Les dernières déclarations du président Volodymyr Zelensky sont alarmantes : « l'Ukraine n'aura aucune chance de gagner la guerre sans l'aide des États-Unis. Actuellement, le rapport de l'artillerie au front est de 1 pour 10, et pour les avions, de 1 pour 30. Avec de telles statistiques, la Fédération de Russie nous repoussera chaque jour. L'Ukraine est complètement à court de missiles pour protéger la centrale de Trypilska en raison du manque d'assistance de ses alliés. »

Le 13 avril, le commandant en chef des forces ukrainiennes, le général Oleksander Syrskyi, a reconnu que la situation sur le front dans le Donbass s’est « considérablement détériorée ces derniers jours et a ajouté par ailleurs : « Nous essayons de trouver un moyen de ne pas nous retirer. »

Si ces déclarations sont en partie destinées à pousser les parlementaires américains à débloquer l’aide de 60 milliards de dollars votée en février, elles restent néanmoins réalistes. Des analystes indépendants prédisent une défaite ukrainienne dans les mois à venir car l’Ukraine est désavantagée dans tous les aspects de la guerre. Il lui manque des effectifs, des véhicules blindés et une défense aérienne conséquente.

Pour eux, l’armée ukrainienne est en train de passer du statut d’armée moderne à celui d’une force de guérilla dont l’arme principale est constituée de drones civils bricolés.

Les alliés occidentaux n’ont jamais envoyé des quantités d’armements suffisantes pour rivaliser avec celles déployées par la Russie en Ukraine. D’ailleurs, les Occidentaux ne disposent pas en nombre suffisants des systèmes de défense aérienne mobiles demandés par Zelensky. Ils ne peuvent pas non plus produire suffisamment de missiles pour soutenir les systèmes de défense aérienne à longue et moyenne portée dans tout le pays. De même, en ce qui concerne les pièces d’artillerie, la logistique de maintenance ne suit pas et les canons automoteurs sont pour l’essentiel usés à quelques exceptions près. Et c’est sans parler du manque crucial de munitions.

De leur côté, les Russes alignent quelques 2.600 chars soit près de trois fois le nombre total engagés lors de l’invasion du pays en février 2022.

Le front risque de craquer dans les prochains mois et il ne semble n’y avoir aucune option viable qui pourrait modifier l’orientation de la guerre.

Pour l’instant, la guerre de retardement menée par les Ukrainiens parvient à contenir l’avancée russe, mais sans aucune perspective de victoire. Les nouvelles lignes défensives construites par l’Ukraine en arrière du front actuel font partie de cette stratégie de ralentissement, qui devrait obliger finalement Zelensky à négocier.

Or, elles ne sont pas un choix mais la seule solution lorsque plus aucun choix n’est possible.

Cela posé, les Ukrainiens continuent à mener des frappes dans la profondeur du dispositif russe. La dernière en date qui aurait engagé deux vagues de missiles balistiques sol-sol a visé à la mi-avril la base aérienne russe à Dzhankoi dans la partie nord de la Crimée occupée à environ 150 kilomètres du front. Des systèmes de défense S-400 et S-300 auraient été détruites ainsi qu’un important atelier de maintenance et de réparation. Cette base accueillait des hélicoptères d’attaque Ka-52 Hokum et Mi-28 Havoc et quatre avions d’attaque au sol Su-25 Frogfoot.

Les Russes payent cher leur « opération spéciale. »

 

Les Russes payent cher leur « opération spéciale ». Selon une étude de la BBC, le bilan des morts militaires russes en Ukraine aurait désormais dépassé la barre des 50.000 tués.

Plus de 27.300 soldats russes sont morts au cours de la deuxième année de combat ce qui montre à quel point les maigres gains territoriaux ont entraîné un énorme coût humain.

Le bilan global des morts – de plus de 50 000 – est huit fois plus élevé que la seule reconnaissance publique officielle du nombre de morts jamais donnée par Moscou en septembre 2022 mais ce chiffre serait sous-évalué car les décès des miliciens des oblasts de Donetsk et de Louhansk occupés par les Russes ne sont pas comptabilisés.

L’armée russe a subi une forte augmentation du nombre de pertes en janvier 2023, alors qu’elle lançait une offensive à grande échelle dans la région de Donetsk.

Alors que les Russes se battaient pour la ville de Vuhledar, ils ont eu recours à des « assauts frontaux inefficaces de type vague humaine », selon l’Institut pour l’étude de la guerre (ISW) : « Un terrain difficile, un manque de puissance de choc et l’incapacité à surprendre les forces ukrainiennes » ont conduit à peu de gains et à de lourdes pertes au combat.

Un autre pic significatif a pu être observé au printemps 2023, lors de la bataille de Bakhmut, lorsque le groupe de mercenaires Wagner a aidé la Russie à capturer la ville.

Le chef de Wagner, Eugène Prigojine, estimait à cette époque les pertes de son groupe à 22.000 personnes (non comptabilisés dans les estimations de la BBC.)

La prise par la Russie de la ville d’Avdiivka, dans l’est de l’Ukraine à l’automne 2023, a entrainé une nouvelle augmentation du nombre de morts parmi les militaires.

Le cas des prisonniers russes envoyés au front

Moscou a autorisé le chef de Wagner Evgueni Prigojine à recruter dans les prisons à partir de juin 2022. Wagner avait une redoutable réputation pour ses tactiques de combat implacables et sa discipline interne brutale. Les soldats pouvaient être exécutés sur place s’ils se repliaient sans ordre. Le groupe a continué à recruter des prisonniers jusqu’en février 2023, date à laquelle Prigojine a commencé à faire sécession.

Depuis lors, le ministère russe de la Défense a repris la même politique de recrutement dans le milieu carcéral.

Sous Wagner, la moitié des anciens prisonniers avaient une espérance de survie au front de trois mois. Au bout de six mois, les survivants étaient libérés de toutes leurs obligations militaires et pénales.

50% des personnes recrutées dans les prisons plus tard par le ministère de la Défense n’ont qu’une espérance de survie de deux mois et il n’est pas question de les libérer jusqu’à la fin de la guerre…

Du côté ukrainien, le président Zelensky a évoqué en février 2024 31.000 soldats ukrainiens tués – mais les estimations américaines suggèrent des pertes plus importantes.

Le 16 avril, il a signé la loi abaissant l’âge de la conscription de 27 à 25 ans mais sans préciser la durée de service…

Que c’est-il passé ?

Selon le média américain Politico, l’Occident a placé trop confiance dans les sanctions, croyant qu’elles affaibliraient considérablement la Russie (or le Fonds monétaire international  a révisé le 16 avril à la hausse ses prévisions de croissance pour la Russie en 2024, anticipant désormais une hausse du PIB de 3,2%, mieux que les 2,6% attendus jusque-là.)

Il y avait également eu le fol espoir que Vladimir Poutine pourrait être évincé par un coup d’État intérieur. Au lieu de cela, il a encore renforcé son emprise sur le pouvoir avec 87% des suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle très controversée de mars.

Bénéficiant d’un nouveau mandat de six ans, il peut se contenter d’une impasse : maintenir l’Ukraine coincée entre la victoire et la défaite et à l’arrêt à la fois de l’OTAN et de l’UE. Cela pourrait être présenté par le Kremlin comme une « victoire » pour la Russie.

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Texte

ALain Rodier