Le 1er mars, la rédactrice en chef du groupe Rossiya Segodnya a dévoilé une conversation de hauts gradés allemands qui ont discuté sur la possibilité d'attaquer le pont de Crimée avec des missiles Taurus.

Le  2 mars, le chancelier Olaf Scholz a annoncé que l’Allemagne enquêtait sur cette apparente fuite.

Le lendemain, le porte parole du Ministère de la Défense déclarait : «nous examinons si des communications liées à l’armée de l’air ont fait l’objet d’écoutes, le contre-espionnage militaire (MAD) a engagé toutes les mesures nécessaires.»

Cette conversation pourrait être une visioconférence tenue à la mi-février où l’hypothèse de la livraison à Kiev par l’Allemagne de missiles de croisière Taurus, de ce qui serait nécessaire pour permettre aux forces ukrainiennes de les utiliser et de leur utilisation opérationnelle possible. Ces engins emmenés sous aéronefs ont une portée de plus de 500 km.

Dans l’enregistrement, les participants évoquent également quelques détails sur les livraisons de missiles Scalp par la France et Storm Shadow par la Grande-Bretagne à l’Ukraine.

Les deux principaux interlocuteurs sont les suivants :

Le général de brigade Frank Gräfe, chef du département des opérations et des exercices au sein du commandement de l’armée de l’air de la Bundeswehr

Il a été attaché militaire aux États-Unis.

Le lieutenant général (général de CA aérienne) de la Luftwaffe Ingo Gerhartz, inspecteur de l’armée de l’air allemande depuis 2018.

MM Fenske et Frohstedte sont des employés du centre des opérations aériennes du commandement des forces aériennes et spatiales mais leur rôle exact n’a pas été divulgué.

Selon toutes vraisemblances, les services de renseignements russes sont impliqués dans cette affaire d’espionnage.

Le plus probablement, elle a débuté lorsque cet échange a été « intercepté » par les moyens techniques russes. Il reste une possibilité d’une « taupe » allemande qui aurait enregistré et adressé à Moscou cette conversation mais elle est plus douteuse.

Selon le ministre de la défense allemand, les premiers résultats de l’enquête disent qu’un des participants à la discussion (legénéral Gräfe) avait rejoint l’appel à partir d’une ligne non sécurisée depuis Singapour où il était en déplacement. Les Russes ont probablement intercepté la discussion par hasard grâce à une surveillance généralisée.

Dans tous les cas, c’est très grave pour l’armée allemande dont la sécurité intérieure semble gravement compromise.

Ces renseignements sont parvenus à des analystes des services russes qui, comme c’est la règle, les ont diffusés vers leurs autorités politiques et militaires.

C’est à ce niveau qu’il a ensuite été décidé de les utiliser comme arme d’influence offensive pour décrédibiliser les autorités allemandes à l’intérieur comme à l’extérieur.

Le pire serait que d’autres fuites de même genre ne soient distillées à petites doses dans l’avenir. La confiance envers Berlin s’éroderait d’autant.

L’enquête lancée par le MAD dévoilera peut-être les dessous de cette affaire mais généralement cela se règle « en famille. »

Par contre, ce qui est certain, c’est que quelques hauts responsables allemands vont en payer le prix.

 

Qu’apprend-on dans cette conversation ?

Les missile Taurus

 

Le ministre de la Défense Pistorius étudie la question de la livraison de missiles Taurus à l’Ukraine et personne ne semble savoir pourquoi le chancelier fédéral Olaf Scholz bloque ces expéditions.

Délais de mise en œuvre

Une fois l’ordre de livraison donné, les Taurus ne pourront pas être utilisés avant huit mois.

Ce sont les techniciens ukrainiens qui seraient chargés de les adapter sous des avions d’origine russe, vraisemblablement des Su-24 qui accueillent déjà des missiles Scalp et Storm Shadow.

Il faudra six mois rien que pour installer les systèmes de fixation sur les plateformes.

Il convient aussi de compter un temps de formation de trois à quatre mois pour les pilotes et les techniciens ukrainiens.

