Le 16 septembre, Mahsa Amini, une Iranienne d’origine kurde décédait en détention après avoir été arrêtée trois jours auparavant par la police des mœurs (ou police de la moralité) pour port du voile « non conforme ». Plus qu’un signe religieux, le voile en Iran est considéré comme un symbole révolutionnaire qui a été imposé par les Ayatollahs en 1979.

Pour le pouvoir théocratique iranien, ne pas respecter le port du voile islamique constitue plus un signe de contestation politique de la « Révolution » qu’une atteinte à la religion.

Les manifestations débutaient rapidement puis s’étendaient progressivement à de nombreuses villes du pays. Le pouvoir, qui démentent toute implication directe des forces de l’ordre dans la mort de la jeune femme de 22 ans, qualifient les manifestants d’« émeutiers » et répriment violemment les manifestations faisant près d’une centaine de morts et arrêtant plus d’un millier de personnes.

Parmi ces dernières, le ministère iranien des Renseignements a dénombré « « neuf ressortissants d’Allemagne, de Pologne, d’Italie, de France, des Pays-Bas, de Suède, etc. » qui auraient été appréhendées « sur les lieux d’émeutes ou y ont été mêlés ».

Les autorités iraniennes profitent de l’occasion pour désigner des « forces à l’étranger » (parmi lesquelles les États-Unis et Israël) comme responsables des manifestations ou, au minimum de les attiser.

Si de nombreux étudiants sont à la pointe de la lutte et donc beaucoup ont été arrêtés, c’est également le cas pour des avocats, des artistes, des sportifs et des journalistes.

 

Des violences ont aussi éclaté à Ahvaz (au sud-ouest du pays), dans la province du Sistan-Baloutchistan (au sud-est), frontalière du Pakistan et de l’Afghanistan et théâtre fréquent d’attentats ou d’accrochages entre forces de l’ordre et groupes armés. Là, le gouverneur régional, Hossein Khiabani, a indiqué à la télévision d’État que 19 personnes avaient été tuées dans des échanges de tirs avec des Gardiens de la Révolution Islamique (Pasdarans). Un colonel aurait été tué. Le chef de la police du Sistan-Baloutchistan a indiqué que trois commissariats de la province avaient été attaqués. D’après des images diffusées par Iran International, des hommes ont essuyé des tirs alors qu’ils jetaient des pierres sur un commissariat à Zahedan, capitale provinciale.

En dehors du pays, des rassemblements de solidarité avec le mouvement de contestation ont lieu sans discontinuer.
Dans une interview donnée au magazine américain Time, Nasrin Sotoudeh, une journaliste iranienne lauréate du prix Sakharov du Parlement européen (condamnée à 38 ans de prison mais actuellement en résidence surveillée à son domicile à Téhéran pour des raisons de santé)
a dit s’attendre à une poursuite du mouvement : « ce que veut le peuple c’est un changement de régime […] et ce qu’on peut voir des manifestations et des grèves qui se déroulent actuellement représente une vraie possibilité de changement de régime ».
Ces manifestations sont les plus importantes depuis celles de novembre 2019 alors provoquées par la hausse des prix de l’essence. Elles avaient été sévèrement réprimées. Des avocats internationaux qui enquêtent sur le déroulé des faits de l’époque ont d’ailleurs accusé le 30 septembre le gouvernement et les forces de sécurité de la République islamique d’Iran de « crimes contre l’humanité ».

La répression s’étend à l’Irak voisin

La télévision d’État iranienne a affirmé que « les forces terrestres des Gardiens de la révolution ont ciblé plusieurs quartiers généraux de terroristes séparatistes dans le nord de l’Irak avec des missiles de précision et des drones destructeurs ».

