Une rumeur persistance fait état d’une grave infection qui toucherait le président Tchétchène Kadyrov. Le président russe Vladimir Poutine qui tient à cet allié sûr serait en train d’imaginer qui pourrait remplacer ce leader qui a su unir les clans tchétchène derrière le Kremlin.

Ce type de rumeur n’est pas nouveau. Il a été annoncé plusieurs fois mourant – en particulier de la covid – ce qui n’était apparemment pas le cas.

Toutefois, des indices laissent à penser que Kadyrov – au mieux – n’est pas en parfaite santé. Une dernière vidéo de lui présidant une réunion dans son bureau le montre immobile et à la diction difficile. Il apparaît bouffi dans une autre vidéo tournée en début d’année lors de la visite de Dimitry Medvedev à Grozni.

Âgé de 47 ans, des sources d’opposition russe déclarent qu’il souffrirait d’une nécrose pancréatique depuis 2019 qui a conduit récemment à une « insuffisance pulmonaire aigüe » en raison d’une surdose de médicaments.

Sa succession serait délicate dans un pays qui a connu deux guerres civiles et qui est partagé en de multiples clans sans oublier la violence islamique radicale qui couve toujours.

Selon le journal Novaïa Gazeta Europe, le Kremlin serait donc à la recherche d’un successeur à Kadyrov s’il venait à disparaître.

Un premier candidat serait Apti Alaudinov qui a été nommé début avril adjoint à la Direction principale du travail militaire et politique du ministère de la Défense.Agé de 50 ans, fils d’un officier de l’armée soviétique, il a fait partie de la police de Kadyrov mais il n’est pas issu de la mouvance indépendantiste, ce qui ne peut que plaire au Kremlin.

Le second candidat pourrait être Magomed Daudov alias « Lord », le président du parlement tchétchène. Il a participé à la première guerre tchétchène du côté des séparatistes avant de rejoindre les forces russes lors de la seconde. Colonel de la police, il est le deuxième personnage de Tchétchénie après Kadyrov.

Dans l’esprit de Ramzan Kadyrov, les deux hommes pourraient être utiles pour préparer l’arrivée d’un de ses six fils (dont deux adoptés) au pouvoir. Le plus âgé, Akmad (18 ans), est ministre des sports depuis avril.

Mais Ramsan aurait un penchant particulier pour Adam qui n’a que 16 ans.

Ce dernier aurait été nommé « superviseur » de l’Université des forces spéciales russes à Gudermes.

Il s’était fait connaître en août 2023 après qu’une vidéo ait été mise en ligne le montrant en train de battre l’adolescent russe Nikita Zhuravel qui avait été arrêté pour avoir brûlé un Coran. À la suite de cet incident, il avait été couvert de récompenses pour « sa contribution personnelle significative au renforcement de l’islam et à la défense de ses valeurs. »

Historique

Pour mémoire, le Kremlin a misé sur le clan Kadyrov dès 1998-1999 alors que la petite république nord caucasienne était devenue  de facto indépendante après la défaite l’armée russe lors de la première guerre de Tchétchénie (1994-96) et les accords de Khassaviourt d’août 1996 qui avaient suivi. Ces accords seront dénoncés par Moscou comme illégaux dès la fin 1996. La Tchétchénie sera réintégrée dans la Fédération de Russie en 2000 après la reprise de Grozni en 2000 mais les opérations de contre insurrection se poursuivront jusqu’en 2009.

À l’époque Grand mufti de Tchétchénie, Akhmat Kadyrov – qui avait combattu les Russes aux côtés des indépendantistes de Djokhar Doudaev – avait été retourné par les services russes et nommé chef du gouvernement tchétchène en 2000 et élu président en 2003 (élection non reconnue par la communauté internationale.)

Il est assassiné le 9 mai 2004 lors des cérémonies de la victoire dans le stade de Grozny.

Son fils Ramzan lui succède officiellement en 2007 après une période intermédiaire troublée au cours de laquelle Moscou élimine les principaux chefs indépendantistes (Aslan Maskhadov en 2005 puis Chamil Bassaïev en 2006) et reprend le contrôle du territoire.

Ces quinze dernières années, le Kremlin a généreusement financé la république nord caucasienne, fermant les yeux sur l’utilisation des fonds mais aussi sur la mainmise de plus en plus exclusive et inédite (historiquement, il n’y avait pas de pouvoir central fort parmi les Tchétchènes) du clan Kadyrov.

Il est vrai que ce dernier a rendu de nombreux services au régime russe : outre le maintien de l’ordre en Tchétchénie, il a joué un rôle de vitrine puis d’interface avec une partie du monde musulman, notamment avec les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.

Il convient de se rappeler que la communauté musulmane reste la plus importante après les orthodoxes en Fédération de Russie comptant dans les années 2010 quelques 15,5 millions de membres, soit 11 % des citoyens. Deux larges communautés musulmanes se distinguent : les Tatares (turco-mongols) et les Bachkirs (qui peuplent essentiellement la République de Bachkirie  ou du Bachkortostan située entre la Volga et les monts Oural.)

Les combattants de Kadyrov ont d’abord été engagés en Syrie avant d’être déployés sur le front ukrainien. De plus, les services spéciaux tchétchènes auraient effectué de nombreuses missions « homo » pour le compte du Kremlin à l’étranger, particulièrement en Turquie. Ils ne se sont pas embarrassés avec des empoisonnements ratés préférant le saturnisme (l’intoxication au plomb.)

La prise de position très claire de Kadyrov contre la tentative de coup de force de juin 2023 de Prigojine a été jugée à sa juste valeur au Kremlin.

Pour autant, les motifs de friction n’ont pas manqué. L’élimination à Moscou même de membres de clans tchétchènes opposés aux Kadyrov a irrité les services de sécurité russes, qui s’inquiétaient en outre de l’amnistie accordée par son protégé aux islamistes et ex-indépendantistes.

Les appétits du pouvoir tchétchène au Daghestan et, surtout, en Ingouchie sont considérés par Moscou comme potentiellement déstabilisants pour un Caucase du Nord toujours fragile.

La Tchétchénie semble être redevenue une sorte de féodalité, où la coutume locale l’emporte souvent sur la loi fédérale et où le pouvoir russe dispose d’un droit de regard et de leviers de plus en plus théoriques.

Si l’état de santé du président Kadyrov est réellement dégradé – ce qui est loin d’être confirmé -, son clan est-il disposé à partager pouvoir et richesses ? Les menaces séparatistes et islamistes pourraient-elles ressurgir à la faveur d’une transition mal gérée ?

Il va être intéressant de voir si Kadyrov apparait ce mardi 7 mai lors de l’investiture de Vladimir Poutine pour un cinquième mandat à la tête du Kremlin.

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Texte

Alain Rodier