Dernièrement, de nouveaux moyens ont été déployés au Sahel au profit de la force Barkhane (Tigre HAD, Reaper, commandos montagne…). Le dernier renfort avant un changement de politique dans cette zone ?

Le 8 septembre, le général Patrick Brethous, qui a commandé l’opération Barkhane d’août 2015 à août 2016, est venu à Paris dresser le bilan de son mandat d’un an à la tête de Barkhane. Celui qui est devenu depuis commandant des forces spéciales terre (CFST) estime que les djihadistes n’ont plus « qu’une capacité d’action sporadique […] ils ont perdu leur capacité de manœuvre sauf pour un acte isolé, comme un homme qui tire dans une foule ». 

Cette menace est aussi concrète en Afrique qu’en France même. Et, dans les deux cas, outre les victimes, les effets produits sur l’opinion publique sont immédiats, et décrédibilisent l’action des autorités et de la communauté internationale. 

A ce stade, Barkhane n’a pas établi de lien entre les trois principales composantes terroristes du moment : Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), la composante historique la plus virulente du Sahel, issue d’Al-Qaïda, qui regroupe aussi la composante de Mokhtar Belmokhtar ; Boko Haram, qui a dit avoir fait allégeance à Daech et s’est scindé en deux branches ; et Daech, implanté, au plus près, à Syrte (en Libye) et sur plusieurs autres points de la côte, mais qui glisse vers le sud. L’armée terroriste a pourtant revendiqué une attaque contre un poste gouvernemental au Mali, en septembre dernier. Et le renseignement français avait établi la présence de suicide bombers issus de la mouvance de Daech, à Kidal, il y a déjà plus d’un an. Un important convoi logistique aurait été ciblé, mais les précautions (visibles) prises pour le protéger auraient dissuadé les terroristes de passer à l’action. Cette présence n’a pourtant jamais été confirmée officiellement : déjà, à l’époque, elle représentait un aveu de régression, et risquait de déclencher la panique. Mais c’est aussi ce qui expliquerait la volonté de l’armée française de ne pas partir trop tôt. Elle l’a déjà fait une première fois, après la fin de la phase cinétique de Serval, en 2013 : il fallait, à l’époque, à la fois donner le sentiment de ne pas s’installer dans la durée, ne pas creuser les surcoûts opex, ménager hommes et matériels, mais aussi trouver des marges de manœuvre pour les opérations en République centrafricaine (RCA), qui, comme au Mali, n’intéressaient aucune autre grande puissance ou coalition d’Etats. Les moyens ont été mieux ajustés lors du lancement de Barkhane, mais avec une nette carence dans les moyens aériens, particulièrement les hélicoptères. Certes, pendant une de ses opérations majeures, le général Brethous (un « Alatman » d’origine) a pu bénéficier de 20 hélicoptères, mais le volume n’était plus que de 12 au printemps. Des engins qui ne pouvaient, en fait, produire que des effets limités dans le temps, entre deux opérations majeures espacées de plusieurs mois.

En septembre 2016, l’EMA a décidé un nouveau surge avec un surcroît de voilures tournantes : 17 machines contre 12 en temps normal, auxquelles s’ajoutent les huit engins de la TF Sabre (sans doute deux Caracal, deux Tigre, deux Gazelle et peut-être deux Cougar, à moins que deux Caracal ne soient comptés comme Sabre). Ce volume est atteint grâce à l’arrivée de deux Tigre HAD du 1er RHC, leur premier déploiement au Sahel après un premier passage en RCA. Deux Gazelle sont aussi injectées, ainsi qu’un Puma poste de commandement volant (HM-PC) du 5e RHC, un engin déjà testé au printemps aux mains du 3e RHC. Doté de quatre consoles de travail, dont une pour le chef de raid et une pour le radio, le HM-PC permet de relayer les communications sur des élongations sans précédent. Ce groupement aéromobile augmenté (GAA) compte aussi le renfort de 47 commandos montagne (GCM) qui amènent une capacité appréciable. Ils peuvent appuyer aux portières des hélicoptères de manœuvre, débarquer et interpeller des groupes armés djihadistes (GAD), récupérer du renseignement…

