Les analystes en chose militaire l’affirment depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par les forces russes en février 2022 : l’« arme miracle » du champ de bataille qui devrait emporter la décision, n’existe pas. C’est vrai pour les deux partis dans tous les domaines et en particulier dans celui des chars de bataille.
Des observateurs peu avertis avaient placé beaucoup d’espoir dans la livraison de chars Abrams M1, Challenger 2 et Léopard 2 à l’armée ukrainienne. Ces merveilles de technologies devaient bousculer les chars russes hors d’âge et démodés et percer les lignes pour obtenir la reconquête des territoires perdus en 2014 et en 2022/23.
Force est de constater que leur efficacité sur le terrain lors de l’offensive de printemps 2023 n’a pas rencontré les succès espérés.

Le premier facteur – et vraisemblablement le plus important – est leur faible nombre. Une chose est de « percer » les lignes adverses (encore faut-il avoir une force de choc suffisante) mais ensuite il faut « exploiter » cette percée.
Pour cela, il faut des centaines de chars de bataille épaulés par de l’infanterie mécanisée le tout soutenu par des feux d’artillerie puissants qui ont pour mission d’écraser les positions de l’ennemi puis d’accompagner la progression amie au fur et à mesure de son avance.
Ensuite, il convient que les forces à l’offensive puissent bloquer les contre-attaques ennemies – l’artillerie (et l’aviation) jouant là encore un rôle prépondérant.

Mais en ce qui concerne le nombre, l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale a montré qu’il convenait d’aligner beaucoup plus de chars que l’ennemi pour l’emporter. À titre d’exemple, les chars M4 Sherman étaient surclassés techniquement par les Panthers et autres Tigres allemands mais ces derniers étaient trop peu nombreux pour empêcher le déferlement de blindés alliés.

Ensuite, des stratèges américains ont affirmé après l’échec de l’offensive de printemps que les Ukrainiens n’avaient pas su exploiter correctement les capacités des chars qui leur avaient été livrés car ils ont appliqué des tactiques datant de l’ère soviétique. Comme « bon exemple », ils ont mis en avant l’invasion de l’Irak en 2003 contre l’Irak en occultant plus ou moins le fait que les Irakiens avaient été écrasés par les feux d’artillerie et d’aviation avant d’être bousculés sur les positions où ils avaient enterré les chars pour appliquer la tactique défensive enseignée à Moscou.
Là, la supériorité de l’artillerie des forces alliées – et l’aviation – conduites par les Américains ont fait la différence.

Le troisième facteur est qu’il semble que les stratèges militaires ont eu beaucoup de mal à prendre en compte la nouvelle donne provoquée par l’apparition sur le champ de bataille des drones de reconnaissance qui décèlent de jour comme de nuit, même sous les couverts, tout véhicule dont le moteur est chaud. Lors des bombardements de la Serbie dans les années 1995-99 par les forces de l’OTAN (1), les Serbes l’avaient bien compris et pour déjouer les caméras thermiques des forces de l’OTAN, ils changeaient les chars de position en les faisant tracter de nuit par des bœufs ou des chevaux.

Les drones tueurs sont aussi un nouveau facteur qu’il faut prendre en compte en raison de leur grande précision même sur les cibles en mouvement. Dans une certaine mesure, ils remplacent les appuis feux air-sol assurés précédemment par les casseurs de chars de type A-10 Thunderbolt et les hélicoptères.

Le vice-président des chefs d’état-major américain, l’amiral Christopher W. Grady a fait le constat suivant à la fin mai : « Lorsque vous pensez à la façon dont le combat a évolué, des blindés lourds dans un environnement où les systèmes aériens sans pilote sont omniprésents peuvent être en danger […] Bien entendu, cet argument s’applique à tout type de char ou de véhicule blindé fonctionnant sur les lignes de front et rien n’indique que l’Abrams est considéré comme plus vulnérable que tout autre. »

En conséquence, l’Ukraine aurait retiré ses chars M1 Abrams des opérations de première ligne – au moins à titre temporaire. Cette information a été ensuite fermement démentie par Kiev.
Mais avec cinq des 31 Abrams livrés à l’Ukraine en septembre 2023 ayant été perdus à cause d’attaques russes, il ne serait pas illogique de vouloir préserver ceux qui restent pour d’autres opérations futures où leur présence sera jugée nécessaire.

