Les évènements qui viennent de se passer en Russie restent très mystérieux, même aux yeux des experts géopolitiques réputés. À leur décharge, même Sir Wiston Churchill disait : « la Russie est un rébus enveloppé de mystère au sein d'une énigme ».
Sans revenir sur les évènements largement relatés par les medias ce week-end qui ont conduit à la prise du quartier général de l’armée russe à Rostov-sur-le-Don (au sud-ouest de la Russie), centre névralgique des opérations en Ukraine puis à l’avancée d’une colonne du Groupe Wagner jusqu’à 400 kilomètres de Moscou, leur chef Evguéni Prigojine a fait volte-face.
Il avait frontalement défié l’autorité du président Vladimir Poutine. pour obtenir la tête du ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et du chef-d’état major, Valéri Guérassimov, accusés d’avoir sacrifié des dizaines de milliers d’hommes en Ukraine inutilement. Il est d’ailleurs possible que les jours de ces deux généraux ne soient comptés mais cela fait des mois que les observateurs l’annoncent. Le problème est que Poutine ne fait jamais rien comme le voudraient les Occidentaux…
Prigojine avait promis « de libérer le peuple russe » mais a finalement fait machine arrière afin, selon lui – d’éviter de faire couler le « sang russe ». Il n’empêche qu’au moins deux équipages d’aéronefs russes abattus par ses hommes n’ont pas survécu.
Selon l’accord conclu, Prigojine doit partir pour la Biélorussie et les poursuites contre lui seront abandonnées.
Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin a déclaré le 24 juin dans la soirée : « il y était de l’intérêt supérieur d’éviter un bain de sang » tout en saluant « une résolution sans nouvelles pertes » de la crise, qui a vu le président biélorusse Alexandre Loukachenko jouer le rôle de médiateur car il connaissait Prigogine depuis plus de vingt ans…
Mais pour un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak, « Prigojine a humilié Poutine et a montré qu’il n’y a plus de monopole de la violence ».
Les événements ont été suivis de près par les gouvernements occidentaux. Selon le Washington Post et le New York Times, les services de renseignement américains avaient prévenu la Maison-Blanche de l’imminence de la révolte de Wagner en Russie un jour avant qu’elle n’éclate.
Les suites ?
Cette crise aussi extraordinaire que de courte durée ne sera sans conséquences pour Moscou, pour Wagner et pour son chef.
Rob Lee, chercheur au Foreign Policy Research Institute aux États-Unis a tweeté : « Poutine et les services de sécurité essaieront probablement d’affaiblir Wagner ou d’écarter Prigojine […] les effets les plus importants se feront ressentir au Moyen-Orient et en Afrique, où Wagner est très présent ».
Selon le Kremlin, aucun des combattants du groupe Wagner, qui joue un rôle clé aux côtés de l’armée russe en Ukraine, ne sera poursuivi pour le coup de force, selon le Kremlin. Tous les mercenaires devraient réintégrer l’armée russe et rejoindre le front en Ukraine.
Analyse
Même au milieu de tous ces mystères, il convient de se raccrocher à certains « fondamentaux ».
Il est rigoureusement impossible que Poutine n’ait pas été prévenu à l’avance de ce qui allait se passer. Même les Américains (et donc les Ukrainiens) savaient qu’une révolte était en préparation comme cela a été évoqué précédemment. La société Wagner est certainement infiltrée par les principaux services secrets russes : FSB et GRU…
Les théories de manipulations (maskirovka) ourdies par le Kremlin pour tromper les Ukrainiens – voire les défecteurs possibles en Russie pour les identifier – semblent exagérées car Poutine sort considérablement diminué de cette épreuve. De plus, l’armée ukrainienne n’a pas profité de la faiblesse apparente de la Russie pour lancer une « percée décisive » qui vraisemblablement aurait été vouée à l’échec. Peut-être que Washington avait mis en garde Kiev contre toute initiative inconsidérée.
Au grand désespoir de Prigogine, aucune personnalité russe n’a pris le parti de la « révolution » (comme cela avait été le cas lors celle de 1991) en dehors de quelques fortunés qui sont partis « en vacances » à l’étranger pour y attendre la suite des évènements. Il se retrouvait donc bien seul…
Quant à la photo ci-avant, elle montre Prigogine dans la cour de l’état-major militaire russe à Rostov en compagnie du ministre adjoint de la défense (le colonel général le colonel général Yunus-Bek Bamatgireyevich Yevkurov, à gauche sur l’image (1)) et le directeur adjoint du GRU (le lieutenant-général Vladimir Alekseyev). Au moment de la prise de vues, même si les trois hommes semblent boire tranquillement un café, le statut des deux officiers généraux n’est pas connu : prisonniers, ralliés ?
La suite est impossible à prévoir tant les responsables russes ne réagissent pas de manière cartésienne (avec une certaine logique scientifique). Tout peut arriver. La parole de Prigojine n’engage que lui. Idem pour celle de Poutine surtout que son ancien maître d’hôtel est devenu très gênant et qu’il connaît un tas de choses que les Occidentaux seraient ravis d’entendre (une exfiltration par les Anglo-saxons est toujours dans le domaine du possible ; dans ce domaine, ils sont excellents et surtout, ils ont les moyens financiers nécessaires).
Le lobby militaro-industriel russe qui soutient (encore) Sergueï Choïgou et Valéri Guérassimov a aussi son mot à dire.
Quant au sort de Viktor Bout, le célèbre trafiquant d’armes que Prigojine avait officiellement rencontré le 13 juin après l’avoir peut-être placé à la tête du « siège » de Wagner à St-Petersburg (qui a été perquisitionné le 25 juin), il est pour l’instant absent…
Il est possible que Wagner se recentre sur la Syrie et l’Afrique (en Libye, au Soudan, au Mozambique, Mali ainsi qu’en République centrafricaine) avec un contrôle plus étroit de l’État russe car ses employés doivent désormais se faire « enregistrer ».
Quant à leur sort personnel, ni Prigojine ni Poutine ne peuvent dormir tranquille : un garde du corps, cela se retourne…
1. Voir : « Bamatgireyevich Yevkurov devrait prendre la direction du GRU » du 20 septembre 2023.
2. Voir « ÉTATS-UNIS – RUSSIE : Échange de prisonniers » du 12 décembre 2022.
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