Le Mexique est l’un des pays les plus violent de la planète en raison de la présence des cartels de la drogue mais il reste un État démocratique qui va connaitre d’importantes élections en 2024. Les chambres du Congrès de l’Union (sénateurs et députés) seront renouvelées ainsi que 9 des 31 gouverneurs et les députés des 30 des 31 congrès étatiques (dont Mexico).

Enfin, il y a 18.000 postes à pourvoir lors des élections municipales. Surtout, le 2 juin aura lieu l’élection du nouveau président, en l’occurrence vraisemblablement une nouvelle présidente car les deux favorites sont des femmes.

La candidate du Mouvement de Régénération nationale (Morena) est Mme Claudia Sheibaum, ancienne maire de Mexico (2018-2023). C’est la grande favorite pour l’investiture suprême.

Elle propose de poursuivre l’œuvre du président sortant, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) : s’attaquer aux causes supposées du crime organisé : pauvreté, marginalisation, etc.

De fait, le bilan d’AMLO reste mitigé car avec plus de 166.000 homicides en cinq ans, l’actuel mandat a été plus meurtrier que sous ses deux prédécesseurs, Enrique Peña Nieto (2012-2018) qui vit en exil à Madrid car poursuivi par la justice mexicaine pour malversations financières et Felipe de Jesús Calderón (2006-2012) soupçonné d’avoir eu des liens avec les chefs de cartels via son responsable de la sécurité publique, Genaro García Luna  condamné aux États-Unis pour corruption. Calderón vit également en Espagne.

Mais le président Obrador est resté fidèle à sa formule : « des accolades, pas des fusillades […] Nous soutenons que la paix est le fruit de la justice. »

Mme Sheibaum se targue d’avoir réduit le nombre d’homicides à moins de deux par jour pendant son mandat à la tête de la capitale (2018-2023), mais comme beaucoup de responsables politiques, elle reste dans un certain « déni ».

Sa politique suit « une stratégie totale qui s’attaque aux causes, avec plus et mieux de police, du renseignement, des enquêtes et de la coordination. »

Mais selon certains analystes locaux, Obrador a échoué car : « ce n’est pas en s’attaquant à la pauvreté que l’on combat la délinquance, c’est en s’attaquant aux délinquants, avec une stratégie correcte. »

Le Mexique présente en 2023 un taux de 23 homicides pour 100.000 habitants, d’après le think tank « Insight Crime » le plus élevé de toute l’Amérique latine.

Les cartels (Jalisco, CJNG, Sinaloa…) se livrent à des guerres acharnées pour la conquête (ou la défense) de territoires ou de nouveaux marchés. Si leur violence est immense, leur capacité de corruption est encore plus grande. C’est pour cela que les élections municipales – dont les élus sont au plus près du terrain – les intéressent au plus haut point. La violence n’épargne donc pas la campagne électorale : d’après le gouvernement, 15 candidats à des mandats locaux ont été assassinés depuis octobre 2023 (23 selon les experts du cabinet d’études Integralia.) Ils n’ont pas vraiment le choix les tueurs des cartels (les sicarios) appliquant la formule devenue célèbre : « plata o plomo » (de l’argent ou du plomb.)

Mme Xóchitl Gálvez, sénatrice et ancienne maire de Miguel Hidalgo (au nord-ouest de Mexico) est la candidate de l’opposition unie (Parti action nationale, Parti révolutionnaire institutionnel et Parti de la révolution démocratique.) Elle insiste notamment sur la sécurité publique mais s’est engagée à ne pas revenir sur les programmes sociaux mis en place par AMLO. Elle fait campagne avec pour slogan « un Mexique sans peur […] c’est est fini des accolades avec les délinquants! »

Par contre, les deux prétendantes sont d’accord sur la nécessité de renforcer les polices et les institutions judiciaires ainsi que le renforcement de la coordination entre les différentes autorités.

Il s’agit également de renforcer la Garde nationale sous contrôle militaire créée par M. Lopez Obrador pour remplacer l’ex-police fédérale en grande partie corrompue.

Mais la différence apparaît dans leurs priorités.

Mme Sheinbaum veut de nouveaux programmes sociaux pour la jeunesse et Mme Galvez souhaite s’en prendre aux criminels les plus recherchés.

À l’image de ce qui s’est passé au Salvador en 2023 avec le président Nayib Bukele, la candidate de l’opposition veut également édifier une prison pour les délinquants les plus dangereux et lancer l’armée contre les grandes mafias.

 

D’après un sondage du journal national El Financiero, la sécurité est le dossier « le plus urgent » pour 41% de Mexicains. Mais il n’y a aucune solution miracle face au crime organisé pour plusieurs raisons majeures :

. sa puissance financière majeure due aux bénéfices astronomiques de ses différents trafics dont ceux de la drogue, des êtres humains, des armes, des matières premières, etc. . Tant qu’il y aura des « clients » – et leur nombre a tendance a être en constante augmentation -, ces trafics perdureront et les bénéfices également.

. Sa puissance militaire qui dans certaines régions, particulièrement en Amérique latine, surpasse celle des forces gouvernementales.

. Sa capacité à corrompre du bas en haut de l’échelle hiérarchique, qu’elle soit publique ou privée, souvent en utilisant la menace à l’égard des personnes visées et de leurs familles.

. L’imbrication de plus en plus étroite de l’économie criminelle à l’économie légale : la période de multiples conflits qui existe actuellement favorise l’émergence de « zones grises » où les deux sont confondues. Les « profiteurs de guerre » en bénéficient au premier chef…

Il convient de saluer le courage des politiques, juges, membres des forces de sécurité qui luttent au quotidien contre ce phénomène, bien souvent au péril de leur vie. Ils ont compris que le crime organisé est la menace numéro un pour la stabilité des sociétés démocratiques.

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Texte

Alain Rodier