En début d’année, un quatrième Caïman va être déployé, ainsi qu’un nouvel armement : la mitrailleuse M3M de 12,7 mm. Cette arme d’appui reconstruite par FN Herstal peut cracher 1 100 coups/minute (comparés aux 550 de la M2 d’origine). FN Herstal fournit un système complet, comportant la mitrailleuse, le support d’armement, la plaque d’interface en composite (pour économiser quelques kilos). Le 1er RHC devrait employer ses machines avec une M3M, d’un côté, et une MAG 58 sur le support d’armement assisté (SAA), de l’autre.

Ce surge dans la 3D s’avérait nécessaire. Les GAD continuent aussi à tuer des Maliens (civils comme militaires), des soldats de la MINUSMA et de Barkhane. La zone la plus complexe reste à Kidal, mais d’autres problèmes existent ailleurs. Quelques jours avant le briefing du général Brethous, ce sont les forces armées maliennes (FAMa) qui avaient mis la main sur un important stock d’armes et de munitions, dans Tombouctou. Là où, désormais, le renseignement et les opérations récurrentes de Barkhane peinent à trouver cette matière première. Une illustration de plus que, même si, en surface, les choses semblent se tasser, rien n’est réglé, sur le fond. Pourtant, constate-t-il encore, les GAD n’ont plus de zones d’entraînement (connues), ni de logistique, et « ils n’ont plus la capacité de lever l’impôt ». Mais ils se financent, vraisemblablement, par le trafic de stupéfiants, qui prolifère à nouveau. On se souvient que c’est comme cela que des djihadistes de 2012 avaient développé leur notoriété et leur mainmise, après avoir gagné leurs premiers dollars dans le trafic de cigarettes. Avant de devenir un des leaders terroristes de la bande sahélo-saharienne (BSS), Mokhtar Belmokhtar était surnommé par les Algériens « Mister Marlboro »…

De notoriété publique, les fonds d’aide humanitaire pour assurer le développement et, par conséquent, pour empêcher la population de basculer du côté des rebelles sont insuffisants. Et même si l’EMA cherche à structurer son action avec l’agence française de développement (AFD), il manque des moyens. Barkhane ne gère que quelques centaines de milliers d’euros, là où il faudrait un zéro de plus, et des bras, peut-être pas issus des armées, d’où le développement de la coopération avec l’AFD.

Opérations psychologiques

Tout en continuant à organiser des opérations militaires, Barkhane cherche à modeler les perceptions des populations locales, notamment à travers des opérations psychologiques (psyops), désormais décrites comme telles par la Force. L’un des leviers utilisés est une radio nomade qui a été expérimentée dès 2015, puis généralisée entre janvier et mai 2016 au Mali. Le matériel est compact (il tient dans un PVP) et permet de diffuser dans un rayon de 150 km avec une antenne d’une quarantaine de mètres de haut, mais la portée standard serait plus calée sur les 70 km. La programmation musicale est parsemée de messages d’informations pratiques et d’autres visant à décrédibiliser les GAD. Chaque émission est précédée d’une demande d’autorisation d’émettre, auprès des autorités locales. La fréquence est unique dans tout le pays. Les auditeurs n’ont pas forcément conscience d’écouter une radio d’opérations psychologiques animée par l’armée française. Les programmes sont déclinés en langage local, en fonction des pérégrinations de la radio. Tamacheq, bambara,… : grâce à la mobilisation d’interprètes, pas moins d’une demi-douzaine de langues différentes peuvent être diffusées. La radio mobile doit aussi posséder, à l’instar d’une vraie radio, d’une authentique grille de programmes, pour capter des auditeurs et les fidéliser.

