Seuls la France et les Etats-Unis maintiennent des unités parachutistes cohérentes en état de marche, et les utilisent, d’ailleurs, régulièrement. Cette cohérence générale de l’outil reste néanmoins fragile, tant du côté des paras que des avions qui les larguent. Pour l’Armée de terre, qui a obtenu la pérennité de sa BP au fil des années, et même son renforcement dans le cadre de la remontée en puissance de la force d’action terrestre (FOT), il faut encore consolider le système sur ses bases.

Le point de départ des OAP

 

L’une de ces bases est le pôle national des opérations aéroportées (PNOAP) inauguré l’an dernier au sein du 1er régiment du train parachutiste (1er RTP). C’est le point de départ des OAP vers leurs zones de saut, y compris en vol direct, ce que permet désormais la performance de l’Atlas. Néanmoins, ce dernier ne peut pas, pour l’instant, larguer de paras. Là où à Kolwezi, il fallait, en 1978, une rupture de charge, tout comme pour le largage sur Tombouctou, en janvier 2013. Ce PNOAP comprend tout (ou presque…) ce qui est nécessaire pour lancer une OAP : des munitions, des voiles parachutistes et de quoi confectionner des charges. Un élément essentiel, car le Guépard TAP (troupes aéroportées) nécessite 170 tonnes de fret à projeter ; on y comprend donc le rôle de l’Atlas, qui peut transporter entre 20 et 37 tonnes selon les distances à atteindre.

Les paras, eux, sont cantonnés à la ronde dans le Sud-Ouest et peuvent être à pied d’œuvre en peu de temps ; pour autant que le régime d’alerte soit suffisant. On se souvient que c’est pour son incomparable système d’alerte que le 2e régiment étranger de parachutistes (2e REP, le seul qui n’est pas basé dans le Sud-Ouest) avait été choisi, en 1978, pour Kolwezi. Et peut-être bien encore en 2013. Et demain, il est vraisemblable qu’une OAP qui mobiliserait le 2e REP depuis le territoire national ne passerait pas par le PNOAP mais pourrait être menée depuis la base aérienne de Solenzara, plus discrète que l’aéroport civil de Calvi.

Le PNOAP comporte des maquettes permettant la formation sur les procédures de largage de matériel et d’hommes, et l’entraînement : une cellule de Transall (le 2e REP en possède une également, un ancien Transall qui s’était crashé dans la montagne) et, bientôt, une cellule d’Atlas. Le PNOAP s’incarne dans une série de bâtiments, certains neufs (cinq ont été inaugurés en 2017), d’autres survivants d’un autre temps. Mais pour le patron du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (8e RPIMa), l’infrastructure sommaire qui loge son PC suffit. Sa principale préoccupation est de valider son régiment pour l’opex à venir en juin, en Côte d’Ivoire, et son emploi du temps lui en laisse peu pour s’attarder sur les peintures défraîchies ou sur les briques apparentes. Une partie de ces briques est masquée, d’ailleurs, par les cartes à l’ancienne qui parent les murs. Difficile de ne pas le voir, toutes ces cartes renvoient au Sahel. Pas la zone, pourtant, où sera déployé le 8e RPIMa, mais la compagnie peut, en un claquement de doigts, être larguée dans la bande sahélo-saharienne (BSS). Il suffit pour cela de trouver les avions idoines.

Or c’est souvent là que le bât blesse. Alors qu’Acinonyx commence juste, un premier Transall d’Evreux fait défaut à cause d’une défaillance technique, tandis qu’un Casa reste réservé plus longtemps que prévu pour la logistique d’un déplacement du président de la République en Corse. C’est comme dans la vraie vie : en opex, les avions peuvent aussi « claquer » les uns après les autres dans les mains des spécialistes en conduite opérationnelle. Les légionnaires du 2e REP avaient ainsi vu leur capacité réduite d’un avion lors de Kounama 2 et 3 (voir tableau), obligeant à se réarticuler. La mauvaise nouvelle peut donner un peu de préavis, comme c’était le cas sur Kounama 2, puisque l’avion devait venir d’un autre site de BSS… qu’il n’avait jamais quitté. Sur Kounama 3, c’était un problème d’hélice, insoluble dans les temps, qui avait réduit la ressource. C’est alors le moment, cruel, de la réarticulation, qui laisse des paras motivés au sol.

