Alors que trois réunions internationales se tiennent le même jour (OTAN, Union Européenne et G7, un sujet n’est pas abordé directement car il fait peur : Vladimir Poutine peut-il déclencher une guerre nucléaire ? La réponse est pourtant très simple : oui s’il pense que les intérêts vitaux de la Russie sont menacés. Cela entraîne automatiquement la seconde question : à partir de quelle limite le président Poutine estime que les intérêts vitaux de la Russie sont engagés ?

Dmitri Perskov, le porte-parole du Kremlin a déclaré à CNN le 22 mars : « nous avons une doctrine de sécurité. Cela est public, vous pouvez y lire toutes les raisons pouvant motiver l’utilisation des armes nucléaires. Et s’il s’agit d’une menace existentielle pour notre pays, alors elles peuvent être utilisées, en accord avec notre doctrine ».
Il convient donc de savoir ce qu’entend le président Poutine par « menace existentielle ».
Le cas d’une riposte à une première frappe ennemie par des armes nucléaires, bactériologiques ou chimiques est la plus classique. Mais ce type d’attaque est hautement improbable et, en tous cas, impossible venant de l’Occident qui a une doctrine de dissuasion.
Mais s’il s’agit de l’« existence » même de la Russie, le concept est beaucoup plus flou. Si Poutine pense que s’est son propre destin qui est menacé (il se juge indispensable à la bonne marche de son pays), il peut alors placer le seuil très bas.

Tous les jours l’autorité de Poutine est mise à mal. Il est traité de « criminel de guerre » par le président Joe Biden. Ce dernier a même déclaré que Poutine pouvait utiliser des armes bactériologiques ou chimiques et qu’en ce cas, l’OTAN prendrait les décisions appropriées (sans que l’on sache bien lesquelles). Une des décisions prise par l’Alliance le 24 mars est de doter en matériels de défense contre ces armes les forces ukrainiennes tout en équipant ses propres troupes stationnées en Europe de l’Est. Il est aussi parfaitement exact que le côté « bactériologique » en Ukraine a été abordé en premier par la propagande russe qui a parlé de « laboratoires de recherche » financés par les États-Unis. Ces derniers s’en sont saisis pour affirmer que la Russie allait s’en servir pour créer lancer une attaque, peut-être sous faux pavillon.

Sur un plan purement technique, l’emploi des armes chimiques – et encore plus bactériologiques – est extrêmement complexe à mettre en œuvre pour un gain tactique discutable car il n’y a plus l’effet de surprise de la Première guerre mondiale. Par contre, accuser l’adversaire de les employer (comme les bombes au phosphore qui ne sont toutefois pas interdites par les lois de la guerre si elles ne sont pas utilisées directement sur des populations civiles) permet de le « diaboliser » un peu plus. Au début de la Première Guerre mondiale, la presse française accusait bien les « Boches » de couper les mains des enfants.

De son côté, le président Volodymyr Zelensky fait son possible pour tenter d’impliquer directement les pays de l’OTAN dans la guerre dont l’Ukraine est la victime.
Les pays traditionnellement anti-Russes comme les pays baltes et surtout la Pologne souhaiteraient que l’OTAN s’engage davantage. La Seconde Guerre mondiale, l’Armée Rouge puis les occupants communistes leur ont laissé de douloureux souvenirs.
Enfin, tous les commentateurs occidentaux se livrent à une surenchère permanente comme s’ils souhaitaient voir le déclenchement d’une troisième guerre mondiale.

En réalité, ces dirigeants et différents observateurs sont tout simplement intimement persuadés que Poutine n’osera pas franchir le pas car il aurait « peur de l’OTAN ». Or ils se trompent. L’auteur croyait bien que le président Poutine ne donnerait pas l’ordre d’attaquer l’Ukraine. Il croyait, vu son parcours, que c’était un « homme raisonnable ». Or, même si c’était vrai dans les années 2000, cela a changé : Poutine n’est plus un « homme raisonnable » au sens occidental du terme. Il se sent investi d’une mission « supérieure » que l’on pourrait qualifier de « divine » (mais il n’est pas croyant et se sert de la religion comme « opium du peuple ») destinée à remettre la Russie au rang qui est le sien sur la scène internationale. Par ailleurs, il sait bien qu’il n’a pas l’ensemble de la « communauté internationale » contre lui mais l’Occident plus quelques alliés dont le Japon et peut-être la Corée du Sud. La Russie continue a avoir de gros « clients », la Chine et l’Inde, des coffres-forts au Proche et Moyen-Orient et des pays qui lui sont redevables particulièrement sur le continent africain. Beaucoup restent sur une position attentiste pour voir comment la situation va tourner. Dans le but d’isoler un peu plus la Russie, le président Biden a bien proposé de l’exclure du G-20mais il devrait rencontrer une sérieuse opposition à cette option.

