Les élections municipales au Nicaragua devraient se tenir au début novembre au Nicaragua. Le président et ex-guérillero sandiniste de 76 ans, Daniel Ortega, et sa vice-présidente et épouse (depuis 1978), Rosario Murillo, ont encore intensifié la répression des mouvements d’opposition et de l’Église renouant avec les plus « belles » années de luttes pour établir le marxisme-léninisme sur ce pays centre-américain.
Le Front sandiniste de libération nationale (FSLN), la formation au pouvoir depuis 2007, continue à verrouiller les derniers espaces de pouvoir qui lui échappent encore. Ainsi l’Assemblée nationale tenue par le parti présidentiel a interdit 78 ONG franchissant la barre du millier d’organisations dont les activités sont aujourd’hui considérées comme illégales.
Une des plus récentes cibles du FSLN a été la congrégation religieuse des Missionnaires de la charité, ordre créé par Mère Teresa, qui ne comptait sur place qu’une quinzaine de religieuses. Ces dernières ont été expulsées le 6 juillet par voie routière vers le Costa Rica. Elles représentaient vraisemblablement un danger important pour le couple présidentiel.
Il est exact que l’Église est une des dernières institutions semblant encore capable de s’opposer au pouvoir actuel qui prône « les petits matins qui chantent ».
La réaction du couple Ortega – des marxistes-léninistes « historiques » toujours convaincus – est d’autant plus vive que le souvenir de l’action de Pape Jean-Paul II en Pologne communiste reste très présent dans leur mémoire. C’est lui qui a inspiré la fin de cette idéologie en Europe de l’Est !
Pour faire un exemple, les autorités nicaraguayennes s’en sont pris à Mgr Rolando Alvarez, l’évêque de Matagalpa (nord-est du Nicaragua) l’accusant de vouloir « organiser des groupes violents » et d’inciter « à des actes de haine (…) afin de déstabiliser l’État du Nicaragua ». La police l’assiège depuis le 4 août dans son évêché. À la grande fureur des autorités, il répète : « nos genoux se plient uniquement devant Dieu, nos fronts ne s’inclinent que devant Dieu ».
Plus généralement, le pouvoir harcèle en permanence les membres de l’Église et ses fidèles depuis 2018 en procédant à des arrestations arbitraires, des perquisitions, des fermetures de radios et télévisions catholiques, l’expulsion de religieux, etc.
En effet, cette année là les relations entre le pouvoir et l’Église catholique accusée d’être « complice » d’une tentative de coup d’État fomentée par Washington se sont détériorées. En réalité, des manifestations d’une violence extrême exigeant le départ du couple présidentiel considéré comme totalement corrompu avaient eu lieu faisant au moins 350 morts, majoritairement des opposants. Souvent, les manifestants pourchassés trouvaient refuge dans les lieux de culte catholiques.
C’est le nonce apostolique (ambassadeur du Vatican) Mgr Waldemar Sommertag, qui avait négocié le retour au calme en 2019. Depuis, il a été expulsé. Le Vatican a réagi le 11 août par l’intermédiaire de son représentant au sein de l’Organisation des États américains (OEA) qui a voté une résolution condamnant le traitement de l’Église catholique par le régime autoritaire de Daniel Ortega. À noter que Managua était sorti de l’OEA basée à Washington le 24 avril en qualifiant cette organisation de « diabolique instrument du mal ».
Pourtant, Daniel Ortega, lorsqu’il était revenu légalement au pouvoir en 2007, avait présenté ses excuses à l’Église catholique pour les relations difficiles qu’il avait entretenu avec elle durant ses premières années de gouvernance de 1979 à 1990. Bien qu’athée personnellement, il ne pouvait ignorer que les peuples latino-américains en général et vénézuélien en particulier entretiennent des relations particulières avec la religion catholique. En fin politique, il fallait bien faire quelques concessions pour ne pas se couper d’une partie de la population !
Bref historique
En 1979, la guérilla du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) emmenée par le guérillero Daniel Ortega(1) alliée à des mouvements libéraux renverse le dictateur Anastasio Somoza Debayle(2).
Le FSLN se débarrasse rapidement de ses alliés « encombrants » pour gouverner seul en adoptant une « démocratie participative » encadrée par des comités de défense à la mode castriste. En clair : une dictature communiste dite localement « socialiste » s’appuyant sur la force des armes.
Le régime adopte une politique de nationalisations mais abolit la peine de mort et dépénalise l’homosexualité.
