L’Iran a lancé une nouvelle fois de grandes manœuvres militaires à la frontière avec l’Azerbaïdjan. Des exercices de traversée de la rivière Arax ont même eu lieu sachant que c’est cette coupure qui définit la frontière entre les deux pays.

L’exercice « Iran puissant » a débuté le 17 octobre dans la région d’Azerbaïdjan Est. En fait, il aurait eu lieu entre l’Iran et l’Arménie le long de ce que Bakou appelle « corridor de Zangezur » qui pourrait un jour relier l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan, cette province enclavée entre l’Iran, la Turquie et l’Arménie. C’est dans ce cadre que Téhéran clame haut et fort que l’Iran n’acceptera pas un blocage de la route qui relie l’Iran à l’Arménie.

Un nouveau Consulat iranien a été ouvert le 20 octobre à Kapan, dans le marz (province) de Syunik qui borde l’Iran et l’Azerbaïdjan.

L’exercice qualifié de « massif » a engagé des forces blindées-mécanisées, de l’artillerie mais aussi des drones comme ceux employés par la Russie en Ukraine et des assauts aéroportés.

La partie la plus marquante de l’exercice a été la traversée de l’Arax mettant en œuvre des pontons flottants, une première selon Téhéran.

Cet exercice survient au moment où la tension est forte dans la région. En août, répondant aux exigences iraniennes sur le « corridor de Zangezur »(1), les medias azéris avaient appelé les populations azéries vivant dans le nord de l’Iran à faire sécession. En septembre, les forces azéries avaient attaqué l’Arménie laissant craindre le début d’une nouvelle guerre.

L’ambassade iranienne à Bakou a délivré un message nuancé à propos de ces manœuvres militaires. Elle a insisté sur le fait qu’elles avaient été programmées il y a longtemps et que le gouvernement azéri en avait été informé dans le cadre des relations bilatérales qualifiées d’ « amicales et fraternelles »… Même si les populations de par et d’autre de la frontière sont azéries, les dirigeants ne s’entendent pas. Les mollahs de Téhéran craignent un Azerbaïdjan prospère (et c’est possible avec l’exploitation des importantes ressources gazières de la mer Caspienne) qui pourrait pousser ses Azéris (16 millions de personnes soit plus de 25 % des quelque 68 millions d’Iraniens) à vouloir rejoindre ce pays.

Par contre, le président Ebrahim Raïssi a rejeté la présence militaire des Européens dans la région, et quelque-soit la raison invoquée. Pourtant, la mission de l’UE dépêchée début octobre ne comporte actuellement qu’une quarantaine d’observateurs (pour un mandat de deux mois) et la politique de Bruxelles semble aller dans la même direction que celle de Téhéran : éviter une attaque de l’Arménie par l’Azerbaïdjan. Mais l’Iran craint que ce ne soit qu’un début puisque l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a annoncé qu’elle enverrait une mission de reconnaissance sur zone du 21 au 27 octobre. Par ailleurs, Bakou affirme que Téhéran et Bruxelles sont « de mèche ».

Il n’est pas fait état de la position de la Russie qui maintient en Arménie une garnison militaire importante et qui assure le contrôle de l’enclave du Haut-Karabagh. Ce rôle d’interposition gène beaucoup les capitales européennes qui soutiennent l’Arménie car elles sont obligée d’agir à fronts renversés : d’ennemi désigné en Ukraine, la Russie est sur zone un facteur de paix. Par ailleurs, ne jamais oublier que les Européens ont un besoin vital du gaz azéri… En résumé, l’Europe soutient logiquement l’Arménie dont la sécurité dépend beaucoup de Moscou et de Téhéran mais ne veut pas froisser Bakou ni la Turquie omniprésente sur place ni d’ailleurs Israël présent plus discrètement du côté azéri… La politique que l’on peut qualifier au minimum de « floue » de l’Europe atteint ses limites à l’international.

Si la liaison entre l’Arménie et l’Iran est de notoriété publique depuis la fin de l’URSS, il semble qu’elle revêt de plus en plus d’importance sur le plan économique. À savoir que le ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir Abdollahian, a annoncé lors d’un déplacement à Erevan, que des négociations pour relier l’Inde à l’Europe (point d’arrivée: la Grèce) via un corridor terrestre passant par l’Iran, l’Arménie (puis la Géorgie) étaient très avancées. Les droits de passage pour les marchandises exportées dans les deux sens sont un pactole que tous les pays transitaires apprécient au plus haut point.

1. Voir : « Le drame arménien se poursuit » du 14 septembre 2022.

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Texte

Alain Rodier

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