Plusieurs véhicules blindés américains qui appartenaient vraisemblablement à l’armée afghane régulière auraient été vus le 1er septembre sur l’autoroute qui relie la ville de Semnan à celle de Garmsar au sud-est de Téhéran.

Les semi-remorques qui les transportaient étaient immatriculés en Iran.
Il n’existe pas d’inventaire précis sur les matériels militaires qui sont restés en Afghanistan après le départ des forces américaines (sans parler des armements soviétiques qui sont aujourd’hui très majoritairement hors d’usage).
Le général Kenneth McKenzie, le chef du commandement central (US CENTCOM), a déclaré le 31 août que les équipements militaires avaient été « démilitarisés » avant le retrait complet d’Afghanistan. Selon l’ODB officiel, les matériels suivants étaient disponibles au sein de l’armée nationale et de la police afghanes :

Ces chiffres sont à prendre avec précautions, nombre de matériels étant hors d’usage ou ayant déjà quitté le territoire afghan (pour les aéronefs) vers les pays russophones du nord. Cela dit, les Américains ont détruit artisanalement beaucoup d’armements mais, dans la précipitation, avec un certain manque de professionnalisme. Toutefois, certains militaires se sont pour une fois réjouis du taux très important d’indisponibilité de matériels d’origine US au sein des anciennes forces gouvernementales. Ils en ont eu moins à « neutraliser ».
La question qui se pose est : qu’est-ce que vont faire les Iraniens de ces matériels qui ne présentent pas un intérêt technique particulier ? Peut-être que, comme d’habitude, ils vont servir de modèle pour la confection par l’industrie d’armement iranienne de Humvees indigènes… En matière de matériels militaires, la copie est une spécialité iranienne.

Sur le plan politique, le Guide suprême de la Révolution, Ali Khamenei, avait déclaré le 28 août : « la nature de nos relations [avec la nouvelle administration afghane] dépendra de la conduite de ce groupe [les taliban] » Pour mémoire, l’Iran partage une frontière de 900 kilomètres avec l’Afghanistan et a toujours été extrêmement présent dans l’ouest du pays. Les chiffres concernant les Afghans chiites (dont les Hazaras) varient du simple au double (entre 15 et 30% de la population). Il n’en reste pas moins qu’ils constituent une minorité très importante dans ce pays de 38 millions d’âmes sur laquelle Téhéran peut s’appuyer. Plus discrètement, l’Iran détient toujours sur son sol des activistes d’Al-Qaida « canal historique » et leurs familles depuis leur fuite en 2001 lors de l’invasion américaine. Il n’est pas impossible qu’ils fassent l’objet de tractations à venir.

La retraite précipitée des Américains restera gravée dans l’Histoire même si le président Joe Biden a tenté de faire bonne figure lors de ses déclarations ultérieures en affirmant que l’opération d’évacuation avait été un « incroyable succès » et qu’Al-Qaida avait été vaincu sur le terrain afghan…
Il n’en reste pas moins que les autres membres de l’OTAN et les alliés des États-Unis hors alliance (Japon, Corée du Sud, Taiwan, Ukraine, etc.) ne sont pas dupes même s’ils font « comme si ».

Parallèlement, les choses semblent évoluer au sein des pays voisins. Islamabad est surpris par l’intensification des opérations terroristes du LeT (Lashkar-e-Taiba) sur son sol. Ce mouvement a, au minimum, des contacts avec les services spéciaux pakistanais, l’Inter-services intelligence (ISI) pour lesquels il a rendu de nombreux services dont de multiples attaques terroristes dirigées contre les intérêts indiens à domicile et à l’étranger.

La situation est toujours bloquée aux frontières nord du pays avec le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan qui accueillent de nombreux chefs de guerre hostiles au taliban (dont le maréchal Dostom)(1). De plus, de peur d’une tentative de déstabilisation de ces pays par des mouvements islamistes radicaux, Moscou a considérablement renforcé son aide militaire à ces anciennes républiques de l’URSS. Toutefois, la position politique adoptée par le Kremlin est « wait-and-see » et de maintenir le dialogue en particulier via son ambassade à Kaboul qui n’a pas été fermée.

Le Qatar a été le premier pays à envoyer un avion à Kaboul après le départ des Américains. Le projet de gestion de cette plateforme aéroportuaire avec les Turcs semblent prendre forme(2). D’ailleurs, des techniciens de ces deux pays sont déjà sur place pour évaluer la situation.

La Chine est prête à entretenir des relations « constructives » avec l’Afghanistan qu’elle jouxte par une frontière de 70 kilomètres de long. Cela dit, les intérêts économiques (nouvelle route de la soie, ressources minières) sont pour le moment des vœux pieux et nécessitent des investissements considérables pour devenir rentables. Les taliban espèrent avoir une reconnaissance officielle de la Chine, ce qu’ils n’avaient pas obtenu lors de leur précédente prise de pouvoir en 2016. Le choix va devoir être rapidement fait par la Chine qui a laissé ouverte son ambassade à Kaboul (comme pour tous les pays qui ont fait de même). À savoir, il devrait être fait après la désignation officielle du nouveau gouvernement afghan. Soit ces pays reconnaissent le nouveau régime, soit ils ferment leurs représentations diplomatiques. Un signe intéressant est dans le renouvellement de l’autorisation octroyée à la Télévision centrale de Chine (CCTV), média d’état de Pékin, par le ministère de l’Information et de la Culture de l’« Émirat islamique d’Afghanistan » pour continuer à travailler dans le pays !

Enfin, les Nations Unies ont annoncé que leurs vols humanitaires avaient repris jusqu’à Islamabad au Pakistan puis vers Mazar-i-Sharif au nord de l’Afghanistan et Kandahar au sud.

1. Voir article du 13 août 2021 : Afghanistan : deux chefs de guerre historiques afghans se réfugient en Ouzbékistan la veille de la fuite du président Ghani au Tadjikistan
2. Voir article du 31 août 2021 : Afghanistan : des Turcs et Qataris pour gérer l’aéroport de Kaboul.

 

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Texte

Alain Rodier

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