A Acinonyx, toute la cinématique des avions, leur disponibilité présumée, et les mises en relation avec les besoins de largages liés au scénario sont résumées sur un tableau Velleda, ainsi plus facile à amender au fur et à mesure des grains de sable. Comme il est rarissime qu’il y ait plus d’avions que prévu, Acinonyx est, de ce fait, un très bon exercice de gestion d’une ressource rare.

A contrario, la QRF (quick reaction force) TAP semble être la variable la plus rodée et la plus solide du système. Forte de 800 hommes et femmes, elle est l’essence même de la 11e brigade parachutiste, une des deux brigades de l’urgence de l’Armée de terre avec la 27e brigade d’infanterie de montagne (qui n’a pas de QRF à proprement parler). Ainsi, et de façon intangible, la 11e BP doit disposer d’un groupement tactique interarmes (GTIA) prêt à se déployer à tout moment. Officiellement, cette capacité n’a jamais été mise à mal, même si, par conception, les mobilisations simultanées liées à Barkhane, à Sangaris et au territoire national ont vraisemblablement amoindri cette capacité ces dernières années.

Rien que depuis 2015, le Guépard TAP (qui était plus ensommeillé auparavant) a été déclenché à huit reprises. La première fois, c’était au profit des opérations en Centrafrique (décembre 2015), puis au Gabon (septembre 2016), en Côte d’Ivoire à deux reprises (mars et juillet 2017) pour des mises en place au Mali et au Niger. Quatre fois, la QRF a été engagée sur le territoire national : à trois reprises suite à des attentats (janvier et novembre 2015 à Paris, juillet 2016 à Nice) et en septembre 2017 après le passage d’Irma. On le voit à travers ces cas de figure, une partie ne concerne pas des aérolargages : sur le territoire national, ce sont des « avions blancs » qui ont aéroporté les paras de la région toulousaine sur Paris.

De leur côté, les aviateurs montent des alertes Rapace, de façon à pouvoir répondre à tout moment aux sollicitations, dans le cadre de demandes gouvernementales (transfert de prisonniers, évacuations du gouvernement en cas de crise majeure, etc.) ou de situations militaires à l’étranger, comme une évacuation de ressortissants (RESEVAC), auxquelles la France était abonnée en Afrique dans les années 1990-2000. Cette alerte Rapace comprend actuellement six avions de transport et d’assaut (ATA) répartis entre Transall, Hercules et Atlas, ainsi que deux Casa 235. Soit huit avions, le volume théoriquement nécessaire pour projet la QRF TAP.

Le scénario d’« Acinonyx »

 

Dès que les aviateurs ont acquis la supériorité aérienne avec les six Rafale de la 30e escadre de Mont-de-Marsan, auxquels sont opposés deux Alpha Jet de la 8e escadre de chasse de Cazaux et quatre Mirage 2000C de l’escadron 2/5 « Ile-de-France » d’Orange, les transporteurs peuvent entrer en action. L’exercice Acinonyx mobilise un Atlas, un C-160, deux C-130 (dont deux C-130J américains du 37th Airlift Squadron basé à Ramstein en Allemagne), un Casa 235 d’Evreux. Une belle force aérienne, même si elle est fournie par deux pays, ce qui n’est pas forcément réaliste (dans la réalité, une opération aéroportée est plus souvent nationale). Mais pour générer un tel volume désormais, il est impossible pour l’Armée de l’air de le faire seule. Elle aligne en permanence à Barkhane deux Transall, un Hercules, trois Casa, dans un parc par ailleurs très mobilisé et touché par de fortes indisponibilités (voir tableau).