Il lance aussi une « croisade nationale d’alphabétisation » qui fût une grande réussite, le taux d’alphabétisation passant dans les années 1980 de 13 % à 50 %.
À noter qu’il a aussi considérablement amélioré le système de santé nicaraguayen réduisant de moitié la mortalité infantile. En résumé, l’éducation et la santé ont été rendues gratuites ce qui a été très logiquement extrêmement populaire.
Washington craignant la progression du marxisme-léninisme dans son pré-carré latino-américain a placé le Nicaragua sous embargo allant jusqu’à miner ses ports pour en interdire l’accès.
La CIA a créé de toutes pièces le mouvement d’opposition armé surnommé les « Contras ». De nombreux scandales concernant cet « appui » ont ensuite éclaté (mercenaires, Irangate, etc.) mais ils ont vite été oubliés.
Une guerre civile a fait rage faisant plus de 30.000 victimes et paralysant l’économie du pays et les réformes entreprises. Pour l’anecdote, les États-Unis ont été condamnés en 1987 par le Tribunal international de la Haye à 17 milliards de dollars d’indemnisation au Nicaragua, amende qui n’a jamais été versée (Washington ne reconnaît pas la validité de ce tribunal).
La première élection présidentielle depuis la révolution de 1979 se tient en 1984, Ortega obtenant 67 % des voix. Washington a immédiatement contesté ce résultat malgré la présence de nombreux observateurs internationaux.
Les élections anticipées de 1990 voient la défaite du FSLN. Daniel Ortega reconnut alors sa défaite, ce qui crédibilisa sa volonté affichée de transparence. Il déclara néanmoins que le FSLN continuerait de gouverner « d’en bas ».
En 1996 puis en 2001, Ortega est à nouveau battu à la présidentielle.
En 2006, il retrouve son siège de président grâce à une magouille de la constitution qu’il avait mis en place. Il est de nouveau élu en 2011 et en profite pour abroger la limite de deux mandats consécutifs du président. 2016 et 2021 ont ainsi vu sa réélection toujours avec une large majorité…
Sur le plan international, le Nicaragua adhère en 2007 à l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba) créé en 2004 par Hugo Chavez et Castro. Ortega est aussi un proche de Vladimir Poutine (qu’il soutient dans le conflit ukrainien)(3) et du président biélorusse Alexandre Loukachenko.
Des rumeurs (issues de Washington) laissent à penser qu’il a des liens avec les guérilleros colombiens des FARC qu’il qualifie de « frères ». Gustavo Petro, le président élu le 19 juin 2022 en Colombie – un ancien membre du M-19 marxiste-léniniste dissout en 1990 – dont « le gouvernement devrait être celui « de la vie, la paix, la justice sociale et la justice environnementale » et de la fin de la « guerre contre la drogue » rencontre sa pleine adhésion.
Ses rapports avec les États-Unis – toutes Administrations confondues – qui soutiennent les partis politiques et ONG d’opposition nicaraguayens, sont toujours tendus.
L’Organisation des États Américains (OEA) a exigé au début août du gouvernement nicaraguayen qu’il arrête le « harcèlement et les restrictions arbitraires » contre les ONG, les médias, les organisations religieuses et les opposants. Elle a aussi demandé « la libération immédiate » des prisonniers politiques, dont le nombre est évalué à environ 190.
Depuis un an, 46 opposants ou simplement critiques du gouvernement ont été arrêtés et condamnés à des peines pouvant aller jusqu’à 13 ans de prison. Sept d’entre eux devaient être candidats à la présidentielle.
La suite risque d’être imprévisible, le président étant relativement âgé mais une succession « à la cubaine » est toutefois possible dans la mesure où elle est préparée à l’avance. Nul doute que Washington va tout faire pour l’empêcher mais quand on connaît ses « succès » à Cuba…
1. Issu d’une famille bourgeoise, il rejoint la guérilla au milieu des années 1960. Il est arrêté en 1967 et passe sept ans derrières le barreaux dans des condition effroyables ; Il est libéré suite à une échange de prisonniers (un membre de la famille du dictateur et les ambassadeurs américain et chilien au Nicaragua enlevés par un commando du FSLN.
2. Après un passage aux États-Unis, Somoza s’est réfugié au Paraguay sous la protection du président Alfredo Strossner. Il est assassiné le 17 septembre 1980 à Asuncion par un commando vénézuélien. Daniel ne lui pardonnait pas la mort sous la torture de son frère Camillio en 1978.
3. Voir : « NICARAGUA. Provocation du président ‘commandante’ Ortega ? » du 16 juin 2022.
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