Peu à peu, les conséquences du putsch avorté du 24-25 juin se font sentir. Evgueni Prigojine serait bien réfugié à Minsk.

8.000 de ses hommes seraient installés dans une ancienne base militaire qui, selon le média d’investigation Verstka.media, serait situé à Ossipovitchi à 200 kilomètres de la frontière avec l’Ukraine. Selon Verstka : « la superficie de ce camp serait de 24 000 mètres carrés ». La construction d’autres camps en Biélorussie serait aussi évoquée.

Le président Alexandre Loukachenko qui a négocié l’accord entre Wagner et le Kremlin réfléchit avec son état-major quel profit il pourrait tirer de ces combattants expérimentés russes pour entraîner ses propres forces. Ce qui est certain, est qu’il faut les « occuper » de manière à ce qu’ils se tiennent tranquilles…

À l’international

Le leader émirien Mohamed Ben Zayyed, l’émir du Qatar Cheikh Tamim et le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman (MBS) ont appelé au téléphone Vladimir Poutine après la tentative de putsch de la fin juin. MBS s’est « félicité de la désescalade » entre Poutine et Evgueni Prigojine.
L’Arabie, comme le Qatar et les Émirats souhaitent rester neutres dans le conflit qui oppose Moscou à Kiev tout en espérant jouer un rôle de médiateur.

Le Chine reste dans une prudente expectative politique.

Le Wall Street Journal américain a rapporté le 28 juin que « le vice-ministre russe des Affaires étrangères s’est rendu à Damas pour livrer personnellement un message au président syrien Bachar el-Assad : les forces du groupe Wagner n’y opèreront plus de manière indépendante ».
Par ailleurs, « des hauts responsables du ministère russe des Affaires étrangères ont téléphoné au président de la République centrafricaine, dont les gardes du corps personnels comprennent des mercenaires Wagner, offrant des assurances que la crise passée ne ferait pas dérailler l’expansion de la Russie en Afrique ».
Enfin : « des avions gouvernementaux du ministère russe des situations d’urgence ont fait la navette de la Syrie au Mali, un autre des principaux avant-postes étrangers de Wagner ».
A n’en pas douter, tous ces mouvements montrent une réorganisation de la société militaire privée (SMP) Wagner.

Nettoyage en interne ?

Les autorités russes auraient « arrêté le général Sergei Surovikin, commandant adjoint des opérations militaires russes en Ukraine dans le cadre d’une purge de responsables militaires à la suite de la rébellion de courte durée des forces mercenaires de Wagner » selon des sources citées par le journal Moscow Times et un militaire russe blogueur.

Sur sa chaîne Telegram, Romanov-92 a déclaré que Surovikin se trouvait au centre de détention provisoire de Lefortovo.

L’Institut pour l’étude de la guerre (ISW), un important think tank basé à Washington a rapporté qu’une autre source russe affirmait que des « affiliés » militaires de Surovikin avait été « accusé de complicité dans la rébellion ». Ces informations sont à considérer avec prudence car l’ISW est réputé pour servir de relai à la politique d’influence américaine.

Surovikine surnommé le « Général Armageddon » en raison de sa férocité est un vétéran des guerres russes en Tchétchénie et en Syrie.
Alors qu’il était commandant en chef du corps expéditionnaire russe en Ukraine, il a été critiqué comme le responsable de la retraite de la Russie sur le fleuve Dniepr à l’automne dernier lors de l’offensive ukrainienne sur Kherson.
Mais il est maintenant admis qu’il a grandement contribué à renforcer les défenses russes qui semblent si difficiles à franchir pour la contre-offensive ukrainienne.
Il est également félicité pour avoir organisé les frappes de drones fournis par l’Iran et pour avoir créé le soi-disant « hachoir à viande Bakhmout » qui aurait « fixé » les forces ukrainiennes avec comme acteur principal le Groupe Wagner (d’où ses « bonnes relations » supposées avec Prigojine).

