Tous les deux ans depuis 1962, les parachutistes français et allemands participent à un exercice majeur axé sur les opérations aéroportées et les échanges de savoir-faire. Cette année, Colibri a été marqué par la participation de plusieurs unités aéroportées prestigieuses basées en Europe occidentale. La présence d’un millier de combattants a notamment permis à l’état-major de la 11e brigade parachutiste de tester sa capacité à coordonner des actions de grande ampleur sur le terrain avec des forces alliées.

L’exercice Colibri était, pour sa 48e édition, organisé par les parachutistes français de la 11e brigade parachutiste (11e BP) et se déroulait dans le sud-ouest de la France, sur le terrain d’entraînement de Caylus. Près de 500 parachutistes venus d’Allemagne, d’Espagne et d’Angleterre avaient fait le déplacement afin de renforcer les effectifs de deux groupements tactiques interarmes (GTIA) armés par des éléments de la brigade. Cette dernière avait, pour sa part, engagé environ 550 parachutistes dans cet exercice, malgré les contraintes opérationnelles du moment (opex, mission Sentinelle…). 

Colibri était, cette année, articulé autour de plusieurs phases, basées à la fois sur des sessions d’entraînement et sur des missions opérationnelles. La première phase de l’exercice s’est déroulée du 19 au 23 septembre. Son but était de permettre aux militaires venus des quatre coins de l’Europe d’échanger et de renforcer leur cohésion avant le début des opérations. Des sauts et des échanges de brevets parachutistes ont ainsi été organisés au 8e RPIMa de Castres, à l’Ecole des troupes aéroportées de Pau et au 1er RCP de Pamiers.

A partir du 22 septembre, une base aéroportée a été établie à Castres afin de préparer la mission. Les opérations ont ensuite été lancées le 25 septembre. Le scénario de l’exercice était basé essentiellement sur du retour d’expérience. Il se voulait le plus réaliste possible et se rapprochait d’opérations qui auraient pu être menées en République centrafricaine ou au Mali. Le général Bellot des Minières, qui commande la 11e BP, nous dresse le tableau de la situation stratégique et tactique quelques minutes avant les premiers largages : « Nos troupes ont été mises en alerte immédiate afin d’intervenir sur une zone où nous avions déjà déployé des éléments il y a plusieurs mois. Après notre départ, la région est à nouveau en proie à de violentes altercations ethniques. L’envoi d’une force internationale a donc été décidé au plus haut niveau. » La mission du général est claire. Ses forces doivent intervenir sur un préavis court, pour une durée limitée et sous mandat international. Une branche rebelle, dirigée par un commandant sanguinaire, vient d’investir un village et persécute la population.

« Notre premier objectif sera de prendre et de sécuriser l’APOD de Caylus afin d’y installer une tête de pont. Nous mettrons alors en place un poste de commandement et nous élargirons le contrôle de la zone. Ce type d’opération nécessite cependant une préparation minutieuse afin d’assurer sa réussite. Les avions et les parachutistes constituent, en effet, des cibles de choix pour des éléments adverses de défense antiaérienne ou d’infanterie. La neutralisation des postes de défense sol-air a déjà été prise en charge par les GCP et les commandos parachutistes allemands, il y a moins de 24 heures. Une fois la zone sécurisée, nous déploierons alors deux GTIA. Ces derniers opéreront sous le commandement du 8e RPIMa et du 1er RCP. Leur mission sera de libérer le village et de consolider notre défense afin de mettre en place un pont aérien pour livrer du matériel et des vivres. Lorsque la situation sera stabilisée dans le village et ses abords, nous étendrons alors nos forces sur plusieurs kilomètres afin de débusquer d’éventuels groupes séparatistes et dénicher des caches d’armes. Les activités sont planifiées sur quatre jours et il faudra impérativement que la situation soit stabilisée au plus vite », nous précise le commandant de la Task Force (TF).

A la suite des premiers largages, les opérations aéroportées se sont succédé durant plusieurs jours afin de permettre aux deux GTIA de se renforcer en effectifs, en matériels et en vivres. Les forces de la coalition ont été prises à partie à plusieurs reprises par l’opposing force (OPFOR), jouée par le 4e régiment étranger. Les rebelles ont harcelé les parachutistes lors de leur arrivée au village et tout au long des opérations de fouille aux abords du camp. Les forces de la coalition n’ont cependant pas eu trop de mal à prendre le dessus sur leurs adversaires au cours de leur progression.

Du côté aérien, des moyens conséquents avaient été mis en place pour cet exercice. Trois appareils français (Hercules, Transall et Casa), un C-130J Super Hercules américain et un C-130H espagnol ont participé aux parachutages durant toutes les phases de l’exercice. L’Armée de l’air avait également mis à disposition de la TF des jets pour effectuer des appuis CAS (close air support) et un AWACS pour le contrôle aérien. Des hélicoptères Puma et deux Gazelle Viviane du 5e RHC étaient également présents pour soutenir les unités au sol. 