Afin d’accroître l’efficacité de ces actions, des postes radio fonctionnant à l’énergie solaire peuvent être distribués en amont des diffusions, qui peuvent être annoncées par des affichages. Ce recours de Barkhane n’est pas une première : de telles radios militaires ont déjà fonctionné en Bosnie, en Afghanistan, et même au large de la Libye en juin dernier (avec un émetteur de 500 W portant à 100 km environ). Même l’ONU a la sienne, au Mali : « Mikado » est animée par une trentaine de personnels de la MINUSMA. Son principe est, par contre, différent, avec des relais radio dans toutes les grandes villes maliennes. Alors que la radio mobile de Barkhane n’emploie qu’un ou deux militaires et doit fonctionner avec des moyens de bric et de broc.

Lors d’une récente présentation, voici comment le Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE) de Lyon, directement rattaché à l’EMA, présentait le rôle de cet outil. Les équipes tactiques assurent « une propagation ciblée et planifiée de messages incitatifs destinés à obtenir des effets de comportement sur les auditoires auxquels s’adresse la force [amis, neutres et adverses] » ainsi que « la collecte d’informations d’ordre socio-économique et sécuritaire au contact des auditoires ». Le mode opératoire principal de ces équipes de deux à quatre personnels est le recours à des haut-parleurs de forte puissance, comme le HS-18 acquis en urgence opérations pour l’Afghanistan. Les messages doivent pouvoir être audibles jusqu’à 2 000 m, afin de couvrir une population massive (camp de réfugiés, par exemple) ou de permettre à la force de rester à distance de sécurité lors d’une manifestation hostile. La présentation évoque explicitement cette « capacité de contrôle et de dispersion de foule » déjà utilisée, par exemple, lors de manifestations hostiles de foules devant les FOB françaises en Afghanistan, notamment à Nijrab.

Le Hyperspike HS-18 de la firme américaine Ultra Electronics pèse 50 kg, il peut être mis en œuvre par deux militaires, y compris depuis un véhicule. Il est aussi doté d’une commande à distance. La société bretonne UWC Sécurité (GEIM désormais) les proposait initialement pour la contre-piraterie maritime, mais l’équipement a surtout percé à terre, en France. Le haut-parleur peut délivrer jusqu’à 156 dB (à courte distance, mais encore plus de 100 dB à 500 m), ce qui provoque une réaction dans le corps humain et fait refluer les comportements agressifs. Une de ses rares limites est la température de fonctionnement : pas au-delà de 50°C, pourtant une température qu’on trouve en Afrique. Le CIAE doit également commander des HS-14 plus compacts.

Des femmes sont régulièrement insérées dans les équipes psyops. Elles permettent notamment d’entrer en contact avec les Africaines, qui sont un facteur déterminant du changement. Des missions de ce type ont été menées notamment à Tessalit, où les femmes tiennent, en plus, une part importante dans l’économie locale.

Par le passé, Serval avait employé, à cette fin, un site internet, mis sur pied à Paris, au printemps 2013, mais aussi des largages de tracts réalisés depuis un hélicoptère, un mode opératoire qui avait été initié en Afghanistan en 2010 et a servi régulièrement en RCA et au Mali. Toutes sortes d’événements peuvent être propices au modelage : rencontres sportives, culturelles, meetings. Comme c’était déjà le cas, des panneaux d’affichage 4 x 3 permettent aussi de diffuser des messages qui se veulent forcément rassurants. De taille beaucoup plus réduite, des stickers permettent aussi d’être visibles sur des motos (finalement l’objet le plus mobile en Afrique), sur des camions, dans des locaux, etc. Des cartons humanitaires ont aussi été aérolargués, avec la mention « Barkhane arrive » et un dessin explicite des moyens militaires français. Mais tout support est utile pour diffuser un message : casquettes, chemises !

En Afghanistan, des imams avaient même été mis à contribution. Au Sahel, il semble que, pour l’instant en tout cas, la religion n’ait pas été convoquée au secours des opérations. Même si des panneaux portant le logo de Barkhane ont souhaité, à Gao, un « bon ramadan » à la population.

