Les taliban sont en passe de reconquérir l’Afghanistan perdu à la fin 2001 face à l’intervention américaine lancée le 7 octobre 2001 qui faisait suite aux attentats du 11 septembre de la même année.

Leur tort a été de ne pas avoir voulu livrer Oussama Ben Laden qu’ils abritaient depuis 1996 et qui était le responsable des actions terroristes ayant directement frappé le cœur de l’Amérique. Culbutés en 2001-2002, une grande partie des activistes et leurs familles se sont réfugiés au Pakistan et en Iran. Ils sont ensuite revenus très progressivement dans le pays.

Ils ont regagné une légitimité internationale lors de négociations entamées au Qatar avec les Américains pour mettre fin au conflit. Un accord a finalement été signé le 29 février 2020 à Doha prévoyant le retrait de toutes les forces étrangères contre des garanties de sécurité. Non seulement les forces de la coalition se repliant ne devaient pas être prises à partie, mais les taliban ont assuré qu’ils ne permettraient pas que des activistes menacent les États-Unis depuis l’Afghanistan. Ils n’ont rien promis pour Al-Qaida assurant qu’ils n’entretenaient plus de relations avec la nébuleuse créée par Ben Laden et dirigée par Ayman al-Zawahiri. Les promesses n’engagent que ceux qui les croient !…

Même si Joe Biden s’était opposé à toutes les initiatives prises par son prédécesseur, Donald Trump, il n’a pas touché au contrat de désengagement que ce dernier avait concocté. Il s’est même engagé à retirer toutes ses troupes avant le 11 septembre 2021, 20 ans après les attentats lancés sur New York et Washington. Depuis, il a avancé cette date fatidique à la fin août.

Si les taliban ont jusque là tenu leur parole de ne pas s’en prendre directement aux forces américaines en Afghanistan (qui ne mènent plus d’actions offensives depuis des mois), ils ne se sont pas privés d’attaquer l’administration et les forces légalistes afghanes. Depuis le début de l’offensive générale déclenchée en mai, les taliban assurent avoir pris le contrôle des postes frontière principaux du pays avec l’Iran, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Pakistan.

Forts de quelques 85.000 moudjahiddines à temps plein (ce qui ne prend pas en compte les milliers de combattants occasionnels et les populations qui leur apportent l’aide logistique dont ils ont besoin), il prétendent contrôler plus de la moitié du pays (voir carte en fin de texte). Depuis le début de l’année, des centaines de personnes ont été tuées et des dizaines de milliers déplacées. À noter que les attentats qui ont régulièrement lieu à Kaboul sont très majoritairement revendiqués par Daech qui tente de jouer un rôle dans la région à travers sa wilayat Khorasan. Pour mémoire, les taliban s’opposent à Daech pour des raisons de préséance. En effet, les « califes » autoproclamés de Daech, Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi et son prédécesseur jusqu’à sa mort en 2019, Abou Bakr al-Baghdadi, n’ont jamais voulu reconnaître l’autorité religieuse du chef des taliban, le mollah Omar puis Haibatullah Akhunzada. Les chefs d’Al-Qaida, eux, ont prêté allégeance aux taliban.

Face à la situation qui semble désespérée, le gouvernement de Kaboul concentre ses forces sur les grandes villes et commence à armer les milices de villages pour enrayer la progression des taliban risquant d’accentuer la guerre civile généralisée.

Le 23 juillet, le porte-parole des taliban, Suhail Shaheen, a affirmé que son organisation ne voulait pas de cette guerre mais exigeait le départ du président Ashraf Ghani. De son côté, l’émir des taliban, Haibatullah Akhunzada, a appelé à un accord politique, mais en même temps, n’a rien fait pour freiner l’avancée de ses troupes.

Un peu d’Histoire

Les « étudiants en religions » dont beaucoup n’avaient pas combattu contre les Soviétiques (qui ont quitté l’Afghanistan en 1989) car ils fréquentaient des madrasas au Pakistan se sont lancés dans la guerre civile en 1994. Elle faisait alors rage entre différents chefs de guerre, ce qui restait du pouvoir et les trafiquants de drogues. Ils ont d’abord pris le contrôle de la deuxième ville du pays, Kandahar, où la population fatiguée des combats incessants leur a fait bon accueil.

En effet, les taliban apportaient avec eux la loi islamique avec tous les excès que l’on connaît mais aussi une certaine paix locale car les chefs de guerre et les bandits de grands chemins étaient impitoyablement pourchassés.

En 1996 ils s’emparaient de Kaboul et pendaient (après l’avoir torturé) l’ancien président Najibullah Ahmadzai qui vivait réfugié à l’ambassade des Nations Unies (cet épisode démontre le respect qu’ils risquent de montrer pour l’inviolabilité des représentations diplomatiques). Le nouveau pouvoir n’a alors été reconnu que par trois pays : l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et le Pakistan.

Ils ont appliqué strictement la charia luttant contre le crime organisé, la corruption mais aussi interdisant aux femmes l’accès au monde du travail (en dehors de la médecine) et de l’éducation. Ils les ont obligé à se couvrir, à sortir accompagnées d’un membre de leur famille. La musique et la télévision ont été interdites. Tous les contrevenants risquaient d’être punis en public pour l’exemple (du fouet à la peine de mort).
Mais la décision qui a le plus « horrifié » l’Occident a constitué la destruction des Bouddhas de Bamiyan en 2001. La condamnation a alors été unanime.

Ce n’est vraiment qu’en 2006 que les taliban ont pu faire leur retour sur le terrain en s’opposant par la force au pouvoir du président Hamid Karzai qui avait été nommé en décembre 2001. S’en est suivie une guerre civile de plus en plus violente qui aurait causé la mort de 64.000 membres des forces de sécurité afghanes et 3.500 militaires étrangers membres de la coalition.
Les États-Unis avaient largement investi dans la reconstruction du pays mais les efforts sont restés relativement limités, en particulier en raison de la corruption endémique des classes dirigeantes.
En 2003, un « bureau » des taliban était ouvert à Doha de manière à lancer des ouvertures de négociations. En 2018, l’administration Trump a officiellement débuté les pourparlers avec les taliban sans y associer Kaboul.

Ces derniers ont monté un « État » fantôme (reprenant le nom d’Émirat islamique d’Afghanistan) avec son propre drapeau. Ils ont désigné un conseil (gouvernement) comportant une douzaine de commissions ayant en charge les finances, la santé, l’éducation, les affaires religieuses, etc. Des gouverneurs ont été désignés dans chacune des 34 provinces du pays. Ils ont négocié directement avec les trafiquants de drogues(1) de manière à en tirer de substantifiques revenus qui ont été complétés par les taxes qu’ils ont imposé dans les régions qu’ils contrôlent et les aides extérieures (démenties « fermement » par Islamabad et Téhéran).

Selon un sondage officiel effectué en 2019, 85% de la population n’a pas montré de sympathie à leur égard. En dehors des résultats contestables de ce travail, il convient de remarquer que les mêmes proportions de populations n’ont pas plus de sympathie pour le pouvoir en place à Kaboul. Surtout, le peuple est fatigué de la guerre qui ne s’est pas arrêtée depuis 1979, date de l’invasion des Soviétiques…

1. Officiellement, quand ils étaient au pouvoir, les taliban avaient interdit la production et le trafic de l’opium en 1999. En fait, ils avaient surtout cherché à faire augmenter les prix en diminuant les expéditions. Globalement, la culture et le trafic de drogue sont autorisés quand ils se font sous leur contrôle. Par contre, l’usage de la drogue est haram (interdit) aux croyants…

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Texte

Alain Rodier

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