Le journaliste expert des groupes terroristes islamiques, Wassim Nasr analyse les déclarations écrites, audio et vidéo de Daech et dernièrement celles qui ont suivi l’attaque du Croqus City Hall à Moscou le 22 mars(1).

On découvre que le porte parole du mouvement Abou Hudhayfah al-Ansari (identité réelle non connue) a souligné dans un message audio que 2024 intervient l’année du dixième anniversaire de la création du « califat » : « Aux dix ans de la déclaration du califat, ses soldats frappent au cœur de la Russie dans une grande attaque […] qui a répandu la terreur dans les capitales croisés. »

Pour mémoire, ce « califat » avait été fondé le 29 juin 2014 sur les territoires que l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), une ancienne branche dissidente d’Al-Qaida, contrôlait à cheval sur la Syrie et l’Irak.

Ce mouvement est dirigé par une « choura » (conseil) qui désigne un « calife », le premier étant Abou Bakr al-Baghdadi (tué en 2019). Depuis, trois de ses successeurs ont été tués et l’identité du quatrième, Abou Hafs al-Hachimi, n’est pas connue.

Dans le cas de l’attentat de Moscou, les principales revendications ont été estampillées « État islamique » et pas « État islamique au Khorasan » (EI-K) qui est la wilaya (province) à laquelle appartiendraient les activistes qui ont effectué l’attaque.

L’émir de l’EI-K est Sanaula Ghafari alias Shahab al-Muhajir mais il a été donné pour mort à plusieurs reprises. La choura de cette wilaya se déplacerait en permanence entre l’Afghanistan, le Pakistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan…

Ces revendications apportent quelques détails supplémentaires à ce que l’on sait déjà sur le massacre de Moscou et la capture des activistes.

La Russie aurait été attaquée pour ce qu’elle fait et pour ce qu’elle est également ; comme les pays Occidentaux, le fait d’être « chrétienne ».

Par ailleurs, le journal de l’EI écrit : « certaines des armes [des activistes] se sont enraillées […] ils avaient beaucoup de munitions pour faire un maximum de morts […] une course poursuite a eu lieu jusqu’à la forêt où ils ont été encerclés. »

L’État islamique rappelle également l’attentat du Sinaï d’octobre 2015 contre l’avion de ligne Metrojet et « plusieurs attentats revendiqués ou pas en Russie. »

Il pointe les talibans « alliés des deux camps », et appelle les « noyés dans le complotisme à préparer plus de théories défaitistes .»

De leur côté, les enquêteurs russes ont découvert que les activistes avaient effectué des reconnaissances préalables du Croqus City Hall les 7, 10 et 14 mars. Avant ces dates, les États-Unis avaient communiqué, via leur ambassade à Moscou, sur le risque anormalement élevé d’attentat pour le week-end électoral du 16-17 mars. Ils avaient demandé à leurs expatriés d’éviter les rassemblements sur le territoire russe

Moscou a confirmé cette mise en garde mais a dit qu’elle était trop vague et imprécise (pas de lieu désigné) pour être exploitée.

Des analystes soulignent qu’à la différence de l’attaque du Bataclan en 2015, les terroristes de Moscou n’étaient pas équipés de ceintures d’explosifs et n’avaient manifestement pas l’intention de se retrancher avec des otages dans le complexe et d’y mourir. Ils n’ont d’ailleurs emmené aucun otage dans leur fuite. Ce mode opératoire a probablement dérouté les forces d’intervention qui s’attendaient sans doute à faire face à une prise d’otages massive et à devoir préparer un assaut.

Il a été dévoilé le 28 mars que les analyses de sang prélevé sur les assaillants révèleraient qu’ils auraient été sous l’emprise de drogue au moment de l’attaque. Les autorités n’ont pas dit que quelle substance il s’agissait mais c’est peut-être du captagon très utilisé par les jihadistes.

Ils auraient été recrutés via les réseaux sociaux par un supposé « prédicateur » qui leur a promis 500 .000 roubles (environ 5.000 euros) en tout, pour réaliser cette attaque.

