C’est véritablement une course contre la montre que la France a engagée en Syrie – il est vrai, sans grands moyens sur place –, car il faut que les Forces démocratiques syriennes (FDS), composées avant tout par des combattants kurdes syriens (1) et appuyées par l’armée américaine et les forces spéciales françaises et britanniques, aient totalement écrasé le dernier réduit de Daech dans l’extrême est de la Syrie avant le départ des Américains et avant l’offensive turque… Une sacrée gageure, où chaque jour est compté.

C’est l’annonce surprise, le 19 décembre 2018, du président des États-Unis d’Amérique Donald Trump – « Nous avons gagné la guerre contre l’État islamique. Et il est temps de rentrer » (2) – qui a déclenché cette tempête politico-militaire au Moyen-Orient, mais aussi dans les capitales occidentales.

Paris a aussitôt réagi à l’annonce de la Maison-Blanche et a réaffirmé sa volonté de réduire les derniers territoires encore tenus par Daech. Car, même si ce n’est pas reconnu officiellement, la France est présente dans le nord-est de la Syrie avec une centaine de forces spéciales auprès des FDS qui traquent les derniers djihadistes (dont quelques Français), sans oublier trois canons autoportés Caesar de 155 mm positionnés sur la frontière côté irakien, ainsi que quatre Rafale (qui mènent en moyenne trois missions par semaine) basés en Jordanie à quelques dizaines de minutes de vol de leurs objectifs.

Mais la marge de manoeuvre des Français se réduit avec le départ des Américains, car, depuis la mi-décembre, les Turcs menacent d’envahir le nord de la Syrie pour réduire les milices kurdes. Si Ankara attaque, celles-ci seront alors obligées d’abandonner le combat contre les ultimes forces de Daech, pour « défendre leurs terres ». Sans oublier que les Kurdes menacent, de leur côté, de rendre leur liberté aux quelques dizaines de djihadistes français qu’ils ont capturés et qui ont de fortes chances de finir dans les mains de Damas. Ce qui obligerait la France à engager des démarches très embarrassantes auprès de ce régime qu’elle condamne depuis 2013 !

Abandonnés par les États-Unis, les Kurdes syriens sont sacrifiés, cela ne fait aucun doute. Adieu la création d’un « bastion américain » au nord de la Syrie, dirigé par les Kurdes de Syrie ! Ceux-ci n’ont d’autre choix que de se tourner vers Moscou et Damas pour éviter une offensive militaire turque. Toutefois, Moscou vient de déclarer ouvertement son appui aux Turcs, qui exigent la dissolution des milices kurdes syriennes, et il souhaite le retour de l’armée syrienne pour protéger sa frontière ; et Damas s’oppose à la création d’un territoire kurde indépendant en Syrie, premier pas vers la partition du pays en plusieurs provinces rivales.

À Paris, on croise les doigts et on mise sur une possible coïncidence des temps, car le retrait américain coïncidera peut-être avec la fin réelle du dernier réduit de Daech…

Bonne lecture.
Eric Micheletti

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