Comme lors de chaque ramadan, l’alerte est sonnée en raison d’une augmentation potentielle des actions terroristes menées par les mouvements islamistes radicaux. En effet, dans la tradition musulmane, le ramadan est une période durant laquelle Dieu donne la « victoire aux croyants ».

Les jihadistes font particulièrement référence à la bataille de Badr en 624 au cours de laquelle les disciples de Mahomet avait triomphé lors que l’attaque d’une caravane de la tribu Quraysh alors qu’ils étaient inférieurs en nombre. De plus, durant le ramadan, toutes les actions des pieux musulmans sont davantage récompensées par Dieu. Les jihadistes en concluent que les « actions pieuses » incluent les attaques terroristes et les missions suicides.

Cette année, le Ramadan pourrait connaître encore plus d’opérations jihadistes pour plusieurs raisons.
. Les Occidentaux ont eu leur attention totalement focalisée, d’abord par la pandémie Covid-19 puis par la guerre en Ukraine. Ils ont moins consacré d’attention à la menace jihadiste.
. Les troupes françaises se retirent du Mali ce qui va ouvrir des possibilités par les jihadistes dans ce pays qui plonge dans le désordre le plus profond.
. Daech qui était en phase de reconstitution depuis la perte de son « Califat » en Syrie et en Irak en 2019 a fourni un immense effort pour renforcer ses provinces extérieures.
. Al-Qaida est relativement en perte de vitesse devant maintenant aider ses « frères » taliban à gérer l’Afghanistan. Toutes les branches d’Al-Qaida sont en opposition avec Daech qui semble avoir partout l’avantage excepté en Somalie et au Yémen. Les deux organisations qui sont en concurrence risquent de mener des actions spectaculaire de manière à attirer vers elles les indécis voire les activiste de l’autre camp en mal de reconnaissance.

En ce qui concerne Daech, même les morts successives de ses deux émirs neutralisés par les commandos américains (Abou Bakr al Baghdadi en 2019 et Abou Ibrahim al-Quraishi en mais 2021) dans la province d’Idlib dans le nord-ouest de la Syrie ne semble pas avoir fait beaucoup de mal à l’organisation. Plus encore, les multiples allégeances au nouveau calife Abou al-Hassan al-Hashemi al-Quraishi (qui est peut-être le frère aîné d’al-Baghdadi) galvanisent les wilayats qui se précipitent les unes après les autres pour publier leur cérémonie sur le net. Même celles qui avaient quasi-disparu du paysage terroriste comme en Libye où l’on n’en avait plus entendu parler depuis plus de deux ans sont réapparues (le nouvel émir de cette wilayat serait un certain Abou Thabet al-Muhajir « l’étranger »). Il faut souligner l’importance de la propagande pour Daech qui a développé des « bureaux » à cet effet. Non seulement ils servent à faire connaître les combats des wilayats mais ils servent également d’organismes de liaison entre les différentes instances.

Depuis le début de l’année, Daech a aussi augmenté le nombre de ses opérations en particulier en Syrie en attaquant une prison dans la région d’Hassakeh contrôlée par les forces kurdes syriennes. Pour mener à bien cet assaut complexe, il aurait bénéficié de l’aide des tribus arabes qui commencent à trouver l’autorité kurde pesante. Selon des estimations américaines, Daech aurait 10.000 activistes en Syrie sans compter les populations qui les supporte de gré ou de force.

Daech maintient un haut niveau d’insécurité en Irak voisin en particulier au centre et au nord du pays. Il a profité du pic de la pandémie pour s’établir dans le massif montagneux d’Hamrin situé entre les provinces irakiennes de Salah ad-Din, Kirkouk et Diyala son fief initial qu’il n’avait jamais abandonné. Il est fort probable que le ramadan va être source de violences en Syrie (wilayat du Cham) et en Irak (wilayat Irak) même si Daech ne peut pas revenir aux conquêtes de 2014.

Plus étonnant encore ont été les trois fusillades qui ont eu lieu en une semaine en Israël à la fin mars(1). Si les deux premières ont été revendiquées par Daech, une troisième qui a fait cinq victime (plus le terroriste) aux environs de Tel-Aviv l’a été par le Jihad Islamique Palestinien (JIP) qui, théoriquement, n’a pas de lien organique avec Daech. Dia Hamarshah, l’auteur de l’attaque est un Palestinien originaire de Cisjordanie. Il avait passé quatre ans en prison pour trafic d’armes.