La 11e BP sur le devant de la scène

Pour l’ensemble des régiments et de l’état-major de la 11e BP, Colibri était l’exercice majeur de l’année 2016. La brigade s’est pleinement investie dans son rôle afin de permettre à un nombre important de personnels d’y participer. Aujourd’hui, la mission Sentinelle mobilise beaucoup de ressources et il n’est pas toujours facile de monter des exercices de cette dimension. La brigade doit ainsi se réarticuler constamment afin d’assurer la protection de nos concitoyens, être prête à déployer des forces en opérations extérieures et maintenir au plus haut niveau ses savoir-faire. 

Malgré ces impératifs opérationnels, la 11e BP a pu engager près de 700 militaires entre le 19 et le 29 septembre. Ces derniers étaient rattachés à l’état-major de la brigade, au GCP, au 8e RPIMa, au 1er RHP, au 35e RAP, au 17e RGP, au 1er RTP et à la 11e compagnie de commandement et de transmissions.

L’objectif principal pour les Français était de mettre en œuvre une Quick Reaction Force de troupes aéroportées (QRF/TAP). Cette force de réaction rapide en alerte Guépard permet à la brigade d’être en capacité de projeter dans un délai de douze heures (premier échelon) à quarante-huit heures (second échelon) une force composée d’environ 700 soldats. La QRF/TAP est assurée par l’un des quatre régiments d’infanterie de la brigade. Ces derniers prennent à tour de rôle la permanence opérationnelle. Leurs capacités interarmes sont renforcées en mission par les compétences et le personnel d’autres composantes de la 11e BP. Il s’agit principalement des organes de commandement, de renseignement, de l’appui blindé, de l’artillerie, du ciblage aérien, du génie et de la logistique. 

L’autre objectif de la brigade lors de l’exercice Colibri était, cette année, de déployer sur le terrain un poste médical aérolargable de nouvelle génération : le PM14. 

Cet équipement transportable par avion, acquis en 2014, est armé par du personnel du Service de santé des armées. Les médecins et infirmiers qui sont chargés de prendre en charge les blessés au sein du poste médical sont tous brevetés parachutistes. Ils accompagnent les troupes combattantes sur tous les théâtres opérationnels. Le PM14 n’est pas une antenne chirurgicale avancée (ACA) : il assure uniquement un niveau de prise en charge un peu plus poussé qu’un rôle 1 2. Ce poste médical a été conçu, en réalité, pour faire face à un afflux important de blessés et au déclenchement d’un plan Mascal (mass casualties ou pertes massives). Le PM14 doit ainsi être en mesure de soutenir plus de 150 hommes en autonomie complète durant quinze jours. Cette configuration est parfaitement adaptée aux exigences d’une QRF/TAP.

Le déploiement de ce nouveau poste médical lors de l’exercice Colibri a permis à la brigade et aux sept personnels du Service de santé présents sur place de tester le matériel. Toute la chaîne fonctionnelle a ainsi pu être éprouvée par les différents intervenants afin de s’assurer que les process de mise en œuvre étaient viables (conditionnement, préparation pour le largage, parachutage, récupération, transfert du matériel sur la zone vie, montage des éléments et accueil des blessés). Le dernier jour de l’exercice, un plan Mascal a été déclenché par la brigade à la suite d’un tir des forces séparatistes sur le camp allié. Le Service de santé a ainsi pu tester le matériel en configuration opérationnelle. Le PM14 aurait apporté toute satisfaction, selon les retours que nous avons pu avoir à l’issue de ce test.

Pas d’opération aéroportée sans logistique

En dehors des actions tactiques sur le terrain, le succès d’une opération aéroportée est largement lié à la préparation et à la mise en œuvre des moyens logistiques. Dans ce domaine, le 1er régiment du train parachutiste (1er RCP) est maître en la matière. Le 1er RTP est l’unique régiment spécialisé dans les opérations d’aérolargage, d’aéroportage et l’aérotransport de l’armée de terre. Sa mission consiste à assurer le déploiement par voies aériennes des troupes aéroportées et du matériel largué par avion. Son rôle n’est pas d’appuyer uniquement les parachutistes de la 11e BP. Le 1er RTP opère également au profit de l’ensemble des régiments de l’armée de terre. D’autres entités telles que le COS, la marine nationale ou l’armée de l’air s’appuient sur les compétences de ce régiment en opérations extérieures pour délivrer du matériel.

