Alors que multiples élections vont avoir lieu en juin au Mexique, les violences meurtrières se poursuivent maintenant le sujet de la sécurité en tête des préoccupations des électeurs (1).

Ainsi, le 21 avril, au moins huit corps (peut-être neuf) portant des signes de tortures, des membres sectionnés enveloppés dans des sacs plastique et un narcomessage ont été abandonnés sur le bas-côté de la route 45 reliant la ville de Chihuahua à Ciudad Juarez frontalière d’El Paso au Texas.

Les autorités ont trouvé les corps empilés les uns sur les autres, nus, les pieds et les mains attachés avec du ruban adhésif près de la ville de Chihuahua au kilomètre 37 de la route 45 en direction du Nord du pays.
Le journal El Universal a rapporté qu’il y avait neuf corps. Les rapports préliminaires indiquent que tous les cadavres sont ceux d’hommes portant des traces de balles mais aussi des plaies par armes blanches.

Le Bureau du Procureur de district de la zone centrale a indiqué qu’un des cadavres avait un message planté sur sa poitrine avec le message « Iban pour Magdalena maintenant vous allez n’importe où […] Chihuahua a un maître, vous savez. Bienvenue. » Ce texte mystérieux ressemble a une vieille chanson locale et doit être vraisemblablement destiné à quelqu’un qui saura le décrypter.
Aucune des victimes n’a pu être identifiée pour l’instant.

La police municipale a bouclé la zone pour permettre aux agents étatiques et aux experts du Bureau du Procureur de recueillir des éléments de preuve. Des personnels de la Garde nationale et du Bureau du Procureur général se sont aussi rendu sur place. Le Service médico-légal (Semefo) a emmené les corps à la morgue de Chihuahua pour tenter une identification.
Lors des constatations, les policiers ont trouvé au kilomètre 85 de la même route une camionnette incendiée mais les autorités n’ont pas encore déterminé si cette découverte était liée à cette affaire.

Depuis début avril, au moins 24 personnes ont été assassinées dans la ville de Chihuahua.
L’endroit où les corps ont été trouvés est fréquenté par les migrants qui parcourent les 444 kilomètres qui séparent la ville de Chihuahua à celle de Ciudad Juárez pour ensuite tenter de passer aux États-Unis.

Le Ministère de la sécurité et de la protection des citoyens a déclaré le 23 avril que l’État de Chihuahua occupait la quatrième place pour le nombre des homicides dans les 32 provinces mexicaines avec 495 meurtres sur les 7.155 commis au niveau national au cours du premier trimestre de l’année.

Cette zone est très disputée car elle est le carrefour de tous les trafics à destination des États-Unis, Ciudad Juárez/El Paso étant historiquement un des principaux points d’entrée terrestre de la drogue et des clandestins.

Cette tuerie entre dans le cadre de la guerre des gangs

Au début des années 2000, des membres du cartel de Juarez et les barons de la drogue des États mexicains contigus ont forgé une alliance connue sous le nom de « Alliance du Triangle d’Or » ou « La Alianza Triángulo de Oro » en raison de sa zone d’influence sur trois États : le Chihuahua, le Durango et le Sinaloa. Ce nom a été donné en référence au « Triangle d’Or » d’Asie du Sud-Est qui regroupe la Birmanie, le Laos et la Thaïlande, trois des plus grands producteurs d’opium au monde depuis la chute de la production en Afghanistan suite à la prise de pouvoir par les talibans.

Cette zone en plus d’être connue étant comme l’épicentre du trafic de drogues au Mexique, se caractérise par ses importantes plantations de marijuana et de pavot. De pays de transit de la drogue sud-américaine, le Mexique est devenu avec le temps un pays producteur.
Historiquement, plusieurs célèbres barons de la drogue sont natifs de cette région zone comme Rafael Caro Quintero, Miguel Angel Félix Gallardo, Arturo Beltrán Leyva, Joaquin « El Chapo » Guzman ou le dirigeant actuel du cartel de Sinaloa, Ismael Zambada « El Mayo » (qui n’a jamais été arrêté.)

Beaucoup d’entre eux sont morts ou purgent de très longues peines dans des pénitenciers américains.

Pour simplifier, deux organisations principales s’y opposent :
. d’un côté le cartel de Sinaloa et ses gangs affiliés : Los Salgueiro, la Empresa, Barrio Azteca et los Mexicles,
. de l’autre le cartel de Juárez dirigé par Juan Pablo Ledezma via sa branche armée la Linea, et les gangs affiliés : los Artistas Asesinos (AA), los Mexicles.

Toutefois, cet état des lieux ne prend pas en compte les petits gangs de rues plus ou moins indépendants qui contrôlent des portions de territoire et s’allient aux uns ou aux autre selon l’évolution de la situation. Les suivre est difficile car ils disparaissent parfois aussi vite qu’ils sont apparus.
Une constante pour tous les sicarios latino-américains est leur cruauté systémique (comme dans le cas évoqué) qui a précédé celle des groupes terroristes comme Daech. Elle n’est pas gratuite car elle est destinée à soumettre les populations au milieu desquelles les gangs vivent.

Pour les grands cartels, l’objectif est de contrôler au maximum les zones de production, les itinéraires menant aux États-Unis dont la route 45, et les points de passage de la frontière.
Les migrants sont considérés comme une nouvelle marchandise au même titre que la drogue. Ces malheureux sont « taxés » par des « protecteurs » criminels. Le problème est que les « marchandises » peuvent faire l’objet de convoitise de la part de gangs rivaux. C’est sans doute ce qui s’est passé dans cette terrible affaire, le message étant un « avertissement » adressé entre truands.
Les victimes sont donc coincées entre les différentes bandes criminelles et ne peuvent vraiment faire totalement confiance aux forces de sécurité dont une partie est complice…

1. Voir : « MEXIQUE : ÉLECTIONS ET CARTELS DE LA DROGUE » du 19 avril 2024.

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