Face aux manifestations qui se sont transformées en émeutes au début janvier, le président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev a fait appel à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Il a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire du Kazakhstan désignant les manifestants comme des « bandes de terroristes » ayant suivi « une formation à l’étranger ».
Selon Radio Free Europe (media d’influence américain), ce sont surtout des problèmes structurels tels que les inégalités et les incertitudes sociales dans la société associées à des promesses de réforme non tenues, qui constituent le fondement des événements. « Les protestations actuelles – d’une ampleur inédite au Kazakhstan – sont une expression publique de la méfiance envers le gouvernement. Et il semble que les promesses en demi-teinte et les concessions partielles que les autorités font au peuple kazakh ne fonctionneront pas ».
Le 2 janvier, des manifestations ont éclaté dans la ville d’Aktau sur la mer Caspienne avant de s’étendre à Almaty, la capitale économique du pays. La raison qui a mis le feu aux poudres a été l’annonce d’une hausse des prix du gaz naturel liquéfié [GNL]. Cela préfigurait une augmentation de l’inflation laquelle avoisine déjà les 9%.
Dans un premier temps, le président Tokaïev a tenté d’apaiser la situation en annonçant une stabilisation du prix du GNL et en acceptant la démission de son gouvernement. Il a également démis de son poste de président du Conseil de sécurité l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev (1990 à 2019) dont la foule demandait le départ avec le slogan « Shal Ket » (dehors le vieux ). Afin de rompre définitivement avec l’ancien régime contesté, il a aussi limogé Karim Massimov, pourtant un de ses proches, de ses fonctions à la tête du Comité de la Sécurité nationale. C’est lui qui faisait la liaison entre le nouveau pouvoir et les caciques du précédent.
Mais cela n’a pas suffi à ramener le calme. Le 5 janvier, de véritables émeutes ont eu lieu en particulier à Almaty. En fin de journée, Tokaïev a demandé officiellement l’aide de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) une organisation à vocation politico-militaire fondée le 7 octobre 2002 entre l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Khirghizistan, la Russie et le Tadjikistan.
Le 6 au matin, les premiers bilans des manifestations violentes sont tombés : 18 membres des forces de l’ordre tués (dont on a retrouvé au moins deux dépouilles décapité) et plus de 750 blessés. Plus de mille civils auraient été blessés. Mais le bilan pourrait être bien plus élevé des « dizaines d’assaillants » ayant été déclarés « éliminés ». De nombreux bâtiments officiels dont des bureaux du parti présidentiel Nour-Otan ont été attaqués et certains incendiés. La police a évoqué l’arrestation de 2.000 personnes rien qu’à Almaty.
La situation restait délicate à décrire pour les médias du fait de coupures très fréquentes d’Internet. Comme par miracle, le réseau a été restauré durant le discours du président kazakh le 5 au soir avant d’être coupé à nouveau. Par contre, aucune perturbation n’a été signalée dans les pays voisins par où transitent les câbles kazakhs.
L’OTSC a répondu favorablement à la demande du pouvoir. Une « force collective de maintien de la paix » composée majoritairement de militaires russes de la 103e brigade aéroportée de Vitebsk des forces d’opérations spéciales et de la 45e brigade spéciale distincte des forces aéroportées a commencé à être déployée au Kazakhstan le 6 janvier. Le média kazakh Tengrinews relève que les militaires auront pour mission à aider à maintenir la stabilité et garder les infrastructures stratégiques du pays. La durée de leur présence devrait être limitée dans le temps.
Dans le détail, les troupes envoyées au Kazakhstan sont ainsi en grande majorité russe (2.500 hommes) avec quelques 300 Biélorusses, 200 Tadjiks, 70 Arméniens. L’Ouzbékistan et le Turkménistan, non membres de l’OTSC soutiennent officiellement le gouvernement kazakh mais n’ont pas annoncé le déploiement de forces.
Le Kazakhstan est riche de réserves de pétrole, de gaz naturel et d’uranium. Depuis son indépendance, il a connu un essor économique important mais s’est dégradée depuis plusieurs années et la crise provoquée par la Covid-19 n’a pas arrangé les choses. Le rêve du « modèle singapourien » d’ouverture prospère sur le monde semble s’être évanoui.
Moscou considère ce pays comme faisant partie de son « pré carré » et indispensable à la sécurité de la Russie. Pour mémoire, il abrite le cosmodrome de Baïkonour (et trois autres implantations russes, voir carte en fin de texte) et entretient des relations privilégiées avec Moscou d’autant que sa population compte presque 20% de citoyens d’origine russe. Après son indépendance, le Kazakhstan a rejoint la Communauté des États indépendants [CEI] et a été l’un des membres fondateurs de l’OTSC. Le 22 décembre 2021, Noursoultan (ex-Astana jusqu’en 2019) a ratifié un accord de sécurité avec Moscou en matière de renseignement, de lutte contre le terrorisme et de cyberdéfense. Si Moscou est intervenu si rapidement, c’est pour éviter une « dérive à la syrienne » en référence à la révolte de 2011(1) qui avait dégénéré en révolution. Le souvenir des « révolutions de couleur » est également présent dans l’esprit du Kremlin. À noter que la Chine (qui considère que ce qui se passe est une affaire interne au Kazakhstan) n’a pas été sollicitée pour venir soutenir le régime kazakh ce qui constitue un signe politique fort pour les ex-Républiques d’URSS. Quand, le problème est grave, elles savent vers qui se tourner et ce n’est pas le partenaire économiquement le plus intéressant qui compte à ce moment là.
Dirigé d’une main de fer de 1990 à 2019 par le président Noursoultan Nazarbaïev, le Kazakhstan s’est aussi rapproché de l’Otan, en rejoignant en 1994 son « Partenariat pour la paix ». Son premier partenaire commercial est l’Union européenne avec 18,6 milliards d’euros d’échanges en 2020 qui appelle à la « modération » de toutes les parties. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a contacté son homologue kazakh Moukhtar Tleouberdi et « exprimé le soutien américain aux instituts constitutionnels » de la république mais a mis en garde Moscou contre toute action allant à l’encore des Droits humains.
Le Kazakhstan entretient aussi des relations étroites avec la Turquie lui ayant acheté des drones et des blindés. Pour le moment, Ankara soutient le pouvoir en place à Noursoultan.
1. À la différence de Occidentaux, les Russes ne se mêlent pas directement de qui est au pouvoir dans les pays où ils interviennent. Plus cyniquement, pour eux peu importe qui est aux manettes tant que les intérêts de Moscou sont préservés. La rumeur dit que le président Poutine apprécie peu ses homologues Alexandre Loukachenko (Biélorussie), Ramzan Kadyrov (Tchétchénie) et Bachar el-Assad mais « il fait avec » car il a besoin d’eux.
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