Afin de préparer les palettes aérolargables, le régiment dispose d’une zone spécialement aménagée à cet effet. Le conditionnement est une vraie spécialité au régiment. Suivant le type de matériel largué, les palettes sont renforcées avec des longerons, et des cales en carton sont disposées sous les équipements et les véhicules. Cela permet d’amortir les chocs lorsque les colis touchent le sol. Une fois conditionnées, les palettes sont chargées par grues sur des plateformes mobiles (PFA-22) spécialement conçues pour faciliter l’embarquement à bord des aéronefs. La phase de chargement est suivie d’une étape assez technique qui consiste à arrimer la cargaison et à préparer le largage. Lorsque l’avion survole la drop zone (DZ), les colis sont alors parachutés. Deux techniques sont principalement mises en en œuvre : le largage par gravité ou le largage par éjection. Dans le premier cas, le colis glisse sur la rampe ; il chute dans le vide, puis les parachutes se déploient. Dans le second cas, un parachute tracteur est arrimé aux colis. C’est l’ouverture de ce dernier qui provoque l’éjection de la palette. Cette technique est principalement utilisée lorsque les chargements sont lourds et encombrants. Lorsque ce type de parachute est employé, un dispositif de sécurité pyrotechnique est couplé à l’attache afin de sectionner cette dernière en cas de problème. Ce dispositif évite à l’avion de freiner brusquement et de décrocher, si le parachute s’ouvre sans éjecter la charge. 

Pour l’exercice Colibri, toutes sortes de matériels ont été préparées et larguées. Le 1er RTP a ainsi délivré environ 50 tonnes de matériels répartis dans une quarantaine de colis, durant trois jours. Des véhicules (VBL), des armes antiaériennes (postes de tir Mistral), un poste médical complet, des munitions et du matériel de soutien ont été parachutés pour les militaires français, espagnols, allemands, américains et britanniques, à Caylus. 

L’action du 1er RCP a, une fois de plus, été décisive dans la réussite des opérations. Cela avait déjà été le cas lors de la prise de Tombouctou et de Gao début 2013. Le régiment avait alors délivré près de 200 tonnes d’équipements et avait permis à près de 250 parachutistes de se déployer rapidement sur zone. En dehors des actions purement militaires, le 1er RTP participe également à des opérations humanitaires et à l’évacuation de ressortissants.

Renforcer la coopération internationale

Pour l’édition 2016 de cet exercice, de nombreuses unités parachutistes étrangères avaient fait le déplacement dans le Sud-Ouest.  Les effectifs étaient composés d’éléments allemands de la LuftlandeBrigade 1, des Espagnols de la Brigada de Infanteria Ligera Paracaidista (BRIPAC), des Américains de la 173rd Airborne et des Britanniques de la 16 Assault Brigade. L’ensemble des unités était regroupé au sein des forces alliées et opérait sous les ordres du général français Eric Bellot des Minières et de deux GTIA formés par la 11e BP. 

Du côté allemand, la LuftlandeBrigade  1 avait déployé pour cet exercice une compagnie du Fallschirmjägerregiment 26. Celle-ci alignait plusieurs sections rattachées aux cinq compagnies que compte le régiment. Chaque parachutiste emportait avec lui le nécessaire pour durer plusieurs jours sur le terrain, ainsi qu’un armement conséquent (MG3, Panzerfaust 3…). Plusieurs chiens d’attaque et de détection d’explosifs accompagnaient aussi les groupes sur le terrain. Un détachement d’une quinzaine de commandos parachutistes du Fallschirmspezialzug 26 était notamment présent pour Colibri, afin de s’entraîner aux côtés des GCP de la 11e BP (voir encadré). La cohésion entre les parachutistes allemands et français est aujourd’hui très forte. Depuis le milieu des années 60, les militaires de ces deux nations participent, tous les deux ans, à cet exercice. Leur objectif commun est de partager leur savoir-faire et de développer une certaine interopérabilité afin de pouvoir, le cas échéant, mener une opération conjointe. Ces exercices d’entraînement sont mis en œuvre en cohérence avec les accords de coopération établis par le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFADS) et le Groupe franco-allemand de coopération militaire (GFACM). Aucune mission opérationnelle conjointe impliquant la projection de parachutistes allemands et français n’a cependant été menée depuis la première édition de cet exercice, il y a maintenant plus de cinquante ans. C’est, paradoxalement, avec leurs homologues américains que les paras français ont eu le plus souvent l’occasion de travailler en opérations extérieures. Les intérêts politiques divergent parfois des liens coopératifs que peuvent établir certaines nations en temps de paix.