Si la même idéologie (le salafisme-jihadisme) anime tous les combattants de Daech, la raison de leur survie dans les différentes wilayats réside dans l’autonomie et l’autosuffisance de ces dernières. Les activistes vivent « sur la bête » évoluant dans les populations comme des « poissons dans l’eau », vieux principe maoïste. Ils sont aidés par le fait que ces populations ne veulent rien avoir à faire avec leurs pouvoirs centraux respectifs qu’elles estiment incapables de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires quand ils ne sont pas corrompus. Daech se charge de faire taire les « récalcitrants » en se livrant à des tueries de masse quand il le juge nécessaire.

Une des wilayat les plus active est celle su Sinaï héritière du groupe Ansar Bayt al-Maqdis qui a fait allégeance à Daech en 2014. À noter que ce mouvement entretenait déjà des velléités contre l’État hébreu avec des complicités situées dans la bande de Gaza en particulier via la Brigade Cheikh Omar Hadid qui a été neutralisée par le Hamas.
Peu actives mais néanmoins présentes sont les wilayats « Najd » et « Hejaz » en Arabie saoudite. L’objectif de Daech (comme d’Al-Qaida) est de faire tomber les Saoud considérés comme des apostats (des traîtres à l’islam).

Au Yémen sur le papier il existerait sept provinces de Daech dont celles d’Hadramaout, de Shawah et de Sanaa. Cela dit, en dehors des attentats lancés contre des mosquée chiites de Sanaa, l’EI ne semble pas réussir à s’imposer sur zone face d’Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA).
En Algérie, des militants du groupe Jund al-Khilafah avaient prêté allégeance à Daech en septembre 2014 se faisant connaître par le meurtre du Français Hervé Gourdel. Mais en novembre de la même année, Abou Bakr al-Baghdadi avait annoncé que ce groupe portait désormais le nom de « wilayat Algérie ». Cette formation a été peu à peu neutralisée par les forces de sécurité algériennes.

La province de l’État islamique au Khorasan a conduit de nombreuses attaques au Pakistan et en Afghanistan. Mais il semble que cette organisation se soit scindée en deux, une partie alliée au Mouvement Islamique d’Ouzbékistan (MIO) se chargeant de l’Afghanistan, l’autre du Pakistan, de l’Inde, des Maldives et du Sri Lanka. En 2019, Daech reconnaissait deux nouvelles provinces indépendantes, l’une en Inde, l’autre au Bangladesh.

La province de l’État Islamique de l’Afrique de l’Ouest (ISWAP) est active dans la région du lac Tchad, au Nigeria, au Cameroun et au Niger. C’est une branche dissidente de Boko Haram (mouvement qui continue à exister malgré la mort en 2021 de son émir Abubakar Shekau).

L’État Islamique au Grand Sahara qui dépendait de cette organisation a obtenu son statut de province indépendante en mars 2022 sous le sigle de « wilayat Sahel ».
L’État Islamique en Afrique Centrale englobe la République démocratique du Congo et le Mozambique.

Après avoir pris le contrôle de la ville mozambicaine de Mocimboa da Praia en août 2020 et en avoir faite leur capitale, les rebelles de Daech ont ensuite capturé plusieurs îles dans l’Océan Indien dont la plus importante est celle de Vamizi.

Il existait une « province du Caucase » mais elle semble très peu active pour l’instant.
Aux Philippines, en décembre 2017 les restes du groupe Maute ont formé une nouvelle cellule appelée le « groupe Turaifie » du nom de son émir. Ce dernier se présente comme le successeur d’Isnilon Hapilon qui était un des leaders du groupe Abou Sayyaf jusqu’à sa mort en 2017.
Depuis juillet 2019, il y aurait un groupuscule en Azerbaïdjan qui aurait obtenu le statut de province. C’est également le cas en Turquie où une wilayat a été reconnue officiellement lors d’une des rares apparitions d’Abou Bakr al-Baghdadi en 2019.

Les actions à venir de Daech privilégient pour le moment les combats à domicile de manière à gagner un maximum de terrain et de populations qui fourniront les jihadistes de demain. C’est dans ce cadre que des opérations importantes pourraient avoir lieu en priorité au Sinaï – en débordant sur l’Égypte intérieure -, sur le continent africains avec une poussée vers le Golfe de Guinée et vers le Kenya et la Tanzanie (venant de Somalie au Nord et du Mozambique au Sud). Les pays arabes – en particulier ceux ayant conclu les accords d’Abraham avec Israël(2) et le Maroc et la Tunisie° – constituent des cibles idéologiques prioritaires. Pour l’instant, la menace en Europe est surtout de type endogène car il est vraisemblable qu’aucun commando n’y a été dépêché pour renouveler les attentats de 2015.

1. Voir : « Attentats en Israël revendiqués par Daech » du 29 mars 2022.
2. Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn.

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Texte

Alain Rodier

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