Donc si Poutine vient à penser que son pouvoir est vacillant du fait d’actions occidentales hostiles – et elles le sont clairement et pas seulement depuis l’invasion de l’Ukraine -, ses réactions peuvent être imprévisibles et catastrophiques.
La Pologne a bien senti le danger en n’acceptant pas de livrer ses avions de chasse MiG-29 directement à l’Ukraine, ce qui aurait constitué un casus belli. Elle a tenté de mouiller les États-Unis en leur demandant de servir d’intermédiaires mais Washington a repoussé la « patate chaude ».

La déclaration du président Biden du 21 mars faite avant la réunion trimestrielle des PDG de la « Business Roundtable » comme quoi : « il va y avoir un nouvel ordre mondial là-bas, et nous devons le diriger. Et nous devons unir le reste du monde libre pour le faire » peut être très mal interprétée par le Kremlin. Peut-être que d’autres devraient en être choqués d’autant que le président des États-Unis est venu, l’air de rien, donner ses instructions aux dirigeants européens lors des réunions OTAN, UE et G7 du 24/25 mars.

Par ailleurs Biden grignote en permanence la patience de son homologue russe en le traitant plus bas que terre, ce qui peut éventuellement se comprendre sur le plan moral mais pas au niveau diplomatique. Néanmoins, cela tend à prouver que Washington ne veut pas que les négociations de paix russo-ukrainiennes aboutissent car on ne discute pas avec un « criminel de guerre » passible des tribunaux internationaux (que ni Washington ni Moscou ne reconnaissent).

La rupture diplomatique n’est plus bien loin. Varsovie a décidé cette semaine l’expulsion de 45 diplomates russes pour « espionnage ». Il est possible que cette mesure soit suivie d’une réciproque, voire pire. Il n’est en effet pas impossible que Moscou coupe tous liens avec la Pologne qui est désormais considéré comme un pays activement « hostile » car c’est par là que transitent toutes les armes à destination de l’Ukraine.
Washington a expulsé fin février douze diplomates russes accrédités auprès du siège des Nations Unies à New York. En réponse, douze diplomates américains vont devoir quitter la Russie dans les jours qui viennent.
Le pas fatidique pourrait être la rupture des relations diplomatiques entre Moscou et Washington. À ce moment là, les pays de l’OTAN auront des questions à se poser sur la conduite à tenir.
Tous les analystes censés savent que dans cette affaire ukrainienne, les grands perdants sur les plans politico-économiques (en dehors des malheureux Ukrainiens eux-mêmes) seront les Européens. Par contre, les grands gagnants seront les États-Unis qui ne seront pas affectés par les effets boomerang des sanctions économiques et pourront vendre leur gaz de schiste (détesté par les mouvements écologistes européens) en remplacement du gaz russe. L’affaiblissement des grandes sociétés européennes obligées de se retirer de Russie est aussi un élément très appréciable pour l’économie américaine. Mais les Chinois se frottent aussi les mains car ils vont s’empresser de prendre la place laissée vacante et à leurs conditions, Moscou n’ayant pas vraiment beaucoup de marges pour négocier.
Enfin, avoir renforcé l’OTAN ne peut que satisfaire la Maison-Blanche dont l’objectif suivant est de lancer l’Alliance contre son ennemi prioritaire : la Chine. Or l’OTAN est euro-atlantique. La situation dans tout le Pacifique ne fait théoriquement pas partie de ses prérogatives mais c’est une autre histoire…

La menace nucléaire

Sur le plan militaire, il ne faut toutefois pas imaginer que cela va être l’apocalypse générale immédiate. Il existe des phases intermédiaires – référencées dans le passé comme « tactiques » – qui peuvent passer par la destruction d’un porte avion (qui présente l’avantage d’éviter au maximum les pertes collatérales) ou de bases OTAN en Pologne (là, des civils seraient obligatoirement impactés) car ce pays est jugé comme étant au centre logistique de la résistance ukrainienne.

Quelle sera alors la réaction de Washington et de Paris, les deux seules capitales occidentales dont les dirigeants politiques ont la capacité de déclencher le feu nucléaire (l’Otan comme la Grande-Bretagne doivent auparavant demander l’autorisation à la Maison-Blanche).
Les prochaines semaines vont être cruciales, pas tellement en Ukraine où la situation militaire ne devrait pas trop évoluer même si les forces russes continuent à progresser contrairement à ce que veut faire croire la propagande de Kiev, mais dans les rapports entretenus entre les grandes puissances.

Si, comme tout le monde l’espère, un scénario maximaliste ne se produit pas, il y en a un autre qui se profile : les « révoltes du pain » qui risquent de se produire dans les pays pauvres en mal de se fournir en blé et en céréales. Toutes les révolutions dans ces pays sont parties de l’augmentation des prix de ces produits de première nécessité. C’est malheureusement, un grand classique connu de tous les politologues.

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Texte

Alain Rodier

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