Fidèles alliées de la France, les unités aéroportées de l’US Army avaient également fait le déplacement pour participer à la 48e édition de l’exercice Colibri. Les effectifs US étaient principalement composés d’éléments du génie et d’artilleurs de la 173rd Airborne. Ces derniers alignaient plusieurs Humvee 3, un poste de commandement mobile et un obusier M777 de 155 mm chargé de pilonner les troupes adverses. Les éléments du génie, quant à eux, étaient principalement employés à assurer le nettoyage des caches d’armes et la neutralisation des IED. Les éléments présents étaient rattachés au 54th Brigade Engineer Battalion et au 4-319th Airborne Field Artillery Regiment. Ces deux unités sont rattachées à la 173rd Airborne Brigade. Cette brigade regroupe actuellement un contingent d’environ 3 300 personnes réparties dans plusieurs bataillons et escadrons de cavalerie. 

Les Espagnols étaient aussi venus en force : environ 120 hommes de la Brigada « Almogavares » VI basés près de Madrid étaient présents. Ces derniers ont été parachutés sur la DZ de Caylus quelques heures seulement après les premiers éléments de la 11e BP.  Comme leurs homologues allemands, ils ont été intégrés au sein d’un GTIA sous commandement du 1er RCP afin de déloger les séparatistes de l’OPFOR. Les militaires espagnols de la Brigada « Almogavares » VI sont des militaires expérimentés. Plusieurs centaines de ces parachutistes ont été déployés au Kosovo et en Afghanistan ces dernières années. Certains d’entre eux étaient également en Irak il y a encore quelques mois, afin de former les troupes irakiennes. 

Les Britanniques, enfin, avaient mis à disposition de la coalition une section de Gurkhas du 2e bataillon de Folkestone. Ces militaires renommés sont aujourd’hui un peu moins de 3 500 dans l’armée britannique. Plusieurs centaines d’entre eux ont été engagés en Bosnie, au Kosovo, en Irak et en Afghanistan. Dès qu’ils sont déployés sur un théâtre, les Gurkhas inspirent le respect et la crainte chez leurs adversaires.

Les commandos français et allemands sur la brèche

Au cours de l’exercice Colibri, les commandos parachutistes (GCP) de la 11BP et des commandos allemands du Fallschirmspezialzug 26 ont joué un rôle important afin de permettre aux troupes de la coalition de s’emparer d’objectifs stratégiques. Les premiers éléments commandos ont été déployés trente-six heures avant l’arrivée du gros des forces. Leur mission était de neutraliser un blindé de défense sol-air ZU-23, ainsi qu’un petit groupe de l’OPFOR (opposing force) équipé d’un poste de tir portable SA-7. L’objectif des commandos était de neutraliser en priorité tous types de menaces sol-air afin d’éviter qu’un avion de transport de la coalition soit abattu lors des phases d’approche et de parachutage. Les équipes commandos franco-allemandes disposaient pour cela d’une équipe JTAC chargée de cibler des objectifs. 

Cette dernière a également été sollicitée à plusieurs reprises pour effectuer des appuis CAS (close air support) au profit des troupes au sol, tout au long de l’exercice. Les GCP et les commandos allemands ont ainsi pu travailler avec deux Gazelle Vivianne du 5e RHC et avec des Alpha Jet de Cazaux qui simulaient des bombardiers de la coalition.

Quelques heures avant la fin de l’exercice, les commandos franco-allemands ont été à nouveau sollicités afin de capturer le chef du groupe rebelle. L’opération fut lancée dans la nuit, après un long briefing afin de rappeler les objectifs et le rôle de chacun. Les GCP étaient chargés de s’approcher discrètement de la bâtisse où était retranchée la high-value target (HVT), d’effectuer du renseignement et de sécuriser le périmètre. 

Les commandos allemands étaient chargés, quant à eux, d’investir le bâtiment et de capturer le chef rebelle. Au petit matin, l’assaut fut donné, et la HVT capturée. 

Le GCP fut alors extrait par grappe avec le prisonnier afin de le remettre à l’état-major de la 11e BP.

Mise en œuvre d’une nouvelle passerelle d’échanges pour les artilleurs franco-américains

En dehors de l’opération aéroportée et des actions menées conjointement sur le terrain avec les troupes alliées, l’exercice Colibri a permis de tester une nouvelle passerelle numérisée de transmission de données entre artilleurs français et américains. Le dispositif ASCAR permet dorénavant à des Français de fournir directement des coordonnées de tirs à des batteries US et vice versa. Ce dispositif permet de gagner en efficacité, car il limite le temps de réaction entre le demandeur et le poste de tir. Ainsi, il n’est plus nécessaire d’intégrer du personnel dans la chaîne de transmission des informations. Ce dispositif évite également les erreurs et les incompréhensions qui pourraient se produire lors de la transmission orale par radio. Le système ASCAR pourrait être actuellement testé en Irak entre les forces américaines et les batteries Caesar de la TF Wagram. Ces informations n’ont cependant pas été confirmées lors de notre reportage.

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Alexandre Alati