Il est plus facile de trouver les parachutistes : l’Armée de terre a donc choisi de conserver une brigade entière à 9 000 hommes, avec quatre régiments d’infanterie (1er RCP, 3e RPIMa, 8e RPIMa, 2e REP), un de cavalerie (1er RHP), un d’artillerie (35e RAP), un de génie (17e RGP), un de train parachutiste (1er RTP), ainsi qu’une composante commando (GCP) qui est déployée en autorelève à Barkhane, à raison d’une quarantaine d’hommes en permanence, sur les 200 du Groupement. Ces variables sont à comparer aux 20 000 hommes de la 82nd Airborne Division et aux 3 900 de la 173rd Brigade américaines.

Sur l’exercice, la QRF TAP comprend des éléments des GCP, du 8e RPIMa, du 1er RHP, du 17e RGP, du 35e RAP et du 1er RTP. Des opposants au sol seront fournis par une compagnie du 1er RCP. Les Américains, eux, jouent du côté des « good guys » : leurs paras proviennent de la 173rd Airborne Brigade Combat Team (ABCT) basée à Vicence (Italie). Au total, 850 Français sont engagés, avec 160 Américains. Sur les 1 000 participants, 375 parachutistes (310 Français et 65 Américains) devront sauter avec véhicules et matériels. 

Acinonyx rameute trois Puma (dont un d’évacuation sanitaire), deux Tigre et deux Gazelle du 5e régiment d’hélicoptères de combat (RHC) de Pau, des équipes du 2e régiment de dragons, le régiment expert dans le combat nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC). C’est aussi le cas, pour la cynotechnie, du 132e bataillon cynophile de l’Armée de terre.

Chaque entité a sa propre structure de commandement. La QRF TAP est pilotée par le PC G08, l’état-major tactique de la 11e BP qui avait notamment servi lors des opérations dans l’Adrar des Ifoghas, permettant ainsi de soulager l’état-major de la brigade Serval. De son côté, le groupement de transport opérationnel (GTO) aligne un C2 air qui assure la planification et la conduite des opérations, avec une forte cellule renseignement de cinq spécialistes (trois officiers renseignement et deux exploitants renseignement) qui se chargent de récolter et d’analyser les données avant les vols, participent aux briefings et, à l’issue, assurent l’exploitation des données captées par les avions dotés de systèmes d’autoprotection (SAP) et le débriefing des équipages. Un système du commerce, Tacview, a été customisé pour permettre aux équipages de voir s’ils ont bel et bien évité les zones de menaces.

Ce sont les GCP qui ont été largués les premiers en soirée, discrètement, pour assurer l’acquisition du renseignement au sol et vérifier que les DZ retenues sont bien valides. Ces 15 commandos parachutistes sont chargés d’observer la zone, en autonomie, pendant deux jours, jusqu’au premier largage, dont nous découvrons les préparatifs au PNOAP.

Saisir et sécuriser

Le deuxième jour est consacré au regroupement de la QRF TAP sur le PNOAP et la préparation des largages du lendemain, pendant que les GCP alimentent le PC en renseignement tactique. Mais dès le troisième jour, le fameux Transall d’Evreux est bâché. Le premier largage du jour ne se fera donc qu’avec un Hercules et un Casa. Dur dur pour les paras : sur le parking, ils voient deux Atlas, un Casa, trois Hercules (dont deux américains) et ils doivent se serrer dans un C-130 et un Casa français… Les parachutistes s’affairent, vérifiant leurs gaines. C’est la première fois qu’ils vont sauter avec leurs HK416F : l’emport a été qualifié une semaine plus tôt.