Un autre souci est la capture d’un char Abrams (détruit) de la 47e brigade mécanisée de l’armée ukrainienne qui aurait eu lieu près d’Avdiivka en avril.

Déjà un véhicule blindé M1150 (ABV) de bréchage dérivé du M1A1 avait été capturé, également détruit.

Ces armements étrangers modernes ont également un côté psychologique important. Certains d’entre eux récupérés par les Russes, sont exposés comme « trophées » au public au « parc de la Victoire » à Moscou. Cela va faire une très mauvaise publicité…

D’ailleurs, il n’a plus été observé de chars Challenger 2 britanniques dont 14 exemplaires ont été livrés à Kiev en mars 2023 après qu’une vidéo ait montré l’un de ces engins en feu près du village de Robotyne en septembre de la même année.

Mais le fer de lance de ces chars fournis à l’Ukraine devait être quelques 150 Leopard 2 promis à Kiev (plus de 70 auraient été livrés en 2023.) Ils ont été les premiers à subir des pertes.

En résumé, l’armée ukrainienne qui est aujourd’hui sur la défensive n’a plus l’utilité immédiate d’un corps blindé mécanisé tant qu’elle n’est pas en mesure de lancer une nouvelle offensive.
Le problème ukrainien est toujours le même : les effectifs combattants qui sont insuffisants, même en posture défensive.
L’armée ukrainienne peut recevoir tous les matériels qu’elle souhaite, son souci essentiel est le manque de servants.

Côté russe

Après avoir connu des pertes effroyables en 2022 et 2023, l’armée russe est actuellement en position d’offensive que l’on peut qualifier de « poussées » car, comme les Ukrainiens, les effectifs disponibles sont actuellement insuffisants.
Lors de ces « poussées », il a été constaté l’apparition de «chars tortues». Ce sont des chars de bataille qui reçoivent un blindage additionnel qui doit les protéger des drones (2) et autres munitions antichars, mais cela au détriment de la mobilité et de la capacité de combat de l’équipage. Il n’empêche que ces engins qui doivent supporter certains coups au but peuvent servir à ouvrir la route aux autres blindés. Jusqu’à maintenant, ils ont été observés lors de raids à quatre ou cinq exemplaires sur des positions ukrainiennes.

Un nouveau modèle vient d’apparaître toujours avec une carapace extérieure, mais équipé de chaînes pour empêcher les petits drones de pénétrer à l’intérieur par les ouvertures avant et arrière.

Là non plus, ce n’est absolument pas une « arme miracle » mais cela démontre une adaptabilité des forces russes à la réalité du terrain avec des moyens qui relèvent du bricolage. Et l’on retrouve là un « retour en arrière » significatif, ces « tortues » ayant un air de famille avec les blindés de 1917.

Mais au final, il semble que les deux armées manquent de tout ce qui pourrait faire un succès militaire décisif : une aviation d’appui-feux couplée à une artillerie puissante (sans bien sûr oublier les drones), des chars et blindés en nombre et surtout d’immenses ressources en infanterie capable tenir de vastes zone de terrain conquises et d’aller chercher les responsables ennemis dans leurs trous pour les obliger capituler.
Pour mémoire, la seule guerre gagnée par des bombardements a été celle contre le Japon en 1945 avec deux armes atomiques. Pour Hitler, il a fallu aller le débusquer dans son bunker à Berlin l’obligeant à se suicider pour ne pas être fait prisonnier.

1. pour mémoire, l’attaque d’un pays souverain par l’OTAN sans mandat de l’ONU, une première qui a préfiguré l’invasion de l’Irak en 2003 par une coalition emmenée par les États-Unis sans mandat international.
2. Voir « LES RUSSES CRAIGNENT LES DRONES UKRAINIENS » du 10 avril 2024.

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