Depuis que le retrait américain d’Afghanistan avant le 11 septembre 2021 a été annoncé, les taliban grignotent avec succès région après région au point d’être eux-mêmes étonnés de la « facilité » avec laquelle ils volent de victoire en victoire. Pendant ce temps, les forces de l’OTAN évacuent le pays.
Le 24 juin, le site web des taliban « la voix du Jihad » a diffusé un nouveau message de Sirajuddin Haqqani qui est le responsable militaire du mouvement. Il s’était déjà adressé dans le passé aux combattants, aux gouverneurs et aux juges. Son dernier message est destiné aux responsables militaires du mouvement. Pour lui, il va falloir passer d’une logique de combattant à celle d’administration des populations.
Il sait que les moudjahiddines peuvent être indisciplinés et prompts à commettre des excès de violence. En conséquence, il rappelle aux responsables militaires qu’il convient de suivre les instructions de l’« Émir de la foi », Haibatullah Akhundzada, et de la commission militaire de la Choura, l’organe de commandement du mouvement. Il explique que c’est une « période d’essai » pour les jihadistes qui doivent évoluer d’une situation « militaire et jihadiste » à une « situation civile ».
Il fait référence à un gouvernement taleb naissant qu’il qualifie de « système » et il demande aux responsables de « garder présent à l’esprit les plans militaires, de défense et civils dans les zones où les moudjaheddines entrent ». Par ces mots, Haqqani affirme que les taliban adoptent désormais une position d’autorité et de gouvernance d’une grande partie du pays. Il veut que les jihadistes se « comportent bien avec les populations et accordent une attention particulière aux documents administratifs et officiels [particulièrement les certificats de propriété] pour qu’ils ne se perdent pas ».
Il veut que les taliban évitent les pièges de la mauvaise gouvernance dont les jihadistes ont fait l’expérience dans plusieurs régions afghanes mais aussi dans des parties de l’Afrique et du Moyen-Orient. « La bonne gouvernance est le besoin du moment et doit être prise en compte par nos collègues ».
Il avertit les membres et les responsables des taliban qu’ils ne doivent pas « violer les droits du peuple », qu’ils doivent agir « en accord avec la loi islamique » et écouter les érudits religieux qui sont détachés dans leurs unités pour savoir comment gérer les trésors et le butin ». Il précise qu’il ne faut pas s’emparer des biens de toute personne qui rejoint volontairement l’« Émirat » car seuls ceux saisis en temps de guerre peuvent faire partie du « butin ». Les textes sacrés de l’islam mettent en effet en avant ce concept de confiscation de biens par les jihadistes: « mangez donc de ce qui vous est échu en butin, tant qu’il est licite et pur. (Coran, 8/69) ».
Il dit également comment se comporter avec les chefs de tribus et les officiels afghans qui refusent de capituler en prenant position contre toute « vengeance ». Il demande aux jihadistes de consulter leurs supérieurs hiérarchiques quant à la conduite à adopter dans ce cas.
Il se moque du « processus politique [signé à Doha le 29 février 2020 entre les Américains et les taliban] qui s’est déroulé ces 14 derniers mois » en le qualifiant de « plein de significations ». À savoir que les taliban n’ont rien cédé en échange du départ des forces américaines. Et Washington continue à dire qu’un compromis politique est possible entre les taliban et le gouvernement en place à Kaboul…
Il déclare aussi « nos camarades doivent aussi faire très attention à ce que leurs actions ne nuisent par à nos valeurs islamique et nationale ».
En fait, personne ne doute que les taliban vont rétablir l’Émirat islamique d’Afghanistan. Le commandant des forces américaines en Afghanistan, le général Scott Miller, ne se fait pas d’illusions : « la situation sécuritaire n’est pas bonne aujourd’hui […] les récents gains faits par les taliban sont très préoccupants même si cela n’est pas inattendu […] la guerre civile est ce à quoi nous allons assister si l’évolution de la situation se poursuit sur cette voie […] ce sera un souci pour le monde ».
650 Marines devraient rester à Kaboul pour sécuriser l’emprise diplomatique américaine. La question se pose cependant sur celle de l’aéroport que la Turquie a proposé de prendre en compte dans le cadre de l’OTAN. Si ce dernier tombe aux mains des taliban, il est difficile d’imaginer comment l’ambassade américaine (et les autres basées à Kaboul) pourrait continuer à fonctionner dans de bonnes conditions (ravitaillement, mouvements de personnels, etc.). Les taliban ont promis de respecter les statuts des diplomates « civils » et des membres des ONG. Mais de la théorie à la pratique, il risque d’y avoir de nombreux problèmes.
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