Le 2 avril, un célèbre blogueur nationaliste pro-Poutine Maxime Fomine alias Vladlen Tatarsky a été tué par une bombe alors qu’il donnait une conférence dans le café Street Food Bar No. 1 situé au 25 rue de la Neva Universitetskaïa à proximité du centre historique de Saint-Pétersbourg.

Cet établissement appartient à Evgueni Prigojine, le chef du Groupe Wagner. Un club de discussion « Cyber Front Z » s’y tenait presque toutes les fins de semaines. Ce groupe qui se décrit sur les réseaux sociaux comme « les soldats de l’information de la Russie » a indiqué qu’il avait loué le café pour la soirée. Il a déclaré sur Telegram « Il y a eu une attaque terroriste. Nous avons pris certaines mesures de sécurité, mais malheureusement, elles n’ont pas suffi ».
Un bilan du Comité d’enquête, en charge des investigations principales en Russie, fait état d’un mort et de 32 blessés dont huit en état grave. L’assemblée coptait une petite centaine de personnes.

Maxime Fomine
Âgé de 40 ans et né dans le Donbass ukrainien, il était suivi par plus d’un demi-million d’abonnés sur sa chaîne Telegram. Ancien condamné pour attaque à main armée en Ukraine, il a recouvré la liberté lors de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Il avait déclaré soutenir l’intervention de la Russie en Ukraine. Il avait combattu plusieurs mois en 2014 au sein de milices prorusses séparatistes dans l’est de l’Ukraine puis était devenu « blogueur de guerre » faisant de nombreux reportages sur le front. Il avait défrayé la chronique en septembre 2022 en déclarant lors d’une réception donnée au Kremlin pour célébrer l’annexion de régions ukrainiennes : « On vaincra tout le monde, on tuera tout le monde, on volera tous les gens qu’il faudra, tout sera comme on aime.»
L’ordre du Courage lui a été décerné à titre posthume par le président russe .

L’arme du crime : une statuette piégée
Pour le Comité antiterroriste de Russie, il n’y a aucun doute, l’attentat « a été planifié par les services secrets de l’Ukraine qui ont recruté des agents parmi ceux collaborant avec le prétendu Fonds de lutte contre la corruption de Navalny ».

La suspecte principale arrêtée
Selon les premiers éléments de l’enquête, une Russe de 26 ans, Daria Trepova, aurait offert au blogueur lors de sa conférence une boîte contenant une statuette piégée d’une charge équivalente à 200 grammes de TNT. Elle est connue comme une militante du Fonds de lutte contre la corruption créé par Alexeï Navalny, l’opposant emprisonné qui purge depuis deux ans une peine de neuf ans d’incarcération pour escroquerie. Il fait aussi l’objet de poursuites pour extrémisme. Le 9 mars 2022, Daria Trepova avait été arrêtée lors d’un rassemblement anti-guerre à Saint-Pétersbourg et condamnée à dix jours de prison.

Curieusement, Daria Trepova semblait être connue de Maxime Fomine (qui l’a appelé « Nastya ») pour s’être « croisés lors d’évènements ». Cela expliquerait qu’elle a pu l’approcher facilement… Il l’a remercié pour la statuette qu’il a examinée en disant « c’est moi ? ». Il l’a fait applaudir par la salle…

Détail peut-être anodin, la coupe de cheveux de la jeune femme après son arrestation ne correspond pas à celle des photos prises avant l’explosion. Les conditions de détention et le régime auquel sont soumis les personnes arrêtées en Russie sont réputées pour être particulièrement difficiles.

Après les accusations portées contre l’organisation d’Alexeï Navalny, la porte-parole du mouvement, Kira Iarmych, a dénoncé un coup monté du Kremlin : « Alexeï sera bientôt jugé pour extrémisme. Il risque 35 ans de prison. Et le Kremlin s’est dit qu’il serait super pour la suite de pouvoir y ajouter ‘terrorisme’. »
Une seule certitude, Navalny n’est pas en mesure de piloter une action depuis la colonie pénitentiaire de « haute sécurité » (localisation non connue) où il est incarcéré depuis juin 2022. Cela dit, il envoie parfois des messages qui sont largement diffusés sur le net.

Une information non recoupée fait état d’une deuxième suspecte qui se prétendrait « journaliste » et qui serait recherchée. Elle aurait été en contact avec Trepova et pourrait être ukrainienne. Elle lui aurait promis de l’exfiltrer vers l’Ukraine une fois sa mission remplie…
À noter qu’il est difficile de croire que la jeune femme ne savait pas que la statuette allait exploser car elle a quitté rapidement la scène après l’avoir remise (et n’a pas été blessée.)

Dès le 2 avril, Mykhailo Podoliak, un responsable de la présidence ukrainienne, avait démenti toute implication de Kiev estimant qu’il s’agissait de « terrorisme intérieur » dû à des rivalités au sein du régime russe.

L’époux de Trepova, Dmitry Rylov, ne serait pas particulièrement inquiété par les autorités. Il est membre du Parti libertarien de Russie (un parti politique russe fondé en 2007 à Saint-Pétersbourg. La branche moscovite de l’organisation a été créée le 24 mai 2008 à Moscou en présence de l’épouse d’Andraï Sakharov. En 2012, l’une de ses membres, Vera Kichanova a été élue à Moscou dans le district de Tushino, devenant ainsi le premier député libertarien en Russie.) Ce parti a affirmé que Trepova n’en n’était pas membre.
Mais Rylov serait tout de même connu pour militantisme anti-guerre. Il avait été détenu à plusieurs reprises, notamment pour avoir participé à un rassemblement non autorisé.

En août 2022, le FSB, les services de sécurité russes, avait accusé son homologue ukrainien d’avoir tué Daria Douguina, fille d’un idéologue considéré comme proche du Kremlin, morte dans l’explosion de sa voiture près de Moscou(1).

Toutes les hypothèses sont sur la table. Kiev dément être derrière ces deux affaires laissant entendre que le Kremlin n’y serait pas étranger.

Prenant le contre-pied des autorités russes, Evgueni Prigojine a semblé exclure que ces assassinats aient été préparés par les services secrets ukrainiens. « Je n’accuserai pas le régime de Kiev de ces actes. Je pense qu’un groupe de radicaux est en action », a-t-il dit sur la chaîne Telegram de son service de presse. Le 2 avril, il avait rendu hommage au blogueur.

La seule certitude est que des professionnels ont été de la partie. Des « amateurs » n’ont pas les compétences techniques pour piéger une statuette avec un système de mise à feu qui reste pour l’instant mystérieux. La « porteuse » devait pouvoir avoir quitté les lieux avant la déflagration qui, au passage a fait une trentaine de blessés. Il semble que cela ne devait pas compter dans l’esprit des commanditaires…
De plus, cette opération nécessitait un recueil de renseignements assez pointus pour savoir où et quand passer à l’action.
Le seul bémol est l’arrestation de la suspecte. Un service n’aime pas laisser des traces derrière lui…

Tout est possible en Russie où politique, jeux de pouvoir, mafias, services secrets se mêlent étroitement. Et si ce sont les services ukrainiens qui sont derrière cette affaire, ils ne l’avoueront jamais – sauf accident -.

1 Voir : « RUSSIE : assassinat de la fille d’un proche de Poutine » du 22 août 2022.

Publié le

Texte

Alain Rodier

Photos

DR