Les Russes poursuivent leur désinformation via l’agence de presse RIA Novosti qui affirme que les accusés ont avoué lors des interrogatoires qu’après l’attentat, ils devaient rejoindre Kiev pour toucher la rémunération qui leur avait été promise. Comme les photos des suspects visiblement torturés l’ont démontré, ce sont des aveux « spontanés ». Il est certain que cette argumentation sera reprise publiquement lors de leur procès…

Moscou va plus loin dans ses accusations impliquant tour à tour les services américains, britanniques, israéliens et même français, d’être pour quelque-chose dans cette affaire. Si elle n’était pas tragique, ce serait risible tant c’est ridicule… Mais il faut se rappeler que ce sont des discours à usage interne.

D’ailleurs, d’EI enfonce le clou en déclarant : « En blâmant les pays occidentaux pour l’attaque terroriste, la Russie a reconnu son échec face à l’État islamique.[…] Après sa défaite retentissante, la Russie n’a eu d’autre choix que de lancer des accusations de collusion contre ses adversaires du camp occidental pour éviter d’admettre son échec majeur face aux moudjahidines .»

Un constat est également fait aux forces de la coalition anti-Daech : « vous vous réunissez pour trouver des solutions […] il n’y en n’a pas […] l’expansion continue au niveau global […] la guerre américaine a commencé contre un petit groupe en Irak et aujourd’hui l’EI est en Afrique ». Le porte-parole promet d’ailleurs  un affrontement avec les Américains en Irak.

Un autre message du 28 mars prévient  que des attaques seront menées à l’échelle globale. Les « loups solitaires » sont encouragés à viser spécifiquement des chrétiens et juifs, surtout en Europe, aux États-Unis, à Jérusalem et en Palestine, et ce même durant le mois saint du ramadan. Abou Hudhayfah al-Ansari fait l’éloge de l’attentat de Moscou et appelle à davantage de violence en commémoration du dixième anniversaire de la proclamation d’un califat en Irak et en Syrie par l’EI en 2014. Al-Ansari a parlé de nouvelles attaques contre les troupes américaines en Irak et appelé ses cellules au Mozambique et aux Philippines à poursuivre leurs activités.

Enfin, l’EI via un média anglophone « Hallummu » (non officiel) appelle ses partisans à commettre des attentats dans les stades, soulignant que ce sont des « cibles faciles à atteindre » pour des « résultats énormes. »

Enfin, Al-Qaida ne voulant pas être en reste a annoncé la sortie d’un nouveau numéro en ligne de sa revue « Inspire » en anglais et en arabe… C’est sa branche yéménite, Al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA)°chargée des opérations extérieures qui publie depuis 2010 cette « revue ».

Le dernier numéro (17) était sortie en août 2017.

Tous ces éléments sont extrêmement inquiétants pour tous les grands évènements à venir…

Selon un policer du renseignement cité par la presse : « le ‘jihadisme d’atmosphère’ est à son paroxysme, avec des organisations terroristes comme Al-Qaida et Daech cherchant à frapper. Par ailleurs, un appel au jihad contre les ennemis de l’État islamique a été lancé, accentuant les inquiétudes sécuritaires en Europe. »

Trois types de menaces sont à distinguer :

–                le terrorisme endogène : un ou plusieurs radicalisés vivant sur place décidant au dernier moment de passer à l’action ;

–                un commando venant de l’extérieur profitant des grands mouvements des foules ;

–                un commando déjà infiltré se préparant à mener des opérations dûment préparées.

Bien sûr, toutes les autorités des pays menacés font tout pour prévenir en amont d’éventuelles actions.

En France, le niveau d’alerte est à son maximal – vraisemblablement jusqu’à l’automne -. Les forces de sécurité seront à effectifs complets durant l’été.

La Turquie, par où ont transité deux terroristes tadjik, a effectué des centaines d’arrestations dans la mouvance islamique radicale.

Le terrorisme n’ayant pas de frontières, la coopération internationale en matière de renseignement doit fonctionner à plein régime.

En résumé, la situation sécuritaire est bien meilleure qu’en 2015 mais il peut toujours avoir des « trous dans la raquette » car le terrorisme est un phénomène très fluide.

 

1. Voir : « POINT SUR L’ÉTAT ISLAMIQUE-KHORASAN (EI-K) » du 28 mars 2024.

Publié le

Texte

Alain Rodier