Suites aux attaques ukrainiennes qui se succèdent sur Sébastopol, il semble que le commandement de la Flotte russe de la mer Noire ait décidé de repositionner une partie de ses unités pour les mettre à l’abri des drones et autres missiles mis en œuvre par l’Ukraine.

Kiev a revendiqué ces derniers temps la destruction de systèmes de défense anti-aérienne, d’un chantier naval et de deux navires s’y trouvant.

Fin septembre, l’Ukraine a mené une frappe spectaculaire contre le siège de la flotte russe de la mer Noire, dans la ville de Sébastopol, disant avoir tué une trentaine d’officiers. C’est vraisemblablement ce dernier coup qui a poussé le commandement à enfin réagir.

Ainsi, les trois sous-marins opérationnels du projet 636.3 (classe Kilo), les deux frégates du projet 11356 R/M (classe Amiral Grigorovich) et un navire de patrouille auraient été transférés à Novorossiysk.

La frégate de classe Krivak projet 1135M, cinq grands navires de débarquement et, apparemment, la majeure partie des petits navires lance-missiles se trouvaient déjà à Novorossiysk.

Un grand navire de débarquement, deux petits navires lance-missiles et les deux nouveaux dragueurs de mines du projet 12700 de classe Alexandrit – ont été déplacés de Sébastopol à Téodosie (Feodosia) au sud-est de la Crimée.

De plus, l’armée russe doit installer une base navale en Abkhazie, une région séparatiste pro-russe de Géorgie. Son dirigeant Aslan Bjania a en effet déclaré début octobre : « nous avons signé un accord et, dans un avenir proche, la marine militaire russe disposera d’un point d’ancrage permanent dans le district d’Otchamtchiré » sur la côte de la mer Noire.

Cette position est intéressante car éloignée des frappes de l’Ukraine mais permettant tout de même aux navires qui y seront détachés de venir intervenir rapidement dans le conflit pour effectuer des tirs mer-sol ou participer à un blocus des voies maritimes.

La date d’ouverture de cette base n’a pas été indiquée, mais l’administration du district d’Otchamtchiré a fait savoir à l’agence russe Ria Novosti que les infrastructures du port étaient déjà « prêtes » à l’accueillir.

Otchamtchira bénéficie d’un port construit dans les années 1930 où sont basés actuellement quelques petits bâtiments des garde-frontières gardes-côtes russe. Mais il est probable que la Russie devra  y engager des travaux importants en vue d’y déployer des navires de fort tonnage.

Pour mémoire, l’Abkhazie, qui abrite déjà une base militaire russe, se situe au nord-ouest de la Géorgie et borde la Russie. La région a mené une guerre de sécession avec la Géorgie de 1992 à 1993 et a déclaré son indépendance en 1999, mais elle jouit de peu de reconnaissance internationale. Depuis la guerre géorgienne-russe de 2008, Moscou l’a reconnu comme un État indépendant. Pour sa part, la Géorgie maintient que l’Abkhazie est occupée par la Russie. L’actuel gouvernement géorgien qui se défend d’être pro-russe a néanmoins adopté une position plus souple vis-à-vis de la Russie.

Historiquement, la Crimée et son port militaire de Sébastopol sont au cœur du dispositif militaire russe pour le fameux « accès aux « mers chaudes » qui a toujours été une obsession pour Moscou.

Aujourd’hui, elle la Crimée reste vitale pour poursuivre  l’« opération spéciale » déclenchée en février 2022 contre l’Ukraine, à la fois pour approvisionner les troupes russes occupant le Sud du pays et pour mener des frappes de missiles mer-sol.

Par leurs actions coup de poing, Kiev veut à la fois perturber la chaîne logistique russe et mettre fin à la mainmise militaire de la Russie sur la mer Noire.

Cette dernière représente également un enjeu essentiel pour les exportations de céréales ukrainiennes. La Russie s’est retirée en juillet de l’accord qui permettait leur exportation et a menacé les navires naviguant en mer Noire en bombardant les ports ukrainiens.

