Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a déclaré au début juin qu'il était favorable à un pacte négocié entre les collectifs de recherche de personnes disparues et les organisations criminelles mexicaines afin de mettre fin aux enlèvements. Il espère même que ce pacte pourrait permettre de « parvenir à la paix ». Il a d’ailleurs reconnu que le taux d’homicides sous sa législature était très élevé ce qui ne semble pas nuire à sa popularité qui se retrouve dans les urnes pour les élections régionales de 2023.

En effet, le 25 mai, l’administration du président Obrador a établi un record de 156 136 meurtres depuis sa prise de fonction en décembre 2018. Ce nombre a déjà dépassé la période de six ans de l’administration précédente… La stratégie « des câlins, pas des balles » ne paraît pas avoir bien fonctionné jusqu’à présent. AMLO a reconnu que son gouvernement était déjà le mandat de six ans le plus violent de l’histoire récente du Mexique. Cependant, il prétend que cela était dû au « mauvais héritage » que les gouvernements précédents lui ont laissé.

Le président a souligné que ce sont les prédécesseurs qui ont créé les gangs et les groupes criminels et qui se « consolidaient » en raison de l’impunité et de la complicité des autorités et a donné un exemple à Genaro García Luna, ancien secrétaire à la sécurité publique au cours des six années mandat de Felipe Calderón qui est aujourd’hui emprisonné aux États-Unis pour ses liens avec le trafic de drogue.

Le président a assuré qu’au cours du dernier mandat de six ans, les homicides ont augmenté de 59 %, tandis que le pire bond s’est produit dans le gouvernement Calderón lorsqu’ils ont augmenté de 192 %, suite à la militarisation de la guerre contre la drogue en 2006. Cette variable le favorise, car selon ses statistiques, au cours des cinq dernières années, il a chuté de 17 %. « Cela nous a coûté cher, et nous espérons que cela continuera à diminuer » a affirmé le président.

Ce nouveau pacte a été rédigé par Delia Quiroa, une femme qui n’a pas vu son frère depuis neuf ans et qui préside un collectif de recherche de personnes disparues. Elle pense qu’il a été assassiné par des membres d’un groupe criminel qui ont ensuite fait disparaître le corps.

Ce pacte a été adressé aux dirigeants de dix groupes criminels les plus importants du Mexique, leur demandant de mettre fin aux disparitions.

Il a été publié sur la page Twitter de Dellia Quiroa et lue à haute voix sur sa chaîne YouTube et détaille l’épidémie de disparitions au Mexique due à la violence liée à la drogue.

Dans ce texte, Quiroa souligne aussi que « la majorité de la classe politique (…) se consacre à monter des opérations et à siphonner les fonds publics. » Elle affirme par ailleurs en avoir « marre du manque d’action du gouvernement ou des forces de l’ordre ».

Elle affirme qu’aussi bien les membres des groupes criminels que leurs victimes sont « opprimés » par le gouvernement par le biais d’« abus de pouvoir ».

Évoquant les criminels recherchés, elle déclare à leur propos : « les gens sur les affiches manquent aussi. Et leurs mères les recherchent ». Elle met en avant une « humanité partagée » notant que les Mexicains rejoignent des gangs non par « méchanceté » mais par manque d’« opportunités ». Elle poursuit : « nous avons quelque chose en commun […] nous sommes maltraités par notre gouvernement – vous lorsque vous êtes détenu, et nous en tant que victimes qui recherchons nos proches, n’ayant personne pour nous défendre ». Elle conclut part : «  Les membres des cartels aiment leurs familles et pleurent leurs morts comme tout le monde, comme en témoigne leur participation à des traditions comme la fête des mères et celle des morts [en conséquence], j’ai décidé de vous parler directement à travers ce document et de vous rappeler votre origine ».

Elle semble persuadée que les groupes criminels et la société mexicaine pourraient « se réconcilier » et « s’unir » pour mettre fin aux disparitions.

Les trois points clés de l’accord proposé sont les suivants :

1. Assurer des sépultures dignes aux victimes des cartels afin de mettre fin aux disparitions ;

2. Respecter la vie et la libre circulation des collectifs de recherche de disparus ;

3. Mettre fin au conflit armé au Mexique, sauf en cas de légitime défense garantie par la Constitution.

 

Si un accord n’est pas atteint, Quiroa avertit que le Mexique risque une intervention des États-Unis au motif que le gouvernement mexicain n’assure pas la sécurité de ses concitoyens.

Quiroa demande aux chefs des groupes criminels destinataires de son message s’ils acceptent le pacte, de rendre leur accord public en publiant une vidéo d’eux adressée à deux célèbres journalistes mexicains (Azucena Uresti et Ciro Gomez Leyva).

Il y a aujourd’hui 110 763 personnes officiellement disparues au Mexique mais ce chiffre pourrait être beaucoup plus élevé selon les ONG.

En réponse à cela, beaucoup de leurs proches ont consacré leur vie à leur recherche formant souvent des collectifs tels que celui que représente Quiroa.

Ces ONG font face à des tracasseries administratives de la part des autorités et à de graves menaces de la part des groupes criminels. Selon la journaliste Analy Nuño, 18 de leurs membres ont été tués depuis 2010.

Nathan P. Jones, professeur agrégé d’études de sécurité à l’Université d’État Sam Houston (Texas) pense qu’il est peu probable que les cartels mettent fin à ce qui est, pour eux, une tactique importante pour exercer le pouvoir : « le crime organisé, de par sa nature même, s’appuie sur des menaces crédibles pour obtenir une obéissance aveugle de la part des populations. Et l’un des moyens pour  y parvenir est d’assassiner et de faire disparaître des gens ». Les cartels affirmeraient parlant des victimes : « ils ne trouveront même pas une seule de vos cendres quand nous vous ferons disparaître. Votre famille ne pourra jamais faire son deuil ».

Ce travail macabre est effectué par des criminels connus  sous l’expression de « fabricants de soupe ». À noter que les mafia italienne utilisent la même méthode qui s’appelle la « lupara bianca ».

Le professeur Jones estime que Quiroa se met gravement en danger en s’adressant de la sorte aux chefs des cartels mexicains.

Le crime organisé ne semble pas nuire au pouvoir actuel. La nouvelle hégémonie du Mouvement pour la régénération nationale (Morena) qui dirige déjà 22 des 32 États de la fédération, seul ou avec ses alliés, continue à s’affirmer.

Publié le

Texte

Alain Rodier