Le responsable adjoint des opérations des pasdarans, le brigadier général Abbas Nilforoushan, a évoqué la présence d’éléments « infiltrés » en Iran « pour semer le désordre » et « étendre les troubles ». Il a ajouté : « ces éléments contre-révolutionnaires ont été arrêtés lors d’émeutes dans le Nord-Ouest, nous avons donc dû nous défendre, réagir et bombarder les environs de la bande frontalière ».
Ainsi, le 28 septembre, au moins treize personnes ont été tuées et une trentaine blessées au Kurdistan irakien par des frappes de missiles et de drones iraniens dirigées contre des groupes d’opposition kurde iraniens implantés sur place.
Bagdad et le Gouvernement régional du Kurdistan autonome ont condamné ces actions offensives.
L’ambassadeur d’Iran à Bagdad a été convoqué pour s’expliquer, la diplomatie irakienne fustigeant « des actions unilatérales et provocatrices ».
Enfin, Washington a « fortement » condamné les frappes iraniennes et mis en garde Téhéran contre de nouvelles attaques. Le porte-parole du département d’État, Ned Price, a déclaré : « nous nous tenons aux côtés du peuple et du gouvernement irakien face à ces attaques éhontées sur leur souveraineté ».

Le Kurdistan d’Irak accueille plusieurs groupes d’opposition iraniens kurdes qui, historiquement, mènent une insurrection armée contre Téhéran, même si ces dernières années leurs activités violentes sont en recul. Par contre, ils sont très actifs sur les réseaux sociaux partageant des vidéos sur le mouvement de protestation qui a éclaté après la mort de Mahsa Amini. Aucune preuve de connexions avec les services secrets américains ou/et israéliens n’a jamais été établie à la différence de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI). Si cette organisation soutient opportunément les mouvements de contestation actuels, elle passe sous silence la raison (meurtre d’une femme portant « mal » le voile).

Le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), un des groupes visés par les bombardements sur la région de Koya à 65 kilomètres à l’est d’Erbil, a fustigé sur son compte Twitter des « attaques lâches », menées à un moment où le régime iranien « est incapable […] de faire taire la résistance civile » de la population kurde et iranienne.
Par ailleurs, les frappes ont aussi endommagé ou détruit des bâtiments dans le secteur de Zargwez à une quinzaine de kilomètres de Souleimaniyeh, où se trouvent des états-majors de plusieurs partis d’opposition iraniens kurdes, notamment ceux du Komala.

Dans les faits, le PDKI et le Komala ont négocié secrètement avec une délégation iranienne à Oslo en 2017-18. Même si ces pourparlers n’ont pas abouti à des résultats concrets, force est de constater que ces deux formations kurdes ont notablement diminué leurs opérations militaires au Kurdistan iranien.
Mais, comme leurs « cousins » irakiens, les Kurdes iraniens installés en Irak du Nord se perdent dans de nombreuses querelles internes qui ont vu l’apparition de groupuscules violents mais à l’influence relativement limitée.

Le 19 septembre trois jours après le décès de Mahsa Amini, le « Centre pour la coopération des partis du Kurdistan iranien » (CCPKI), une alliance politique de certains mouvements « modérés » dont une partie du PDKI et du Komala, a appelé à une grève générale en Iran. Cette grève a été largement suivie même dans les populations non kurdes ce qui n’a pu qu’irriter au plus haut point le très conservateur président Ebrahim Raïssi élu le 3 août 2021.

D’ailleurs et fort curieusement, pour une fois, le PJAK (le Parti pour une vie libre au Kurdistan, le « cousin iranien » du PKK turc) qui partage ses positions avec le PKK sur les flancs du Mont Qandil au Nord-Est de l’Irak mais qui ne s’est jamais joint au CCPKI, ne semble pas avoir été visé par les dernières frappes iraniennes… Or le PJAK est un mouvement vraiment « séparatiste » alors que ceux visés par les frappes iraniennes sont plutôt « fédéralistes ».

Sur le fond, il semble que les autorités iraniennes craignent que les Kurdes ne deviennent l’avant-garde des protestations qui peuvent, à terme, peut-être mettre en danger le régime. Il ne faut pas se faire d’illusions, ce dernier va tout faire pour étouffer cette révolte – comme les précédentes – qui pourrait tourner à la révolution. Et il a les moyens de mener une répression extrêmement féroce avec les pasdarans comme fer de lance.

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Texte

Alain Rodier

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