Le captagon a fait du Proche Orient en général et de la Syrie, du Liban et de la Jordanie une zone de production et de trafic privilégiée. Les revenus de ces trafics permettent aux pays concernés de continuer à fonctionner bon an, mal an, alors que leur économie est moribonde.
Ainsi, selon l’AFP, l’’industrie du captagon en Syrie pèserait plus de 10 milliards de dollars car drogue constitue aujourd’hui le premier produit d’exportation du pays.
Le captagon est une amphétamine dérivée d’un médicament censé traiter la narcolepsie ou les troubles du déficit de l’attention. Le plus grand acquéreur au Moyen-Orient est l’Arabie saoudite. Là-bas, le captagon est souvent considéré par l’élite aisée comme une « drogue de fête » mais sa consommation touche d’autres couches de la société. Ainsi, de nombreux Saoudiens modestes et des travailleurs immigrés consomment cette drogue bon marché, discrète et moins taboue que l’alcool dans ce pays musulman. La différence se trouve dans la qualité des produits proposés : le comprimé haut de gamme peut se négocier jusqu’à 25 dollars mais les pilules coupées et de mauvaise qualité peuvent ne valoir qu’un dollar.
Le trafic du captagon couvre plusieurs pays et de nombreux acteurs clés ont des liens tribaux, notamment par le biais des Bani Khaled, une tribu qui descendait de Khaled bin al Walid, un compagnon du prophète Mahomet. Cette confédération de tribus bédouine a son origine dans la péninsule arabique s’est étendu au fil du temps à l’Irak, la Syrie, la Jordanie, le Koweït, le Bahreïn, le Qatar. À remarquer que les Bani Khaled peuvent être sunnite mais aussi chiites.
En 2021, Riyad a saisi 119 millions de pilules de captagon et le chiffre devrait dépasser les 220 millions en 2022. Et pourtant, le trafic de drogues est passible de la peine de mort en Arabie saoudite. Des dizaines de condamnés ont été exécutés en 2022 après deux ans d’interruption. En 2022, Riyad avait suspendu toutes les importations de fruits depuis le Liban ayant découvert qu’elles servaient à acheminer du captagon dans le royaume.
Plus globalement, selon les chiffres officiels, quelques 400 millions de comprimés ont été saisis au Moyen-Orient et au-delà en 2021. Les découvertes de 2022 devraient être plus importantes.
Selon les experts, la Syrie serait la source de 80 % du trafic mondial(1) ce qui représente presque trois fois son budget national.
Un réseau opaque de seigneurs de guerre et de profiteurs sur lequel le président syrien s’est appuyé lors de la guerre civile a largement profité de ce trafic.
Au Liban et en Syrie où il est présent, le Hezbollah libanais a un rôle traditionnel de « protection » des laboratoires et de la contrebande dans les zones qu’il contrôle, particulièrement le long de la frontière libanaise et dans le sud-ouest de la Syrie.
Maher al-Assad, le frère cadet du président syrien, commandant la 4ème division blindée considérée comme le pilier militaire du régime, serait largement impliqué dans le trafic de captagon (source : AFP). Son implication est citée dans des rapports du Centre pour l’analyse opérationnelle et la recherche (COAR) et du Centre pour l’analyse historique et le conflit (CHACR). Cette unité contrôle une partie de la frontière avec le Liban et le port de Lattaquié qui est le point de départ de tous les trafics empruntant la voie navale.
Selon une source judiciaire consultée par l’AFP, « Wadi Khaled [région située eu nord-est du Liban] est la nouvelle plaque tournante, le lieu est plein de trafiquants ».
Au sud de la Syrie, les gouvernorats de Deraa et Soueïda frontaliers de la Jordanie, sont deux autres voies contrebande à destination finale de l’Arabie saoudite.
Ces régions regorge de bandes armées (qui ont servi dans le camp des insurgés et dans celui des forces gouvernementales) qui se livrent à tous les trafics dont celui du captagon qui serait, soit produit localement, soit dans des ateliers installés dans les régions de Damas et de Homs.
En Syrie, des alliances improbables entre anciens adversaires se sont créées autour des trafics de drogues dont celui du captagon. Cela serait vrai même dans la province d’Idblib contrôlée par les rebelles DU Hayat Tahrir al-Cham et pour partie, par les Turcs.
Un des parrains de la drogue le long de la frontière turque serait un commandant de la faction turkmène Sultan Mourad, Abou Walid Ezza.
Le rôle des très puissantes mafias turques dans ces affaires reste obscur. Elles sont réputées contrôler la « route de Balkans » qui amène en Europe toutes sortes de drogues. Il n’y a pas de raison que cela ne soit pas le cas pour le captagon qui devient de plus en plus populaire parmi les consommateurs.
L’éther éthylique est l’un des principaux produits nécessaires à la fabrication du captagon. Il proviendrait de Turquie où il est en vente libre.
Outre les produits chimiques, un laboratoire de production de captagon a besoin d’une presse à comprimés ou, à défaut, d’une machine de fabrication de bonbons. Ces engins sont en vente libre sur internet.
Les laboratoires de fabrication de capatgon sont relativement rudimentaires. Certains auraient même été installés à l’arrière de camionnettes.
Un réseau démantelé au Liban en 2022
Le tribunal pénal de Beyrouth a prononcé en décembre 2022 une peine de sept années de prison assortie d’une amende de 100 millions de livres libanaises contre Hassan Dekko, trafiquant de drogue syro-libanais, surnommé « le roi du Captagon ». Il avait été arrêté le 9 avril 2022 à Ramlet el-Baïda (plage de Beyrouth très appréciée des vacanciers). Ses complices ont également été condamnés à cinq ans d’emprisonnement avec versement d’amendes. Le tribunal pénal a également condamné par contumace 25 autres personnes, dont deux frères de l’inculpé, à la prison à vie avec déchéance de leurs droits civiques et politiques et gel de leurs avoirs. Il possédait légalement ne usine de pesticides en Jordanie, une concession automobile en Syrie et une flotte de camions-citernes, couvertures idéales pour tous les trafics. Cerise sur le gâteau, il « collaborait » avec les services libanais et syrien mais ne leur « aurait pas tout dit »…
Selon Ian Larson, analyste en chef de la Syrie au COAR cité par l’AFP : « la Syrie est devenue l’épicentre mondial de la production de captagon par choix délibéré ». Selon lui, son économie étant paralysée par la guerre et les sanctions, « Damas avait peu de bonnes options ».
La manne du captagon arrose en Syrie et au Liban depuis des responsables politiques et des hommes d’affaires en haut du panier jusqu’aux villageois et aux réfugiés qui fabriquent et dissimulent la drogue.
Mais, selon Ian Larson : « il n’y a toujours pas de preuve irréfutable reliant directement Bachar al-Assad à l’industrie du captagon et nous ne devons pas nécessairement nous attendre à en trouver une ».
Les services antidrogues internationaux estiment que l’ère du captagon n’en est qu’à ses débuts.
1. Voir : « SYRIE : hub pour les drogues » du 9 février 2022.
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