Plus que jamais, Barkhane est donc condamnée à convaincre la population, mais aussi les parlementaires qui viennent se faire une idée sur le dispositif. En quelques mois, l’accueil des élus et VIP est même devenu un travail à plein temps : Nathalie Kosciusko-Morizet et la nouvelle directrice des ressources humaines du ministère (Anne-Sophie Avé), Jean-François Copé, Jean-François Lamour…

Un peu de moyens en plus

Pour l’heure en tout cas, l’EMA a l’intention de continuer à envoyer des moyens. Le deuxième système de Reaper ira finalement bien à Niamey, rejoindre le premier, avec seulement deux des trois drones. Ceci, afin de compenser le départ des deux derniers Harfang, en juin dernier, partis sans tambour ni trompette. Avec deux Reaper de plus, le site de Niamey sera le plus puissant jamais armé par l’escadron de drones 1/33 « Belfort ». Grâce à ses 24 heures d’endurance et ses 250 nœuds de vitesse de transit, il peut rayonner sur une très vaste zone, qui ne se limite pas à l’aire naturelle de Barkhane. Son positionnement – qui peut ponctuellement être décalé sur des terrains de déploiement avancé – permet d’embrasser sans difficulté une bonne partie de la Libye, secteur sur lequel les craintes restent extrêmement fortes. Dans quelques mois, les Reaper disposeront aussi d’une capacité de recueil de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM).  

Un des Reaper de ce deuxième système restera en métropole avec une station-sol, permettant ainsi de mener des opérations vers d’autres théâtres : le théâtre national ou… la Libye septentrionale.

Les deux Caracal de l’armée de l’air basés à N’Djamena vont probablement rejoindre la TF Sabre, qui pourrait profiter à plein de leur capacité de projection à grande distance, avec le soutien des tankers américains. Les autorités américaines seraient particulièrement contentes du travail abattu par les forces spéciales françaises, et pour ces raisons, offrent ce qu’elles peuvent offrir.

Sabre devrait aussi rapidement recevoir les premiers poids lourds des forces spéciales (PLFS) tout juste sortis des chaînes de RTD. Leur livraison était annoncée initialement pour septembre, mais l’industriel reconnaît un léger retard de quelques semaines.

La partie française de N’Djamena n’est pas restée vide très longtemps de ses chasseurs, comme semblait le sous-entendre le COMFOR, le 8 septembre : trois Mirage 2000D sont venus garnir les hangarettes du détachement français installé sur la partie militaire de l’aéroport international. Et depuis le premier volet de notre enquête, l’Atlas (déjà qualifié sur la piste en dur de Gao) a réalisé, fin août, une campagne d’essais à Madama, sur la base avancée temporaire française. Certes, c’est un bon terrain d’expérimentations, mais l’armée de l’air a bien précisé, à Paris, que la semaine de vols (jour et nuit) réalisés par le centre d’expertise de l’armée de l’air visait à qualifier ce terrain d’ici la fin de l’année. C’est donc bien que l’état-major des armées souhaite inscrire dans la durée l’action de cette base temporaire. Surtout alors que les éléments de Daech en Libye pourraient être tentés – ce qui semble avoir commencé – de s’égailler dans le Sud libyen, sous les coups de boutoir des forces de Benghazi dirigées par le général Haftar, soutenu, en sous-main, par certains Occidentaux, dont les Français. Coïncidence ou non, le nouveau Premier ministre libyen a rencontré le président tchadien, par ailleurs président de l’Union africaine.

Arrière-cour de Barkhane, les éléments français en Côte d’Ivoire (EFCI) continuent, peu ou prou, à assurer un rôle d’appui en discrétion. Comme RAIDS l’avait illustré dans un précédent numéro, les capacités présentes à Abidjan peuvent être déployées sans le moindre préavis dans toute l’Afrique de l’Ouest. Cela présente plus de discrétion et de réactivité (acclimatation et prépositionnement avec du matériel) que pour une unité partant de France, même issue de l’échelon national d’urgence (ENR, ex‑Guépard). Mais, on l’a bien visualisé en septembre, ces EFCI avaient, cet été, le strict minimum d’effectif, car l’EMA n’a pas pu honorer le format prévu à deux compagnies d’infanterie, du fait des effectifs consommés par Sentinelle en France. Il aura fallu une autre crise naissante, au Gabon, pour que l’EMA envoie rapidement, le 5 septembre, une compagnie d’infanterie.

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