l’ETBS en matière de lutte contre les IED aura été récompensé à plus d’un titre, puisque ses laboratoires ont été consacrés par le SGDN, référent national pour l’analyse des IED.

Rien d’impossible techniquement

Dans un champ opérationnel à peine différent, le combat urbain, l’ETBS a aussi apporté sa plus-value en testant, avec et pour les opérationnels, de nouvelles briques technologiques. Même si c’en est la partie visible, la problématique AZUR ne se limite pas, loin s’en faut, à celle de purs combats de rues ou de progressions dans les immeubles. En ce sens, les technologies de reconnaissance testées à l’ETBS permettent de toucher du doigt ce que pourraient être les précieux auxiliaires de forces – notamment les équipes Félin – chargés de progresser dans un milieu aussi risqué. Le plus surprenant est sans doute la balle SpyBowl, développée en dix-huit mois par la société Exavision pour les besoins des forces spéciales (GIGN compris) œuvrant en terrain confiné. L’avantage d’une boule est qu’elle peut facilement rouler, mais aussi être logée dans un recoin ou un promontoire. Le système intègre quatre caméras couvrant 360°, ainsi qu’un micro permettant de ramener les sons environnants. Les opérateurs « câblés » peuvent recevoir le tout par liaison radio à 30 mètres de distance en milieu confiné, 100 mètres en milieu ouvert. La batterie lithium-ion permet un fonctionnement d’une heure. Ce robot natif est logé dans une famille de trois engins, Miniroc, plus complète, développée par une autre PME spécialiste de ce créneau, ECA (connue aussi pour ses drones sous-marins). Le plus primitif pèse 2,1 kg et évolue pendant trente minutes à une vitesse maximale de 1,8 km/h. Télécommandé, cet engin permet de recueillir son et images sur les lieux visités. Son grand frère pèse 26 kg à vide, reste animé deux heures et demie et peut progresser jusqu’à 7,2 km/h. L’ultime version tare 160 kg (plus 100 kg de charge utile) et évolue pendant une à cinq heures, jusqu’à 12,6 km/h. Il peut intégrer des technologies NEDEX (capteurs, canon à eau pressurisée…). Les trois engins peuvent constituer la base d’engagements coopératifs avec un VBCI dont ils seraient les microvéhicules d’éclairage. Voire même, directement, la « voltige » d’un groupe de fantassins « félinisés ». Rien d’impossible techniquement, promet-on. 

En fait, sur bien des innovations, ce sont les enveloppes budgétaires des prochains mois qui décideront, à l’heure où les priorités urgent sur bien d’autres systèmes existants, qu’il faut déjà garder à niveau. Et en état de fonctionner…

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Jean-Marc TANGUY DGA