Le 3 janvier, le major général Qassem Soleimani, le tout-puissant chef de la force Al-Qods des pasdarans, a trouvé la mort en quittant l’aéroport de Bagdad. Son véhicule et celui qui l’accompagnait ont été pulvérisés par un missile air-sol tiré par un drone américain. Soleimani était considéré comme le protégé du Guide suprême de la révolution, l’ayatollah Ali Khamenei. Mais lui-même aimait se qualifier de « petit soldat » et ne voulait pas s’engager en politique. Cette opération Homo marque un accroissement considérable de la tension entre le régime des mollahs et l’administration américaine. Nul ne sait où cela va s’arrêter.
Depuis le début de l’aide iranienne aux régimes syrien et irakien, la propagande iranienne a mis en avant le général Qassem Soleimani en diffusant des images où on le voit sur tous les points chauds du front syro-irakien, ainsi qu’au Kurdistan irakien où il avait assisté officiellement en 2017 aux obsèques de Jajal Talabani, le président historique de l’UPK.
Cet homme qui avait placé sa carrière sous le sceau de la discrétion et qui aimait se définir comme un « petit soldat » (inscription gravée sur sa tombe) s’était vu attribuer le rôle de « héros national ».
Le but était de galvaniser le peuple iranien dans les guerres où Téhéran s’est engagé. Sa présence participait à la légitimation de l’intervention iranienne au Proche-Orient, mais cela faisait également de lui l’ennemi numéro un pour les adversaires du régime des mollahs.
Son zèle lors de la répression
Né en 1957 dans la province de Kerman au sein d’une famille modeste, Qassem Soleimani est d’abord ouvrier dans la construction.
Lors de la révolution de 1979, il s’engage avec les pasdarans qui viennent de naître. Cette force paramilitaire regroupe les éléments les plus fidèles à l’ayatollah Khomeini. Il se fait remarquer par son zèle lors de la répression de la première révolte kurde de 1979 survenue dans le nord-ouest du pays. À la tête d’une compagnie au début de la guerre (1980-1988) lancée par Saddam Hussein, il se fait remarquer par son courage et son esprit d’initiative, si bien que, malgré son jeune âge, il prend le commandement de la 41e division « Tharallah » forte de 1 500 à 3 000 hommes. Il conduit aussi des missions derrière les lignes ennemies pour le compte de l’« état-major Ramadan », un organisme chargé à l’époque des opérations spéciales et ancêtre de la force Al-Qods. À l’issue de la guerre, il prend le commandement de sa province natale de Kerman.
Il est officiellement affecté à la force Al-Qods fin 1997 avant d’en prendre le commandement en 1998, mais il est probable qu’il a rejoint cette unité bien plus tôt.
Sa seule initiative « politique » est de signer en 1999, avec d’autres pasdarans, une lettre demandant au président Mohammad Khatami de mater la révolte étudiante sous peine d’être renversé. Il s’attire alors toute la confiance du Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, dont il dépend directement.
Lors de l’invasion de l’Irak en 2003 par les États-Unis, il supervise les opérations chiites anti-américaines. Les Américains l’identifient et, en mai 2007, ils obtiennent de l’ONU son inscription sur la liste des personnalités iraniennes visées par des sanctions. Les États-Unis suivis par l’Union européenne alourdissent les sanctions à son encontre en 2011, en raison de son soutien à Bachar el-Assad. Pour eux et pour les Israéliens, il est le responsable opérationnel de l’influence iranienne au Proche-Orient – et même au Yémen où il n’a jamais été vu.
La même année, il est promu major général, et c’est là qu’il apparaît au grand jour. En juillet 2015, il se rend à Moscou pour expliquer aux Russes la gravité de la situation en Syrie où le régime Assad est directement menacé par des mouvements rebelles soutenus par l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie et les Occidentaux. Le président Poutine décide d’intervenir militairement fin septembre. Globalement, la guerre terrestre reste dévolue à l’armée syrienne, aux milices locales et aux forces envoyées sur place par Téhéran (irakiennes, afghanes et pakistanaises), toutes placées sous l’autorité de Soleimani.