Mais l’expérience montrerait que ces délais pourraient être raccourcis.

La formation des personnels

Les fabricants MBDA enseigneraient l’entretien de ces systèmes et les militaires ses applications tactiques. Cette partie de la formation peut avoir lieu en Allemagne.

La formation tactique dépendrait des objectifs susceptibles d’être visés : il pourrait avoir un « cursus court » de quinze jours  et un « cursus long » de quatre semaines.

Les communications avec Kiev

La question est : l’Allemagne peut-elle fournir des bases de données, des images satellites aux Ukrainiens afin qu’ils puissent préparer au mieux des frappes sur des objectifs intéressants ?

De manière à ne pas « franchir la ligne rouge » de la cobélligérance, il serait utile de détacher les militaires (dits « collaborateurs ») auprès de MBDA, peu importe qu’ils travaillent en réalité à Büchel(1) ou à Schrobenhausen(2).

Si l’ordre est donné d’éviter tout engagement direct, il sera impossible de participer à la planification (et la désignation) des objectifs.

Même le faire depuis  Büchel et ensuite transmettre les informations en Ukraine atteindrait la « ligne rouge. »

Mais si l’échange d’informations se fait par l’intermédiaire du fabricant, cela n’aurait rien à voir avec des officiels allemands.

Nombre de missiles envisagé

Plusieurs options sont proposées : 20 par tranches de cinq puis deux fois 50. Tout dépend du constructeur.

Cela ne changera pas l’issue de la guerre donc il est inutile d’aller plus avant. Même les Anglais et les Français en seraient persuadés et limitent en conséquence leurs livraisons.

Les objectifs

Il y a deux cibles intéressantes: un pont à l’est (NdA : pont de Kertch) et des dépôts de munitions.

Le pont est difficile à atteindre, ses supports sont une cible assez petite, mais le Taurus peut le faire.

Mais, étant donnée l’importance de l’ouvrage, il faudrait peut-être plus de 10 ou même de 20 missiles pour le détruire significativement.

Cela serait possible si les supports, là où le pont s’ouvre, sont visés.

Cela serait facilité par le fait que le Taurus peut voler à une hauteur de quelques pieds.

Mais sur le fond, cela ne serait pas si fatal à la Russie car il existe une route terrestre de contournement (par Melitopol).

Par ailleurs, il existe des dépôts de munitions plus simple à frapper et nécessitant un entraînement théoriquement plus court.

Le problème est que les Ukrainiens n’ont peut-être aucune idée de l’endroit où se trouvent réellement les systèmes de défense aérienne.

Or, pour établir un plan, il faut savoir où sont les radars et les lanceurs ennemis.

Question subsidiaire

Qui va payer pour cela?

Les Britanniques et les Français

Les Britanniques accompagnent sur le terrain les missiles Storm Shadow qu’ils ont livré à l’Ukraine mais ce n’est pas le cas des Français qui ne font que vérifier auprès des Ukrainiens la qualité du chargement des missiles Scalp.

Les Allemands pourraient se tourner vers les Britanniques pour qu’ils apportent un soutien dans la phase initiale et pour prendre en charge les questions des planifications de missions.

Le ministre de la défense allemand, M. Boris Pistorius a déclaré que : « Poutine cherche à déstabiliser l’Allemagne et à mettre à mal l’unité du pays.»

Pour conclure, une déclaration de Ben Wallace, l’ancien secrétaire à la Défense américain : « Nous savons que l’Allemagne est assez pénétrée par les renseignements russes, cela démontre simplement qu’ils ne sont ni sûrs ni fiables .»

 

1. La base aérienne de Büchel de la Luftwaffe est située en Rhénanie-Palatinat

2. Le district de Neuburg-Schrobenhausen héberge la base aérienne de la Luftwaffe de Neuburg.

 

Photo de couverture : « Meumeu » MISSILE TAURUS ! Le missile ANTI-PONT bientôt en Ukraine !

Publié le

Texte

Alain Rodier