Mais Kiev est parvenu à installer un corridor maritime et le trafic commercial a repris jusqu’aux ports de la région d’Odessa, les Russes n’ayant pas été en mesure de l’interdire. Le tonnage à destination/en provenance de la zone d’Odessa se rapproche désormais de celui des derniers mois mais reste bien en deçà de ce qui a été réalisé entre août 2022 et avril 2023.

La Russie se trouve confrontée à un choix stratégique car une guerre maritime qui toucherait des navires neutres constituerait une grave escalade entraînant plus directement d’autres pays dans la guerre. C’est quelque chose que la Russie a voulu éviter jusqu’à présent.

Il existe également un risque que de telles actions déclenchent des représailles de l’Ukraine contre les transports maritimes civils vers les ports russes.

Évacuation de Sébastopol : fuite ou desserrement ?

D’abord, l’image ci-après montre que, le 2 octobre, Sébastopol n’était pas complètement vide.

La frappe ukrainienne du 13 septembre qui a mis hors service le sous-marin Rostov-sur-Don de la classe Kilo et le navire de débarquement Minsk de la classe Ropucha, les deux carcasses encombrant une grande partie de la cale sèche. Cela a démontré que l’infrastructure de maintenance navale de Sébastopol est vulnérable.

Mais pour le moment, il s’agissait que d’une frappe unique qui, pour vraiment avoir des conséquences incapacitantes devrait être renouvelée. En effet, la cale sèche va être rapidement être remise en état car la Flotte de la mer Noire n’a que Sébastopol pour y effectuer ses travaux de maintenance d’importance sur ses unités.

Une grande propagande (initiée par le World Street Journal) est faite autour de l’ « évacuation de Sébastopol ». La logique est vraisemblablement un peu différente.

Les mouvements constatés répondent à une tactique destinée à disperser (terme militaire : desserrer) les unités pour les rendre moins vulnérables, d’ailleurs, depuis le début de la guerre, les mouvements depuis Sébastopol ont souvent eu lieu.

Il convient de rappeler que la mission des navires armés de missiles Kalibr (sous-marins de classe Kilo, frégates de la classe Grigorovich et corvettes Buyan-M) est d’abord le bombardement mer-sol à l’intérieur du territoire ukrainien. Le redéploiement de ces navires hors de Sébastopol a peu d’impact significatif sur leurs opérations. Cela prend juste un peu plus de temps pour se positionner pour tirer.

L’automne et l’hiver verront probablement une augmentation des opérations ukrainiennes contre les bases navales russes, les infrastructures côtières, y compris le pont de Kertch et contre les navires de guerre et les transports militaires croisant vers ou depuis le port de Tartous en Syrie.

La météo aura probablement des conséquences sur les opérations à longue distance menées par des drones et des missiles de croisière qui pourraient de ce fait diminuer en volume.

La fréquence et l’intensité dépendront aussi de la disponibilité des missiles. Les nombres de Storm Shadow/SCALP et Neptune sont limités et, pour l’état-major ukrainien, il existe d’autres priorités de frappes.

Les capacités des drones ukrainiens augmentant, il est possible qu’ils soient utilisés contre des cibles marines, mais en général, les drones restent moins efficaces que les missiles de croisière.

Pour le moment, il est trop tôt pour tirer des conclusions concernant les mouvements navals russes en mer Noire. Il est vraisemblable que nous verrons réapparaitre les missiles Kalibr (qui se sont faits plus discrets ces derniers temps) à un moment donné.

L’Ukraine a actuellement l’initiative en mer, ce qui n’est pas un mince exploit alors qu’elle ne dispose plus de flotte opérationnelle.

Mais la guerre est partie pour durer. La Russie l’a compris (donnant un horizon de fin du conflit pour 2025, date qui pourra être retardée…) et c’est pour cette raison qu’elle redéploye sa flotte de manière à ce qu’elle soit moins vulnérable tout en gardant ses capacités tactiques.

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Texte

Alain Rodier