Selon le site non officiel Rybar présenté comme « pro-Kremlin » mais en réalité ayant des liaisons troubles avec le Groupe Wagner : « la direction effective du déroulement de l’opération militaire spéciale est assurée [désormais] par le commandant des Forces aéroportées, le colonel-général Mikhail Teplinskiy [à gauche ci-après] ».

Valery Gerasimov conserve officiellement le poste de chef d’état-major général, mais n’a plus rien à voir avec la résolution des problèmes » de l’invasion russe en cours.
Gerasimov avait pris le commandement direct de l’« opération spéciale » en janvier 2023 (tout en restant CEMG) reléguant Surovikin à une place d’« adjoint », un vrai coup dur pour ce « héro » de la Fédération de Russie décoré de cette haute distinction par le président Poutine en 2017.
Surovikin avait pris le commandement de l’ « opération spéciale » en octobre 2022 mais avait la responsabilité du front sud depuis son début.

Toujours selon le site Rybar, la révolte de Prigojine constitue un « crash test » destiné à éprouver la loyauté des grands serviteurs de l’État russe au milieu d’une « indécision » apparente de certains membres du commandement militaire lorsqu’il s’agissait d’écraser la mutinerie de Wagner et leur « soutien » éventuel à la force mercenaire privée. Le soulèvement de Wagner est « devenu un prétexte pour une purge massive dans les rangs des forces armées russes […] Si les autorités russes ont arrêté Surovikin, le Kremlin l’utilisera lui et ses affiliés comme boucs émissaires pour expliquer publiquement pourquoi l’armée russe et les appareils de sécurité intérieure russes ont mal réagi à la rébellion et pour justifier une refonte potentielle de la direction militaire russe ».
Toutefois, l’ISW (Institute Studies of Wars) « ne peut confirmer aucune de ces spéculations sur les changements de commandement pour le moment, mais il est évident que la rébellion armée continue d’avoir des ramifications substantielles dans l’espace d’information ».

Manipulations américaines ?

Dans ce dernier domaine, les Américains font le forcing pour ajouter à la confusion en Russie. Ainsi, trois responsables américains prétendent que Surovikin était connu pour être favorable à la rébellion de Wagner, mais prudents, ils disent qu’il n’était pas sûr qu’’il la soutenait activement…
Alors que le soulèvement avait lieu, il avait publiquement exhorté le 24 juin les combattants de Wagner à retourner dans leurs bases. Mais « un ancien responsable américain (non identifié) » a qualifié ce message de « vidéo d’otage ». Lors de sa déclaration, « le langage corporel du général Surovikin suggérait qu’il était mal à l’aise de dénoncer un ancien allié, qui partageait son point de vue sur les dirigeants militaires russes ».

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov a déclaré le 28 juin : « il y a maintenant beaucoup de spéculations et de commérages différents autour de ces évènements […] je pense que c’est un exemple de cela […] L’armée russe et le peuple ont tous soutenu le président (Vladimir Poutine) pendant le soulèvement ».

Au-delà de Surovikin, le New York Times a rapporté que des responsables américains ont déclaré qu’il y avait des signes « que d’autres généraux russes pourraient également avoir soutenu la tentative de Prigojin de changer par la force la direction du ministère de la Défense ».
Ils auraient déclaré que Prigojin n’aurait pas lancé son soulèvement s’il n’avait pas cru que d’autres personnes en position de pouvoir viendraient à son aide.

Enfin, il semble que la SMP Groupe Wagner passe sous le contrôle total des autorités militaires russes. Les publicités vantant un engagement dans la SMP dans le métro de Moscou ont été remplacées par une réclame pour l’armée. Mais chose étrange, il reste encore de nombreux points de recrutement de Wagner en Russie…

1. Voir : « Les suites du ‘putsch’ avorté du Groupe Wagner » du 26 juin 2023.

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Texte

Alain Rodier

Photos

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