La presse internationale parle peu de Daech en Syrie et en Irak depuis la dislocation du proto-État islamique qui couvrait une grande partie de ces deux pays. Tous les observateurs notent que ce mouvement salafiste-jihadiste n’a pas disparu mais est passé dans la clandestinité. Quels sont ses moyens de financement ?

Il semble qu’il ne reçoive plus (ou peu) de subsides de riches donateurs qui achetaient ainsi leur tranquillité matérielle et intellectuelle (certains avaient « honte d’être riches » et se donnaient bonne conscience en versant leur obole aux jihadistes). Comme d’autres, les jihadistes se retournent aujourd’hui vers la vieille méthode du crime organisé : le racket appelé pudiquement par les marxistes l’« impôt révolutionnaire » et pour les islamistes l’aumône (Zakât).

Tout d’abord, les forces de sécurité qu’elles soient syriennes ou membres des forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par les Américains qui contrôlent l’Est de l’Euphrate ne sont pas en mesure d’assurer la protection des populations particulièrement dans les régions de Raqqa et de Deir ez-Zor. Les actifs dans ces régions n’ont d’autre choix que de payer la « taxe » sinon la sanction est simple : la mort.

Les commerçants, les agriculteurs, les fermiers sont particulièrement visés mais aussi les médecins et les pharmaciens qui doivent débourser de 700 à 1.500$/mois. L’abjection n’a pas de limites. Les installations pétrolières constituent aussi des cibles de choix très rémunératrices. Chaque puits doit s’acquitter d’une « taxe » de 5.000 $/mois soit de 10 à 20% de ses bénéfices s’il ne veut pas être saboté.

Les victimes sont souvent menacées par des messages adressés via internet, en particulier sur l’application WhatsApp qui permet de communiquer par envois cryptés. Mais plus simplement car une grande partie des populations locales na pas accès aux progrès technologiques, Daech distribue des avertissements personnalisés avec son logo en signature à domicile exigeant des paiements. Cette méthode est très efficace car terrorisante. Cela dit, il semble qu’une certaine latitude est laissée aux chefs locaux de Daech qui parfois négocient le montant des sommes demandées en fonction de la réalité de terrain. Parfois, des « reçus » sont délivrés afin que les « contribuables » puissent prouver à d’autres bandes de passage qu’ils ont déjà été taxés. Les percepteurs de fonds ne semble pas se soucier des autorités ce qui montre l’incurie totale des autorités centrales.

Il est impossible de savoir quelle est la somme globale récoltée par Daech alors qu’en 2015, elle était estimée à 80 millions de $/mois mais les dépenses étaient alors bien supérieures car il fallait subvenir aux besoins de fonctionnement du « proto-État ».

Toutefois, il est généralement admis que les taxes perçues sont largement suffisantes pour financer la survie des cellules jihadistes et de leurs opérations de type « hit and run ».

Selon des analystes américains, Daech aurait défini quatre zones en Syrie. La région de Badiya (le désert central) sert de base arrière et d’entrainement pour ses combattants, aussi bien pour la Syrie que pour l’Irak. Le Nord-Est est sa zone de chasse et de rapport financier. C’est dans le Nord-Ouest que se trouvent les chefs du mouvement (d’où les raids des forces spéciales américaines dans la région d’Idlib qui décapitent régulièrement les chefs de Daech).

Ce système de financement pratiqué depuis des lustres par les criminels et les mouvements révolutionnaires ne peut se poursuivre que si aucune autorité centrale ne peut s’y opposer. C’est le cas en Syrie car Damas ne contrôle que très imparfaitement l’Ouest de l’Euphrate et les FDS l’Est. Cette situation est voulue à l’international car personne de souhaite vraiment que Bachar el-Assad ne reprenne le contrôle de la Syrie dans son intégralité sans compter sur le fait qu’il n’en n’a pas les moyens, même avec l’appui de ses alliés russes et iraniens. Aucune solution n’est donc envisageable à court ou moyen terme et Daech va continuer à se recomposer en recrutant de nouveaux adeptes au sein de la jeunesse syrienne désabusée à qui le pouvoir ne peut rien garantir pour les années qui viennent.

Ce phénomène est déjà bien connu dans d’autres régions où peu à peu tout s’effondre comme en Afrique et, moins visible, en Extrême-Orient.

En Afghanistan et en Tchétchénie, la jeunesse n’a même plus les moyens de se révolter certes pour raisons différentes. En Afghanistan, les salafistes-jihadistes sont au pouvoir depuis le départ rapide de l’OTAN à l’été 2021 et ne tolèrent aucune déviance ; en Tchétchénie, c’est du pareil au même sauf que c’est de la responsabilité de deux hommes : le « très islamique » président local Ramsan Kadirov (qui devant sa récente piété devrait ne plus boire de Vodka ni faire assassiner d’autres musulmans) et surtout son soutien indéfectible Vladimir Poutine. Le président Russe a trop besoin de Kadirov pour ses basses œuvres et encore plus pour maintenir pour l’instant les populations musulmanes de la Fédération de Russie dans une neutralité de bon aloi même si elle est loin d’être bienveillante.

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Texte

Alain Rodier

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