Trump souhaite étrangler Téhéran
Depuis l’élection de Donald Trump, Washington a adopté une attitude très offensive vis-à-vis du régime iranien, en quittant l’accord de 2015 portant sur l’arrêt du programme nucléaire militaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action [JCPOA]).
Le président américain souhaite étrangler Téhéran par une pression maximale, en adoptant des sanctions très sévères. Par là, il espère neutraliser « l’influence déstabilisatrice et contenir l’agression » de Téhéran au Proche-Orient. Washington reconnaît soutenir tous les mouvements d’opposition iraniens qui sont pour une « transition pacifique ».
Cette opposition se traduit par des manifestations en Iran, parfois violentes, comme celles qui se sont déroulées fin 2017-début 2018 puis en septembre 2019. Elles sont durement réprimées par les pasdarans (les dernières faisant environ 300 morts, selon Amnesty International).
Soleimani était estimé à l’étranger, même par d’anciens chefs du Mossad qui soulignaient ses compétences et la dangerosité qui en découlait. Mais les Israéliens se gardaient de s’attaquer directement à sa personne car ils connaissent la complexité du Proche-Orient et savent qu’un écart peut provoquer une catastrophe non maîtrisable dans la durée.
Quant au travail des services de renseignement US, l’armée américaine aurait été prévenue par les autorités aéroportuaires de Bagdad que Soleimani arrivait de Damas le 3 janvier par un vol régulier.
Il devait rencontrer Adel Abdel-Mehdi,
le Premier ministre irakien. Cela signifie que la frappe était plus d’opportunité que programmée. « Sur ordre du Président, l’armée américaine a pris des mesures défensives décisives pour protéger le personnel américain à l’étranger en tuant Qassem Soleimani », résume le communiqué du Département de la Défense US.
En fait, Soleimani était bien derrière les nombreux incidents déclenchés à la fin 2019 en Irak au cours desquels un contractor avait été tué, puis surtout la tentative d’invasion de l’ambassade US à Bagdad faisant craindre un scénario « à la libyenne » quand l’ambassadeur Christopher Stevens avait
été assassiné en 2012. Par mesure de précaution, toute assistante militaire occidentale aux forces de sécurité irakiennes et kurdes a été interrompue.
Bien sûr, cette opération est acclamée à Jérusalem, et plus discrètement à Riyad qui craint des mesures de rétorsions à son égard.
Un avant et un après
Le Parlement irakien a voté, le 5 janvier, le départ des forces étrangères. Cette décision devrait être entérinée par le gouvernement. Pour l’instant, il est plutôt question de renforcements pour protéger les militaires US en place. En plus d’une brigade de la 82e division aéroportée qui serait en route pour la région, la 26th Marine Expeditionary Unit (qui a annulé un exercice prévu avec l’armée marocaine) rejoindrait aussi la zone. Le président Trump a affirmé être prêt à faire bombarder 52 sites iraniens si Téhéran engage des représailles.
Mais si le retrait a lieu, le départ des 5 200 Américains, en plus des conseillers des autres nations engagées, serait une grande victoire posthume du général Soleimani. Toutefois, Trump réplique en déclarant que si les Américains doivent partir,
il déclenchera contre l’Irak des sanctions très dures, à moins que Bagdad consente à payer des « milliards de dollars ».
Il n’est pas certain que ce départ annoncé suffise à Téhéran, mais le régime est devant un dilemme. La mort de son « héros » a fait cesser toute manifestation à l’intérieur du pays, en Irak et peut-être demain au Liban. L’union des chiites est aujourd’hui reconstituée et les élections législatives de février en Iran devraient donner une large majorité aux durs du régime. Ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour Téhéran de se livrer à une provocation trop identifiable qui, automatiquement, entraînerait une réaction violente de Washington.
De plus, les moyens de coercition iraniens
restent limités, sauf s’ils utilisent les milices
irakiennes et le Hezbollah libanais. Mais les Iraniens n’ont pas la même notion du « temps » que les Occidentaux. Ils ont donc tout le loisir de monter des opérations futures qui nuiront aux Américains, mais, si possible, sans les désigner directement.
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