Le premier largage de ce troisième jour doit intervenir sur le camp de Ger, et un deuxième doit suivre à la nuit tombée. Ce volume comprend le PC G08 (le PC tactique de la 11e BP), un GTIA Infanterie et un autre à dominante blindée. La saisie de la zone aéroportuaire doit commencer de nuit. Le GTIA Infanterie comprenait un état-major tactique (EMT) du 8e RPIMa avec une de ses compagnies d’infanterie, un peloton du 1er RHP, une section du 17e RGP, une section d’appui mortier (SAM) du 35e RAP, avec des éléments du 516e régiment du train de Toul. Le GTIA blindé était formé, lui, autour de l’EMT du 1er RHP, avec un escadron de reconnaissance et d’intervention, un escadron blindé sous AMX10RC, une section du 17e RGP et une SAM du 35e RAP. 

 

Le quatrième jour (8 février), les avions devaient larguer le 2e échelon et du fret, avec saisie des zones, destruction des objectifs et un raid du 35e RAP. Le 9 février, les paras poursuivaient le contrôle de zone au sol, tandis que les avions réalisaient des largages de matériel, et assuraient sur l’aéroport de Tarbes un poser d’assaut. C’est l’avantage de l’Atlas : il ne largue pas encore, mais possède une belle capacité d’aéroportage, notamment d’un AMX10RC.

Le 10 février, le thème du jour était centré sur le contrôle de zone, une remotorisation, la capture d’un chef de cellule IED et une évacuation de ressortissants (la mission n°1 pour les FFCI). Le lendemain, dimanche 11, le 1er RHP devait réaliser une reconnaissance et un raid blindé, tandis qu’un incident chimique obligeait le 2e RD à déployer une chaîne de décontamination. Les 12 et 13, la reconnaissance se poursuivait, tandis qu’était déclenchée une RESEVAC menée par hélicoptères. En parallèle, des embuscades étaient prévues contre la force. Le scénario s’achevait le 14 sur la saisie des derniers objectifs. 

Au sol, les phases sont classiques : il faut saisir et sécuriser les zones de largages, puis reconnaître et détruire. Afin de rentabiliser les moyens, Acinonyx comprend deux types d’adversaires successifs : un dissymétrique et asymétrique (type guérilla), puis un symétrique (équivalent à l’armée française, de type conventionnel). Tout le panel d’incidents possibles devait être balayé, de l’embuscade aux IED (engins explosifs improvisés), en passant par une attaque NRBC, des gestions de blessés et de prisonniers de guerre.

Pour les équipages de la BAAP, Acinonyx est bien taillé, car la convergence des moyens aériens et de simulation de menaces au sol rend l’exercice partiellement réaliste. Elle plonge les plus jeunes dans l’effervescence d’une OAP, et tous, jeunes et moins jeunes, dans les grains de sable que toute opération comprend.

Et à Barkhane…

Comme RAIDS l’explique depuis plusieurs mois, une des clés des actions en BSS repose sur le renseignement et des actions coup de poing. Il est en effet possible de profiter de la présence simultanée de plusieurs entités paras à partir de juin (8e RPIMa prépositionné en Côte d’Ivoire puis 2e REP au Mali) dans les semaines à venir pour marteler les groupes armés terroristes (GAT). La présence annoncée des CH-47 Chinook évitant, de surcroît, d’avoir à lancer des convois routiers pour venir rechercher les paras sur leurs DZ. On sait que ces routes sont truffées d’engins explosifs, et qu’elles seront plus difficilement praticables à la saison des pluies. Cependant, il ne faut pas l’oublier, le parachutisme nécessite des conditions météo minimales, en termes de plafond pour les avions, mais aussi de vent pour les paras. Pas de saut au-delà de 10 m/s. Le bilan du saut de juin dernier, réalisé par le 1er RCP, au Mali rappelle les risques lorsque le vent est fort : alors que le seul enjeu consistait à rassurer les FAMa dans leur zone, le saut (de surcroît de nuit) s’est conclu par la mort d’un jeune para dont c’était le premier saut opérationnel, et par des blessures sur une vingtaine d’autres (certaines d’entre elles peuvent déboucher sur des inaptitudes définitives). Le saut aurait pu tourner encore plus mal puisque plusieurs paras sont restés isolés plusieurs heures.

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